Les secrets à invoquer pour demander la mise sous scellés (art. 248 CPP)

TF, 24.09.2024, 7B_313/2024*

Le nouvel art. 248 CPP, entré en vigueur au 1er janvier 2024, limite les sortes de secrets qui légitiment le détenteur à formuler une demande de mise sous scellés, désormais énumérés exhaustivement à l’art. 264 CPP. En particulier, les secrets d’affaires et le secret bancaire (art. 47 LB) ne font plus partie des secrets qui permettent de fonder une demande de mise sous scellés.

Faits

Le Ministère public de la Confédération mène une enquête à l’encontre de diverses personnes qu’il suspecte d’escroquerie qualifiée et de blanchiment d’argent qualifié. Au cours de cette enquête, le MPC formule une demande de production à l’égard de deux banques : il souhaite obtenir plusieurs documents qui concernent deux comptes bancaires que possèdent une société, laquelle n’est pas prévenue dans la procédure pénale. Le MPC notifie sa décision de production de documents à la société, laquelle requiert la mise sous scellés immédiate des documents. Le MPC rejette la requête de mise sous scellés, mais le Tribunal pénal fédéral admet le recours de la société et ordonne au MPC de mettre sous scellés les documents.

Le MPC conclut auprès du Tribunal des mesures de contrainte de Berne que la demande de mise sous scellés de la société n’est pas valable et que les documents doivent réintégrer le dossier de la procédure ; subsidiairement, le MPC demande la levée des scellés.… Lire la suite

L’indication d’un faux motif à l’appui d’un licenciement et l’art. 251 CP

TF, 26.11.2024, 6B_1315/2023

Faute pour ces documents de revêtir une valeur probante accrue, indiquer des motifs erronés dans une lettre de licenciement ou de motivation d’un congé ne constitue pas un faux dans les titres au sens de l’art. 251 CP.

Faits

Une commune engage un employé en qualité d’agent de commerce du service « sécurité civile ». En février 2016, sur fond de conflits internes, la commune résilie le contrat de travail de l’employé avec effet au 30 avril 2016. La lettre de résiliation ne contient pas de motif de licenciement, mais indique que la décision a été prise en séance du conseil communal le 22 février 2016.

À la suite de l’opposition de l’employé, qui demande également à connaître le motif de son licenciement, la commune lui répond par courrier que son congé est dû à une réorganisation interne de l’administration ayant entraîné la suppression de son poste.

L’employé dépose plainte pénale contre les deux signataires des lettres, en particulier pour faux dans les titres. Il reproche aux prévenus d’avoir menti quant aux véritables motifs de son licenciement et quant à la date à laquelle la décision avait été prise.

Par la voie de l’ordonnance pénale, le Ministère public valaisan condamne les prévenus pour faux dans les titres à des peines pécuniaires avec sursis, ainsi qu’à des amendes.… Lire la suite

La violation de l’art. 29 LLCA

TF, 06.11.2024, 2C_144/2024*

Avant d’ouvrir une procédure disciplinaire contre un·e avocat·e ressortissant·e d’un État membre de l’UE ou de l’AELE exerçant de manière permanente en Suisse sous son titre d’origine, l’autorité de surveillance doit informer l’autorité compétente de l’État de provenance en application de l’art. 29 LLCA. La violation de cette disposition n’entraîne toutefois pas la nullité de la décision en cause, mais son annulation.

Faits

Un avocat est inscrit au registre des avocats du Brésil, à celui du Portugal ainsi qu’au tableau genevois des avocats membres de l’UE/AELE.

Suite à une dénonciation, la Commission du barreau prononce un avertissement à l’encontre de l’avocat pour violation de son devoir de diligence. Il ressort de l’instruction que, lors de plusieurs audiences où l’intéressé œuvrait comme défenseur d’office, des magistrats avaient constaté qu’il ne maîtrisait pas suffisamment bien le français.

La Chambre administrative de la Cour de justice genevoise rejette le recours de l’avocat contre la décision de la Commission du barreau.

Par la voie d’un recours en matière de droit public, l’avocat saisit le Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si l’absence d’information de l’autorité compétente de l’État de provenance de l’intéressé avant l’ouverture d’une procédure disciplinaire à son encontre doit conduire à l’annulabilité ou à la constatation de la nullité de la décision en cause.… Lire la suite

La publication d’un article diffamatoire rédigé par un tiers en tant qu’acte pénalement répréhensible

ATF 150 IV 433 | TF, 08.07.2024, 6B_1033/2023*

Le responsable d’un blog online qui publie un article diffamatoire reçu par un tiers sans vérifier la pertinence des propos y contenus se rend coupable de défaut d’opposition à une publication constituant une infraction prévue à l’art. 322bis CP.

Faits

Un blog online publie un article intitulé « Le TF condamne X pour avoir soustrait au fisc CHF 267’609 ». L’article reproche à cette personne d’avoir commis une « tricherie » et remet en question non seulement « sa crédibilité juridique » mais également « sa crédibilité morale ». En réalité, l’arrêt du Tribunal fédéral objet de l’article ne porte pas sur une soustraction fiscale mais sur une question de comptabilisation d’une avance sur indemnités ayant fait l’objet d’une reprise fiscale. L’article reste en ligne pendant six jours avant d’être retiré par le responsable du blog qui l’avait publié après l’avoir reçu d’un tiers.

Reconnu coupable de diffamation (art. 173 ch. 1 CP) en première instance, le responsable du blog est condamné en appel pour défaut d’opposition à une publication constituant une infraction (art. 322bis CP).

Saisi d’un recours par le responsable du blog, le Tribunal fédéral doit déterminer si la condamnation était justifiée en l’espèce.

Droit

Le Tribunal fédéral examine les conditions de l’infraction prévue à l’art. 322bis CP dans sa version en vigueur à la date du jugement d’appel attaqué (soit avant la révision entrée en vigueur au 1er juillet 2023, limitée à la peine), moment déterminant pour fixer la « mise en jugement » au sens de l’art. 2 al. 2 CP. Selon la teneur de l’ancien art. 322bis CP, « la personne responsable au sens de l’art. 28 al. 2 et 3 CP d’une publication constituant une infraction sera punie d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire si, intentionnellement, elle ne s’est pas opposée à la publication. Si elle a agi par négligence, la peine sera l’amende ». L’art. 28 CP prévoit que lorsqu’une infraction a été commise et consommée sous forme de publication par un média, seul l’auteur est punissable (al. 1); si l’auteur ne peut être découvert ou qu’il ne peut être traduit en Suisse devant un tribunal, le rédacteur responsable est punissable en vertu de l’art. 322bis CP (al. 2). À défaut de rédacteur, la personne responsable de la publication en cause est punissable en vertu du même article.

Le Tribunal fédéral examine comme suit les conditions préalables à l’application de l’art. 322bis CP:

  • Commission d’une infraction primaire ayant fait l’objet d’une publication (art. 28 al. 1 CP): La commission d’une infraction primaire est d’emblée reconnue, l’article litigieux contenant des propos diffamatoires. De même, le Tribunal fédéral reconnaît la présence d’une « publication », consistant en l’espèce dans le blog online qui a publié l’article litigieux.
  • Publication dans un média et infraction consommée de ce fait (art. 28 al. 1 CP): La notion de média est ouverte et évolutive et elle couvre tous les supports et moyens de communication. Le blog online tombe sans autre sous cette notion. S’agissant de la consommation par la publication, cette condition requiert que le comportement réprimé puisse se réaliser du seul fait qu’un tiers prenne connaissance de la pensée exprimée par écrit, par l’image ou le son. Les délits d’expression de la pensée (Gedankenäusserungsdelikte), dont les infractions contre l’honneur (art. 173 ss CP), rentrent dans le champ de cette notion. En l’espèce, l’infraction de diffamation peut constituer un délit de presse au sens de l’art. 28 CP, dès lors qu’elle est consommée par la publication dans un média.
  • Absence de qualification du prévenu en tant qu’auteur de l’infraction initiale: Selon l’art. 28 al. 1 CP, seul l’auteur est punissable, à l’exclusion des personnes qui participent à la chaîne de diffusion du média et rendent concrètement accessible au public l’écrit constitutif de l’infraction (libraire, vendeur de journaux, etc.). Par auteur, il faut entendre non seulement la personne qui a conçu le contenu litigieux, mais également celle qui charge un tiers de l’établir dans le but de le publier en son nom propre, ou encore celle qui se fait passer pour son auteur et en assume la responsabilité. En l’espèce, le recourant s’est limité à recevoir l’écrit litigieux et à le publier, de sorte que son rôle ne tombe sous aucun des cas de figure précités.
  • Absence d’identification du prévenu ou impossibilité de le traduire en Suisse devant un tribunal (art. 28 al. 2 CP): comme mentionné plus haut, pour que l’art. 322bis CP s’applique, l’auteur principal ne doit pas avoir été identifié ou il doit être impossible de le traduire en Suisse devant un tribunal. En l’espèce, les autorités de poursuite n’ont pas été en mesure d’identifier l’auteur de l’article diffamatoire. Les griefs du recourant par lesquels il reproche aux autorités de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires à cet effet (notamment: demander à l’hébergeur du blog online de dévoiler l’identité de l’auteur) sont sans pertinence dès lors que le recourant ne se souvenait pas s’il avait reçu l’article par courriel ou par courrier.

Les conditions préalables à l’application de l’art. 322bis CP étant réalisées, il s’agit de déterminer si les éléments constitutifs de cette infraction sont également remplis.

La personne prévenue de l’infraction prévue à l’art. 322bis CP doit être le responsable rédactionnel ou la personne responsable de la publication (art. 322bis cum art. 28 al. 2 CP). Le rédacteur est la personne disposant du pouvoir de décision sur la sélection des contenus destinés à être publiés et assumant la responsabilité pour ceux-ci. La personne responsable de la publication est en revanche celle qui peut effectivement exercer une surveillance sur la publication et a le pouvoir d’intervenir si besoin. En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que le recourant doit être qualifié de rédacteur responsable de son blog online puisqu’il décide des articles à publier. Lire la suite

La reconnaissance des mesures provisionnelles ordonnées ex parte

ATF 150 III 345 | TF, 12.08.2024c 5A_94/2024*

Les mesures provisionnelles ordonnées ex parte sont susceptibles d’être reconnues et exécutées selon les art. 32 ss CL lorsque leur reconnaissance est requise au terme d’une procédure d’opposition contradictoire respectant le droit d’être entendue de la partie contre laquelle elles sont prononcées.

Faits 

En 2018, le Tribunal de Bologne prononce un decreto ingiuntivo telematico provvisoriamente esecutivo immédiatement exécutoire, ordonnant à un débiteur de payer un montant de plus de € 16 millions. À la suite de l’opposition de celui-ci, le tribunal italien confirme ce decreto en 2021. Le débiteur interjette appel de cette décision. Cette procédure est pendante. À la teneur des attestations délivrées conformément à l’art. 54 CL, le decreto ainsi que la décision sur opposition sont exécutoires en Italie. 

En 2023, le créancier requiert le séquestre d’avoirs du débiteur détenus en Suisse, ainsi que la reconnaissance et l’exequatur du decreto auprès du Tribunal de première instance de Genève. Par deux ordonnances séparées, ce dernier ordonne le séquestre et déclare le decreto exécutoire en Suisse. 

Le débiteur forme alors recours auprès de la Cour de justice genevoise contre l’ordonnance déclarant le decreto exécutoire en Suisse. À la suite du rejet du recours par la Cour de justice, le débiteur porte l’affaire devant Tribunal fédéral.Lire la suite