TF, 08.07.2024, 6B_1033/2023*
Le responsable d’un blog online qui publie un article diffamatoire reçu par un tiers sans vérifier la pertinence des propos y contenus se rend coupable de défaut d’opposition à une publication constituant une infraction prévue à l’art. 322bis CP.
Faits
Un blog online publie un article intitulé « Le TF condamne X pour avoir soustrait au fisc CHF 267’609 ». L’article reproche à cette personne d’avoir commis une « tricherie » et remet en question non seulement « sa crédibilité juridique » mais également « sa crédibilité morale ». En réalité, l’arrêt du Tribunal fédéral objet de l’article ne porte pas sur une soustraction fiscale mais sur une question de comptabilisation d’une avance sur indemnités ayant fait l’objet d’une reprise fiscale. L’article reste en ligne pendant six jours avant d’être retiré par le responsable du blog qui l’avait publié après l’avoir reçu d’un tiers.
Reconnu coupable de diffamation (art. 173 ch. 1 CP) en première instance, le responsable du blog est condamné en appel pour défaut d’opposition à une publication constituant une infraction (art. 322bis CP).
Saisi d’un recours par le responsable du blog, le Tribunal fédéral doit déterminer si la condamnation était justifiée en l’espèce.
Droit
Le Tribunal fédéral examine les conditions de l’infraction prévue à l’art. 322bis CP dans sa version en vigueur à la date du jugement d’appel attaqué (soit avant la révision entrée en vigueur au 1er juillet 2023, limitée à la peine), moment déterminant pour fixer la « mise en jugement » au sens de l’art. 2 al. 2 CP. Selon la teneur de l’ancien art. 322bis CP, « la personne responsable au sens de l’art. 28 al. 2 et 3 CP d’une publication constituant une infraction sera punie d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire si, intentionnellement, elle ne s’est pas opposée à la publication. Si elle a agi par négligence, la peine sera l’amende ». L’art. 28 CP prévoit que lorsqu’une infraction a été commise et consommée sous forme de publication par un média, seul l’auteur est punissable (al. 1); si l’auteur ne peut être découvert ou qu’il ne peut être traduit en Suisse devant un tribunal, le rédacteur responsable est punissable en vertu de l’art. 322bis CP (al. 2). À défaut de rédacteur, la personne responsable de la publication en cause est punissable en vertu du même article.
Le Tribunal fédéral examine comme suit les conditions préalables à l’application de l’art. 322bis CP:
- Commission d’une infraction primaire ayant fait l’objet d’une publication (art. 28 al. 1 CP): La commission d’une infraction primaire est d’emblée reconnue, l’article litigieux contenant des propos diffamatoires. De même, le Tribunal fédéral reconnaît la présence d’une « publication », consistant en l’espèce dans le blog online qui a publié l’article litigieux.
- Publication dans un média et infraction consommée de ce fait (art. 28 al. 1 CP): La notion de média est ouverte et évolutive et elle couvre tous les supports et moyens de communication. Le blog online tombe sans autre sous cette notion. S’agissant de la consommation par la publication, cette condition requiert que le comportement réprimé puisse se réaliser du seul fait qu’un tiers prenne connaissance de la pensée exprimée par écrit, par l’image ou le son. Les délits d’expression de la pensée (Gedankenäusserungsdelikte), dont les infractions contre l’honneur (art. 173 ss CP), rentrent dans le champ de cette notion. En l’espèce, l’infraction de diffamation peut constituer un délit de presse au sens de l’art. 28 CP, dès lors qu’elle est consommée par la publication dans un média.
- Absence de qualification du prévenu en tant qu’auteur de l’infraction initiale: Selon l’art. 28 al. 1 CP, seul l’auteur est punissable, à l’exclusion des personnes qui participent à la chaîne de diffusion du média et rendent concrètement accessible au public l’écrit constitutif de l’infraction (libraire, vendeur de journaux, etc.). Par auteur, il faut entendre non seulement la personne qui a conçu le contenu litigieux, mais également celle qui charge un tiers de l’établir dans le but de le publier en son nom propre, ou encore celle qui se fait passer pour son auteur et en assume la responsabilité. En l’espèce, le recourant s’est limité à recevoir l’écrit litigieux et à le publier, de sorte que son rôle ne tombe sous aucun des cas de figure précités.
- Absence d’identification du prévenu ou impossibilité de le traduire en Suisse devant un tribunal (art. 28 al. 2 CP): comme mentionné plus haut, pour que l’art. 322bis CP s’applique, l’auteur principal ne doit pas avoir été identifié ou il doit être impossible de le traduire en Suisse devant un tribunal. En l’espèce, les autorités de poursuite n’ont pas été en mesure d’identifier l’auteur de l’article diffamatoire. Les griefs du recourant par lesquels il reproche aux autorités de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires à cet effet (notamment: demander à l’hébergeur du blog online de dévoiler l’identité de l’auteur) sont sans pertinence dès lors que le recourant ne se souvenait pas s’il avait reçu l’article par courriel ou par courrier.
Les conditions préalables à l’application de l’art. 322bis CP étant réalisées, il s’agit de déterminer si les éléments constitutifs de cette infraction sont également remplis.
La personne prévenue de l’infraction prévue à l’art. 322bis CP doit être le responsable rédactionnel ou la personne responsable de la publication (art. 322bis cum art. 28 al. 2 CP). Le rédacteur est la personne disposant du pouvoir de décision sur la sélection des contenus destinés à être publiés et assumant la responsabilité pour ceux-ci. La personne responsable de la publication est en revanche celle qui peut effectivement exercer une surveillance sur la publication et a le pouvoir d’intervenir si besoin. En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que le recourant doit être qualifié de rédacteur responsable de son blog online puisqu’il décide des articles à publier. Lire la suite
La publication d’un article diffamatoire rédigé par un tiers en tant qu’acte pénalement répréhensible
/dans Droit pénal/par Simone SchürchTF, 08.07.2024, 6B_1033/2023*
Le responsable d’un blog online qui publie un article diffamatoire reçu par un tiers sans vérifier la pertinence des propos y contenus se rend coupable de défaut d’opposition à une publication constituant une infraction prévue à l’art. 322bis CP.
Faits
Un blog online publie un article intitulé « Le TF condamne X pour avoir soustrait au fisc CHF 267’609 ». L’article reproche à cette personne d’avoir commis une « tricherie » et remet en question non seulement « sa crédibilité juridique » mais également « sa crédibilité morale ». En réalité, l’arrêt du Tribunal fédéral objet de l’article ne porte pas sur une soustraction fiscale mais sur une question de comptabilisation d’une avance sur indemnités ayant fait l’objet d’une reprise fiscale. L’article reste en ligne pendant six jours avant d’être retiré par le responsable du blog qui l’avait publié après l’avoir reçu d’un tiers.
Reconnu coupable de diffamation (art. 173 ch. 1 CP) en première instance, le responsable du blog est condamné en appel pour défaut d’opposition à une publication constituant une infraction (art. 322bis CP).
Saisi d’un recours par le responsable du blog, le Tribunal fédéral doit déterminer si la condamnation était justifiée en l’espèce.
Droit
Le Tribunal fédéral examine les conditions de l’infraction prévue à l’art. 322bis CP dans sa version en vigueur à la date du jugement d’appel attaqué (soit avant la révision entrée en vigueur au 1er juillet 2023, limitée à la peine), moment déterminant pour fixer la « mise en jugement » au sens de l’art. 2 al. 2 CP. Selon la teneur de l’ancien art. 322bis CP, « la personne responsable au sens de l’art. 28 al. 2 et 3 CP d’une publication constituant une infraction sera punie d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire si, intentionnellement, elle ne s’est pas opposée à la publication. Si elle a agi par négligence, la peine sera l’amende ». L’art. 28 CP prévoit que lorsqu’une infraction a été commise et consommée sous forme de publication par un média, seul l’auteur est punissable (al. 1); si l’auteur ne peut être découvert ou qu’il ne peut être traduit en Suisse devant un tribunal, le rédacteur responsable est punissable en vertu de l’art. 322bis CP (al. 2). À défaut de rédacteur, la personne responsable de la publication en cause est punissable en vertu du même article.
Le Tribunal fédéral examine comme suit les conditions préalables à l’application de l’art. 322bis CP:
Les conditions préalables à l’application de l’art. 322bis CP étant réalisées, il s’agit de déterminer si les éléments constitutifs de cette infraction sont également remplis.
La personne prévenue de l’infraction prévue à l’art. 322bis CP doit être le responsable rédactionnel ou la personne responsable de la publication (art. 322bis cum art. 28 al. 2 CP). Le rédacteur est la personne disposant du pouvoir de décision sur la sélection des contenus destinés à être publiés et assumant la responsabilité pour ceux-ci. La personne responsable de la publication est en revanche celle qui peut effectivement exercer une surveillance sur la publication et a le pouvoir d’intervenir si besoin. En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que le recourant doit être qualifié de rédacteur responsable de son blog online puisqu’il décide des articles à publier. Lire la suite
La reconnaissance des mesures provisionnelles ordonnées ex parte
/dans LDIP, LP/par Ismaël BoubrahimiTF, 12.08.2024, 5A_94/2024*
Les mesures provisionnelles ordonnées ex parte sont susceptibles d’être reconnues et exécutées selon les art. 32 ss CL lorsque leur reconnaissance est requise au terme d’une procédure d’opposition contradictoire respectant le droit d’être entendue de la partie contre laquelle elles sont prononcées.
Faits
En 2018, le Tribunal de Bologne prononce un decreto ingiuntivo telematico provvisoriamente esecutivo immédiatement exécutoire, ordonnant à un débiteur de payer un montant de plus de € 16 millions. À la suite de l’opposition de celui-ci, le tribunal italien confirme ce decreto en 2021. Le débiteur interjette appel de cette décision. Cette procédure est pendante. À la teneur des attestations délivrées conformément à l’art. 54 CL, le decreto ainsi que la décision sur opposition sont exécutoires en Italie.
En 2023, le créancier requiert le séquestre d’avoirs du débiteur détenus en Suisse, ainsi que la reconnaissance et l’exequatur du decreto auprès du Tribunal de première instance de Genève. Par deux ordonnances séparées, ce dernier ordonne le séquestre et déclare le decreto exécutoire en Suisse.
Le débiteur forme alors recours auprès de la Cour de justice genevoise contre l’ordonnance déclarant le decreto exécutoire en Suisse. À la suite du rejet du recours par la Cour de justice, le débiteur porte l’affaire devant Tribunal fédéral.… Lire la suite
La fixation de la sûreté pour les frais non couverts par la masse en faillite (art. 230 al. 2 LP)
/dans LP/par André Lopes Vilar de OuroTF, 06.11.2024, 5A_376/2024*
Les frais de réalisation des objets mis en gage ne doivent pas être couverts par la masse en faillite. Ils ne font pas partie des frais non couverts par la masse au sens de l’art. 230 al. 2 LP et ne doivent donc pas être pris en compte lors de la fixation du montant de la sûreté.
Faits
Le Kantonsgericht du canton de Zoug refuse le sursis concordataire définitif à une entreprise et ouvre une procédure de faillite à son encontre. L’Obergericht rejette le recours formé par l’entreprise. L’Office des faillites du canton de Zoug dresse l’inventaire des biens faisant partie de la masse en faillite. Dans cet inventaire figurent entre autres des immeubles en Allemagne. L’Office des faillites publie dans la Feuille officielle suisse du commerce (FOSC) la suspension de la procédure de faillite de l’entreprise, faute d’actifs, à moins qu’un créancier n’en exige l’exécution dans les dix jours et ne fournisse une sûreté de CHF 200’000 pour couvrir les frais.
Deux créanciers recourent contre cette décision auprès de l’Obergericht du canton de Zoug. Ils demandent que la décision de l’Office des faillites soit annulée et que la sûreté soit fixée à CHF 0, subsidiairement au maximum à CHF 12’000.… Lire la suite
La hausse de loyer admissible suite à la rénovation d’un appartement
/dans Droit des contrats/par Margaux CollaudTF, 30.07.2024, 4A_75/2022*
La nouvelle jurisprudence du Tribunal fédéral concernant le rendement net admissible des fonds propres s’applique au rendement admissible pour le calcul d’une hausse de loyer motivée par des investissements à plus-value. Partant, le calcul du rendement de l’investissement à plus-value se fonde sur un rendement de 2% en sus du taux hypothécaire de référence (si celui-ci est inférieur ou égal à 2%).
Faits
En 1983, les parties concluent un contrat de bail portant sur un appartement de 5 pièces à Genève. Quelques années plus tard, la bailleresse indexe le loyer en se réservant le droit d’augmenter le loyer en cours de bail en cas de prestations supplémentaires de sa part. Les locataires ne s’opposent pas.
En 2015, la bailleresse rénove entièrement l’appartement. En 2019, elle adresse un avis de majoration de loyer en raison des prestations supplémentaires qu’elle a fournies. Le loyer passe de CHF 905 à CHF 1’420 par mois.
Les locataires contestent l’augmentation de loyer en commission de conciliation et demandent simultanément une réduction de loyer en raison de la baisse du taux hypothécaire de référence. Non conciliée, la cause est portée devant le Tribunal des baux et loyers de Genève.
Le Tribunal des baux et loyers fixe le loyer mensuel à CHF 1’117.… Lire la suite
Les conditions de la détention avant jugement fondée sur un risque simple de récidive (art. 221 al. 1 let. c CPP)
/dans Procédure pénale/par Yoann StettlerTF, 19.11.2024, 7B_1035/2024*
Suite à l’entrée en vigueur de la révision du CPP, le Tribunal fédéral modifie sa jurisprudence relative à l’art. 221 al. 1 let. c CPP. Un prévenu ne peut être placé en détention avant jugement en raison d’un risque simple de récidive que s’il a été auparavant condamné pour au moins deux infractions du même genre dans des décisions passées en force.
Faits
Le ministère public du canton de Zurich condamne un prévenu par ordonnance pénale à une peine pécuniaire pour lésions corporelles simples et rixe.
Quelques mois plus tard, le ministère public ouvre une autre procédure pénale contre le même prévenu pour des faits d’agression. Le tribunal des mesures de contrainte du canton de Zurich place le prévenu en détention provisoire en raison d’un risque de collusion. Par la suite, le prévenu fait des aveux et forme une demande de mise en liberté. Le tribunal des mesures de contrainte rejette cette demande au motif qu’un risque de récidive simple existe (art. 221 al. 1 let. c CPP).
L’Obergericht du canton de Zurich ayant confirmé cette décision, le prévenu interjette recours au Tribunal fédéral, lequel est amené à revenir sur sa jurisprudence relative à l’exigence d’infractions préalables de l’art.… Lire la suite