La preuve des dommages-intérêts forfaitaires (liquidated damages) en droit suisse

TF, 28.04.2025, 4A_526/2024

Les parties sont libres de régler contractuellement le fardeau de la preuve. Ces dernières peuvent déroger au principe de l’art. 8 CC et dispenser le créancier de prouver l’existence du dommage. Dans un tel cas, le débiteur doit avoir la possibilité d’apporter la preuve de l’absence de dommage. 

Faits 

Deux sociétés concluent un Master Supply Agreement portant sur la vente et la livraison de piles pour appareils auditifs. Ce contrat ne contient aucune quantité minimale de commande, mais prévoit un accord de fourniture exclusive entre les sociétés et une clause de liquidated damages en cas de violation du contrat. Cette clause de forfaitisation dispense les parties de prouver l’étendue du dommage et prévoit une méthode de calcul spécifique afin de calculer l’indemnisation due. 

Plusieurs années après la conclusion du contrat, la société acheteuse réduit ses commandes, puis cesse de s’approvisionner auprès de la société vendeuse, pour s’approvisionner auprès d’une autre société. La société vendeuse estime ainsi que la société acheteuse viole le contrat et réclame les liquidated damages auprès du Handelsgericht de Zurich pour un montant de USD 14’885’536.86 avec intérêts. Le Handelsgericht admet la requête à hauteur de USD 10’963’160.12 avec intérêts. 

La société acheteuse interjette recours au Tribunal fédéral, lequel est amené à se déterminer sur la place des liquidated damages en droit suisse ainsi que sur l’allègement prévu contractuellement du fardeau de la preuve quant à l’existence du dommage. Lire la suite

Le refus de prolongation de l’autorisation de séjour d’un ressortissant de l’UE devenu inactif

TF, 30.01.2025, 2C_162/2024*

Un ressortissant de l’Union européenne devenu inactif après un accident de travail, qui ne  dispose ni de la qualité de travailleur (art. 6 Annexe I ALCP), ni d’un droit de demeurer après la fin de son activité économique (art. 4 al. 1 Annexe I ALCP), ne peut prétendre à la prolongation de son autorisation de séjour selon l’ALCP.

Faits

Arrivé en Suisse le 1er décembre 2017, un ressortissant français dispose d’un contrat de travail de durée indéterminée à plein temps auprès d’un établissement public lausannois. Sur cette base, il obtient une autorisation de séjour UE/AELE (permis B), valable jusqu’au 30 novembre 2022. Il ne travaille toutefois qu’en janvier 2018 pour l’établissement qui l’avait initialement engagé, avant d’alterner entre diverses activités lucratives et des périodes sans emploi.

En 2019, un accident entraîne un arrêt de travail à 100% pour l’employé, pratiquement ininterrompu entre le 24 août 2019 et le 13 août 2021. Par la suite, l’intéressé connaît de nouvelles périodes d’incapacité de travail entre juin 2022 et janvier 2023, à des degrés variant entre 70% et 100%.

En raison de son incapacité de travail, l’intéressé perçoit une rente AI entière du 1er novembre 2020 au 30 novembre 2021, puis des indemnités de l’assurance-chômage de novembre 2021 à mars 2022.Lire la suite

La régularité de la votation fédérale sur la réforme AVS 21

TF, 12.12.2024, 1C_487/2024*

(i) Toute irrégularité dans la diffusion d’informations au corps électoral ne franchit pas nécessairement le seuil de gravité suffisant pour conduire à une annulation de la votation concernée.

(ii) La sécurité du droit s’oppose à l’annulation d’une votation lorsque l’objet de cette votation est déjà entré en vigueur et qu’une annulation aurait des conséquences financières, juridiques et/ou organisationnelles importantes.

Faits 

Le 25 septembre 2022, le peuple suisse et les cantons s’expriment sur la réforme de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS 21), composée de deux objets : d’une part, le financement additionnel de l’AVS par le biais d’un relèvement de la TVA (accepté par 55,1 % des votant·e·s), d’autre part, la modification de la loi sur l’AVS (acceptée par 50,5 % des votant·e·s). Les explications du Conseil fédéral indiquent que le rejet de l’un des deux objets entraînerait l’échec de la réforme dans son ensemble.

Les deux objets entrent en vigueur le 1er janvier 2024. Certaines dispositions, en particulier le relèvement progressif de l’âge de la retraite des femmes, ne déploient toutefois leurs effets qu’à partir du 1er janvier 2025. Avant cette date, seules 4 mesures sont déjà effectives : relèvement de la TVA de 0,4 point, réduction du délai de carence pour avoir droit à une allocation pour impotent, flexibilisation de l’âge de perception de la rente AVS entre 63 et 70 ans et incitation à travailler grâce à une comptabilisation des cotisations effectuées après l’âge de la retraite dans le calcul de la rente.… Lire la suite

La qualification comme salaire d’une rémunération dont le montant est fixé à l’avance

TF, 19.02.2025, 4A_506/2023

Une rémunération dont le montant est fixé à l’avance, payable à des échéances déterminées et indépendante de l’appréciation de l’employeur doit être qualifiée de salaire. Pour cette raison, une clause subordonnant le paiement du salaire à la condition que le travailleur soit encore employé à une certaine date est illicite et nulle (art. 20 CO).

Faits

Le 2 septembre 2019, une société engage un travailleur pour un salaire annuel de CHF 448’800. Le contrat prévoit également un bonus discrétionnaire ainsi qu’une indemnité de compensation pour des actions restreintes (Restricted Stock Units ou RSU) non perçues dans son précédent emploi. Cette indemnité de CHF 700’000 est payable en trois tranches égales : la première à l’engagement, la deuxième après 12 mois de service et la troisième après 24 mois de service.

Moins d’une année après l’engagement du travailleur, la société doit licencier collectivement tous ses employés en raison de la dégradation de sa situation financière. Le contrat du travailleur est ainsi résilié au 31 août 2020. Dans ce cadre, la société propose de lui verser un montant comprenant le paiement de la deuxième tranche des RSU. Le travailleur conteste ce montant et réclame également le paiement de la troisième tranche.… Lire la suite

La Sperrwirkung de la litispendance en cas d’action civile adhésive

TF, 04.03.2025, 4A_249/2024*

Dans le cadre d’une action civile adhésive, la cognition du tribunal pénal est limitée aux prétentions extracontractuelles. Dans le contexte particulier d’un pouvoir de cognition limité, le fondement juridique devient également un critère pertinent pour apprécier la Sperrwirkung de la litispendance. La litispendance de l’action civile adhésive ne fait dès lors pas obstacle à une action en constatation négative portant sur des prétentions contractuelles.

Faits 

Une banque est dissoute par décision de son assemblée générale et est depuis lors en liquidation. Une société tierce produit une créance de CHF 20 millions à l’encontre de la banque dans la procédure de liquidation.

La banque introduit devant le Tribunal de commerce du canton de Zurich une action en constatation négative contre la société. Celle-ci invoque l’exception de litispendance au motif qu’elle a déjà fait valoir cette créance sous la forme d’une action civile adhésive dans le cadre d’une procédure pénale. Pour ce motif, le Tribunal de commerce refuse d’entrer en matière. Le Tribunal fédéral rejette le recours de la banque.

Trois ans plus tard, le Ministère public du canton de Zurich classe la procédure pénale. La société forme un recours contre le classement devant le Tribunal cantonal zurichois. La procédure est toujours pendante.… Lire la suite