L’action négative en responsabilité du fait des produits et le for du lieu de commission de l’acte illicite

TF, 22.04.2024, 4A_249/2023*

L’action en constatation négative peut être introduite au for du lieu de commission de l’acte illicite (art. 5 par. 3 CL). En matière de produit défectueux, le lieu de commission se trouve au lieu où le producteur, dont la responsabilité est mise en cause, a lui-même agi, sans égard au lieu de fabrication des pièces détachées potentiellement à l’origine du défaut.

Faits

Une société ayant son siège en Suisse produit divers articles de sports. Elle commercialise notamment un modèle de vélo de course. Si la conception de ce dernier s’effectue en Suisse, diverses pièces sont fabriquées en Chine, puis assemblées aux Pays-Bas. La distribution s’opère depuis la Belgique.

Un cycliste domicilié à Grossetto en Italie achète un exemplaire de ce modèle. En juin 2017, il est victime d’une chute alors qu’il utilise ce vélo en Sardaigne. Il est alors hospitalisé.

Selon l’expertise judiciaire ordonnée par voie de preuve à futur en Italie, la chute aurait été causée par une rupture de la fourche du vélo, elle-même causée par un défaut du matériel composite, à savoir la fibre de carbone.

En 2021, la société ouvre action en constatation de droit négative à Fribourg. Elle fonde la compétence locale du tribunal sur le for du lieu de commission de l’acte illicite au sens de l’art.Lire la suite

La légitimation passive du médecin opérant en milieu hospitalier

TF, 21.12.2023, 4A_614/2021

Il incombe au demandeur qui invoque la responsabilité du médecin à la suite d’une opération pratiquée en milieu hospitalier d’établir la légitimation passive de ce dernier. Pour ce faire, il doit établir l’existence d’un contrat de soins le liant au praticien, excluant que celui-ci ait pratiqué l’opération en tant qu’auxiliaire de l’établissement de soins dans l’exécution d’un contrat d’hospitalisation global.

Faits

En 2005, une femme âgée de 41 ans consulte un gynécologue dans son cabinet. Ce dernier procède à une échographie qui révèle la présence de myomes, soit des tumeurs bénignes affectant l’utérus de la patiente. Il lui propose de procéder à une myomectomie. La patiente y consent sans avoir été informée des complications éventuelles. L’opération est réalisée sous la direction du gynécologue à l’Hôpital de la Riviera. Le lendemain, la patiente est réopérée à la suite d’un saignement abdominal.

En 2007, une nouvelle échographie révèle chez la patiente la présence de trois nouveaux myomes qui n’étaient pas présents lors de l’opération en 2005. La patiente subit une nouvelle opération dirigée par le même gynécologue. Le lendemain, elle présente des douleurs abdominales. Il s’avère qu’elle souffre d’une péritonite causée par une brèche digestive de 3 mm.… Lire la suite

L’amiante et le droit suisse de la prescription: nouveau camouflet par la CourEDH

CourEDH, 13.02.2024, Affaire Jann-Zwicker et Jann c. Suisse, requête 4976/20

Dans les circonstances exceptionnelles propres aux victimes de l’exposition à l’amiante, l’application des délais de prescription absolus par les autorités suisses (en particulier la manière de déterminer le dies a quo) a eu pour effet de restreindre le droit d’accès à un tribunal des requérants au point de porter atteinte à l’essence même de ce droit. Il y a donc eu violation de l’art. 6 § 1 CEDH.

Faits

Entre 1961 et 1972, Marcel Jann vit avec ses parents à Niederurnen (GL), dans une maison appartenant à la société Eternit AG, à proximité immédiate de l’usine de la société. Des minéraux d’amiante fibreux y sont transformés en panneaux d’amiante-ciment. Au cours de cette période, Marcel Jann est régulièrement exposé à l’amiante. D’une part, les émissions de poussière de l’usine entrent par les fenêtres de sa chambre à coucher. De l’autre, il joue souvent sur et autour des panneaux et des tuyaux utilisés par l’usine Eternit. En outre, il assiste régulièrement au déchargement des sacs d’amiante à la gare.

Marcel Jann quitte Niederurnen à l’âge de 19 ans et n’est plus exposé à l’amiante par la suite, laquelle est interdite en Suisse en 1989.… Lire la suite

Le scandale du dieselgate et la notion de dommage

TF, 09.05.2023, 4A_17/2023

En droit suisse, la notion de dommage s’apprécie en application de la théorie de la différence qui se fonde sur l’état du patrimoine à deux moments précis. Ainsi, à défaut de perte patrimoniale, il n’y a pas de dommage. En ce sens, les dommages dits normatifs ne sont pas réparés en droit suisse, excepté le dommage ménager et l’aide gratuite apportée par les proches. Toute autre conception « normative » est exclue. En particulier, le fait d’avoir conclu un contrat qui n’aurait raisonnablement pas été conclu en toute connaissance de cause ne fonde pas un dommage.

Faits 

En 2010, une femme (la recourante) achète un véhicule d’une marque connue, équipé d’un moteur diesel. Ce véhicule a été fabriqué par une filiale sise en Suisse dont la société mère a son siège en Allemagne (la société intimée). Par communiqué officiel en 2015, la société intimée indique que certains de ses véhicules équipés d’un moteur diesel présentent des écarts significatifs entre les données officielles relatives aux émissions de CO2 et celles de conduite réelle. Quelque temps plus tard, elle met à disposition des détenteurs de véhicules concernés un logiciel gratuit permettant de les mettre aux normes. La recourante n’installe toutefois pas ce logiciel sur son véhicule, qui est alors interdit de circulation en 2018.Lire la suite

La faute grave du piéton distrait par son portable lors d’un accident de tram

ATF 148 III 343 TF, 20.05.2022, 4A_179/2021*

Le détenteur d’une entreprise ferroviaire répond en principe du préjudice causé par la réalisation d’un risque d’exploitation (art. 40b al. 1 LCdF). Cette responsabilité peut toutefois être totalement écartée dans le cas d’une victime happée par un tram après s’être brusquement engagée sur les rails, sans aucune vérification et en regardant son téléphone portable. Un tel comportement constitue une faute grave au sens de l’art. 40c al. 2 let. b LCdF.

Faits

Une personne est grièvement blessée dans une collision avec un tram. Au moment de l’accident, la victime se trouvait à un arrêt situé à proximité de son domicile, le dos tourné au tram qui arrivait. Elle s’est engagée brusquement sur les rails en regardant son téléphone portable et a été happée par le véhicule. L’accident s’est produit par beau temps, sur une ligne droite et dans de bonnes conditions de visibilité.

La victime ouvre une action partielle contre la commune responsable de l’exploitation du tram et demande le versement d’une indemnité pour tort moral. Après avoir limité la procédure à la question de la responsabilité, le Tribunal de district de Zurich admet la responsabilité de la commune dans son principe.Lire la suite