Les voies de droit ouvertes en matière de preuve à futur
Lorsqu’une procédure de preuve à futur arrive à son terme, la décision par laquelle le juge statue sur les frais et dépens et raye la cause du rôle doit être attaquée par la voie du recours (art. 319 let. b ch. 2 CPC) et non par un appel (art. 308 ss CPC).
Faits
Un maître d’ouvrage constate que la machine qu’il a achetée auprès d’un entrepreneur présente des défauts. Par conséquent, il dépose une requête de preuve à futur contre l’entrepreneur devant la Justice de paix du district de Lausanne afin de constater lesdits défauts. La Juge de paix admet la requête et mandate un expert afin qu’il réponde à diverses questions concernant les prétendus défauts de la machine. Ce dernier rend son rapport le 30 juin 2021. La Juge de paix charge l’expert de répondre à des questions complémentaires en avril 2022, avant d’y renoncer en novembre 2022. Un échange d’écritures sur le sort des frais et dépens est ordonné le 10 janvier 2023.
Le 5 janvier 2023, parallèlement, le maître d’ouvrage ouvre une action au fond contre l’entrepreneur devant la Chambre patrimoniale vaudoise. L’entrepreneur introduit dès lors une requête d’irrecevabilité à l’encontre de la requête de preuve à futur le 22 février 2023, estimant que la Juge de paix n’est plus compétente matériellement en raison de l’ouverture de la procédure au fond. Par décision du 3 avril 2023, celle-ci rejette l’exception d’incompétence, met les frais et dépens à la charge du maître d’ouvrage et raye la cause du rôle. La décision indique qu’un recours peut être introduit dans un délai de dix jours à partir de sa notification.
Malgré cette indication, l’entrepreneur fait appel contre la décision de la Juge de paix, mais la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois déclare l’appel irrecevable, considérant que la décision aurait dû être attaquée par un recours. L’entrepreneur saisit alors Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur la voie de recours appropriée contre une décision de radiation du rôle d’une procédure de preuve à futur.
Droit
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que la procédure de preuve à futur prévue par l’art. 158 CPC a pour objectif de faire constater ou apprécier un certain état de fait. Elle peut intervenir dans trois cas : lorsque la loi confère le droit d’en faire la demande (art. 158 al. 1 let. a CPC), lorsque la preuve est mise en danger (art. 158 al. 1 let. b CPC) ou lorsque le requérant rend vraisemblable un intérêt digne de protection (art. 158 al. 1 let. b CPC). Le tribunal ne statue pas sur le fond de l’affaire et n’examine pas les chances de succès de la prétention matérielle du requérant.
Le Tribunal fédéral souligne que la voie de recours adéquate contre une décision en matière de preuve à futur dépend de la nature de la décision rendue ainsi que du stade de la procédure auquel elle intervient.
Tout d’abord, les décisions de rejet de la requête de preuve à futur peuvent faire l’objet d’un appel conformément à l’art. 308 al. 1 CPC, ou subsidiairement d’un recours limité au droit (art. 319 let. a CPC) si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 10’000.
Ensuite, les décisions d’admission de la requête de preuve à futur ordonnant l’administration d’un moyen de preuve sont des ordonnances d’instruction. Elles ne sont sujettes à un recours (art. 319 let. b ch. 2 CPC) que si elles sont susceptibles de causer un préjudice difficilement réparable à l’une des parties. Toutefois, dans la mesure où les moyens de preuve administrés peuvent être écartés ou administrés à nouveau par le tribunal saisi de la cause au fond, un tel préjudice n’est en principe pas retenu.
Les décisions portant sur les difficultés survenant lors de l’administration d’un moyen de preuve peuvent quant à elles relever de catégories distinctes. Certaines sont qualifiées d’autres décisions au sens de l’art. 319 let. b ch. 1 CPC – notamment lorsqu’il s’agit de la récusation de l’expert (art. 50 al. 2 CPC) -, et d’autres sont des ordonnances d’instruction, par exemple lorsque le tribunal se prononce sur la mise en péril de secrets d’affaires du défendeur.
Finalement, les décisions qui portent sur les frais et dépens tout en rayant la cause du rôle sont des décisions de clôture d’une procédure devenue sans objet au sens de l’art. 242 CPC. N’étant pas des décisions au sens de l’art. 236 CPC, elles ne peuvent pas faire l’objet d’un appel. Ce sont des ordonnances d’instruction d’un type particulier qui ne peuvent être attaquées que par un recours selon l’art. 319 let. b ch. 2 CPC, dans la mesure où elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable.
En l’espèce, lors de l’introduction de la procédure au fond, l’administration de la preuve à futur était déjà terminée, le rapport d’expertise ayant été déposé le 30 juin 2021. La finalisation de l’administration de la preuve a rendu la procédure sans objet, ce qui a mis un terme à celle-ci avant que la décision ne soit rendue. La décision de radiation n’était donc qu’une constatation formelle de la clôture de la procédure. Par conséquent, la requête d’irrecevabilité de l’entrepreneur était elle-même sans objet, puisqu’elle visait une procédure qui était déjà terminée.
En ce qui concerne la voie de recours, la décision de la Juge de paix qui fixe les frais et dépens et raye la cause du rôle est une décision de radiation au sens de l’art. 242 CPC. Elle doit être attaquée par un recours selon l’art. 319 let. b ch. 2 CPC, ce qui était par ailleurs indiqué au pied de la décision. L’interprétation du recourant, selon laquelle il s’agirait d’une décision finale sujette à appel au sens de l’art. 308 al. 1 let. b CPC, est erronée.
Partant, dès lors que le recourant ne conteste ni le refus de la cour cantonale de convertir son appel en recours, ni le reproche selon lequel il n’a pas démontré en quoi la décision attaquée lui causerait un préjudice irréparable, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Johann Melet, Les voies de droit ouvertes en matière de preuve à futur, in: https://lawinside.ch/1550/