L’absence de crimes ou délits routiers comme circonstance atténuante pour les jeunes conducteurs (art. 90 al. 3ter LCR)

TF, 13.11.2024, 6B_1372/2023*

L’art. 90 al. 3ter LCR, qui permet au juge de prononcer une peine pécuniaire à la place d’une peine privative de liberté à l’égard des conducteurs qui n’ont pas été condamnés pour crimes ou délits routiers au cours des dix dernières années, est également applicable aux conducteurs qui possèdent leur permis depuis une durée inférieure à dix ans.

Faits

Un jeune conducteur de 22 ans, deux ans après l’obtention de son permis à l’essai (« deux phases »), circule sur une autoroute du canton de Genève. Il atteint la vitesse de 153 km/h sur un tronçon dont la vitesse maximale est 80 km/h, soit un dépassement de vitesse autorisée de 66 km/h après avoir soustrait la marge de sécurité de 7 km/h. Son casier judiciaire fait état de deux infractions, lesquelles n’ont pas de rapport avec la circulation routière.

Le Tribunal de police de la République et canton de Genève condamne le conducteur pour violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation routière ; il écope d’une peine privative de liberté de 12 mois assortie d’un sursis ainsi qu’un délai d’épreuve de 3 ans. La Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de Justice genevoise révise partiellement le jugement : elle condamne le conducteur à une peine pécuniaire de 180 jours-amende à CHF 30 l’unité.

Le Ministère public forme recours en matière pénale au Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur l’interprétation de l’art. 90 al. 3ter LCR.

Droit

L’art. 90 al. 3 LCR punit d’une peine privative de liberté d’un à quatre ans quiconque commet une violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation et de ce fait, accepte de courir un grand risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort. L’art. 90 al. 3ter LCR, entré en vigueur le 1er octobre 2023, prévoit que l’auteur peut être condamné à une peine privative de quatre ans au plus ou à une peine pécuniaire s’il n’a pas été condamné au cours des 10 dernières années précédant les faits pour un crime ou délit routier ayant mis en danger la sécurité de tiers, ayant entraîné des blessures ou ayant entraîné la mort. L’art. 90 al. 3ter LCR aménage donc un régime plus favorable que l’art. 90 al. 3 LCR, puisqu’il permet d’infliger une peine pécuniaire plutôt qu’une peine privative de liberté à l’encontre des automobilistes qui n’ont pas commis de crimes ou de délits routiers durant les 10 dernières années.

Selon le Ministère public, la règle de l’art. 90 al. 3ter LCR ne serait pas applicable aux nouveaux conducteurs, car ils ne bénéficient pas d’une décennie d’expérience de conduite. La disposition ne déploierait son régime qu’aux conducteurs qui ont agi de manière irréprochable pendant de nombreuses années, ce qui n’est à l’évidence pas le cas des jeunes conducteurs.

Du point de vue littéral, le texte de l’art. 90 al. 3ter LCR ne fait aucunement référence à une date d’obtention du permis ou à un nombre d’années de conduite minimale.

D’un point de vue historique et téléologique, tant la version proposée par le Conseil fédéral que la version finale adoptée par le Conseil des États avaient pour objectif d’accorder une plus grande marge d’appréciation aux tribunaux, afin qu’ils puissent prendre en compte les circonstances du cas d’espèce et éviter des cas de rigueur inutiles, en particulier car les juges ne sont plus liés par la peine minimale d’un an de peine privative de liberté.

Au terme de l’interprétation de la norme, le Tribunal fédéral conclut que les condamnations d’un auteur « au cours des dix années précédant les faits » ne dépendent pas de la date d’obtention du permis ou du nombre d’années d’expérience de conduite. Une telle interprétation de l’art. 90 al. 3ter LCR ne ressort ni du texte de la loi ni des débats parlementaires. En conséquence, la Cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en considérant que le jeune conducteur au bénéfice d’un permis depuis moins de dix ans pouvait bénéficier de la circonstance atténuante de l’art. 90 al. 3ter LCR.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note (par Emilie Jacot-Guillarmod)

Le Tribunal fédéral relève que l’art. 90 al. 3ter LCR pose plusieurs problèmes : d’une part, cette disposition instaure une inégalité de traitement en fonction de l’âge de l’auteur : plus il est âgé, plus il a été confronté au risque de commettre des délits ou infractions de la route. D’autre part, elle contredit le principe bien établi (notamment ATF 141 IV 61, 136 IV 1 et 150 IV 273) selon lequel l’absence d’antécédents n’a en principe pas pour effet d’atténuer la peine, mais uniquement un effet neutre sur la fixation de celle-ci. Nous lisons ceci comme une façon pour le Tribunal fédéral de signaler au législateur son souhait d’une amélioration de la loi.

Cela étant, l’art. 90 al. 3ter LCR est le fruit d’un compromis politique délicat. La peine privative de liberté minimale d’un an pour le « délit de chauffard » de l’art. 90 al. 3 LCR est entrée en vigueur en 2013, dans le cadre du programme fédéral « Via Sicura ». Depuis, elle a été largement contestée par l’opinion publique. Une initiative populaire contre « les excès de Via Sicura » a cherché à l’abolir en 2017, mais n’a pas abouti, faute de signatures suffisantes. Peu après, le Conseil fédéral a néanmoins proposé de renoncer à cette peine minimale, notamment afin « d’optimiser encore le programme Via Sicura en termes d’acceptabilité et d’efficacité » (Conseil fédéral, évaluation du programme Via Sicura, 28.06.2017). Craignant un référendum, le Parlement a choisi une approche plus nuancée en n’exemptant de la peine minimale d’un an de peine privative de liberté que les auteurs non récidivistes pendant la période précitée de dix ans et ainsi adopté l’art. 90 al. 3ter LCR. Les critiques du Tribunal fédéral à l’encontre de cette disposition laissent présager la continuation de ce débat juridico-politique.

Proposition de citation : Arnaud Lambelet and Emilie Jacot-Guillarmod, L’absence de crimes ou délits routiers comme circonstance atténuante pour les jeunes conducteurs (art. 90 al. 3ter LCR), in: https://lawinside.ch/1548/