Entrées par Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui

EDF c. Espagne : Charte de l’énergie et arbitrage – le droit international prévaut sur le droit communautaire

TF, 03.04.2024, 4A_244/2023*

L’art. 26 TCE déploie son régime d’arbitrage d’investissement à l’égard des litiges intra-européens ; les normes du droit de l’UE n’empêchent pas son application et n’écartent pas le consentement d’un État partie au traité à procéder à l’arbitrage (désaccord avec la jurisprudence de la CJUE).

Faits

Dans le courant des années 2000, l’Espagne adopte deux décrets destinés à mettre en œuvre des directives européennes. Ces décrets ont pour objectif de favoriser la production d’énergie renouvelable et fixent un prix d’achat déterminé pour des kilowattheures générés par des installations photovoltaïques qualifiées. Durant la période de validité des décrets, une société française acquiert douze installations photovoltaïques sur le territoire espagnol, toutes soumises à ce régime tarifaire attractif.

Ce mécanisme d’encouragement connaît un succès fulgurant et attire de nombreux investisseurs en quelques mois seulement. Il entraîne ce faisant un écart croissant, qualifié de déficit tarifaire, entre les frais d’accès à l’électricité (c’est-à-dire le montant payé par les clients pour leur consommation d’électricité) et les coûts réglementés du marché électrique espagnol, lesquels comprennent les frais liés aux mécanismes de soutien aux énergies renouvelables. Afin de lutter contre ce déficit, l’Espagne abroge les deux décrets en 2010 et 2013 ; elle les remplace par d’autres réglementations qui assurent un rendement raisonnable aux producteurs.… Lire la suite

Le mécanisme de la demeure (art. 107 CO) s’applique au droit de retour anticipé du droit de superficie

TF, 12.12.2023, 5A_941/2022*

Le mécanisme de la demeure (art. 107 CO) s’applique au droit de retour anticipé du droit de superficie (art. 779 ss CC). Le créancier a ainsi l’obligation de sommer le débiteur d’exécuter ses obligations contractuelles et de lui fixer un délai de grâce avant de pouvoir exercer son droit de retour.

Faits

Une commune accorde à un exploitant une servitude personnelle de superficie pour une durée de 99 ans afin de construire et d’exploiter un hôtel-restaurant. Le contrat précise qu’en cas de dénonciation du contrat de superficie par la commune en raison d’une faute du superficiant, une commission de trois experts estime l’indemnité équitable due en échange du retour des bâtiments. En 2017, la commune dénonce le contrat de superficie ; elle agit en justice en 2018 et conclut à la radiation du droit de superficie et au paiement de l’indemnité équitable.

Le Tribunal civil de l’arrondissement de la Broye constate que la commune a valablement dénoncé le contrat ; il se déclare incompétent au surplus, renvoyant à la commission d’expert pour chiffrer l’indemnité. La 1Cour d’appel civil du Tribunal cantonal de l’État de Fribourg rejette l’appel du superficiant et confirme le jugement de première instance.… Lire la suite

La déclaration de compensation devant le Tribunal fédéral

TF, 25.09.2023, 4A_428/2022*

Pour qu’une objection de compensation soit prise en compte par le Tribunal fédéral, elle doit avoir fait l’objet d’une déclaration devant une instance précédente.

Faits

Une société active dans la promotion immobilière et son actionnaire unique concluent, en qualité d’apporteurs, un contrat de base (Grundvertrag) avec un tiers. Les parties conviennent de réaliser deux quasi-fusions ; les apporteurs devant céder à une société appartenant au tiers deux sociétés immobilières, l’une déjà existante, l’autre devant être créée.

En 2014, dans le prolongement du contrat de base, les apporteurs conviennent avec la société appartenant au tiers deux contrats d’apport en nature aux termes desquels la société du tiers reçoit les parts des deux sociétés immobilières moyennant le paiement d’un prix. Ces deux contrats d’apport prévoient que des droits et obligations qui en découlent ne peuvent être cédés que moyennant l’accord écrit préalable des parties. Malgré cette clause de restriction de cessibilité, en 2016, les apporteurs cèdent à une fondation panaméenne des créances dont ils disposent contre la société appartenant au tiers au titre des deux contrats d’apport.

En 2017, les apporteurs et le tiers conviennent d’un contrat de liquidation (Erledigunsvertrag) aux termes duquel ils nomment une experte arbitre pour l’établissement d’un décompte final.… Lire la suite

Dernier moment pour chiffrer ses conclusions et la cession d’un droit de préemption

TF, 03.07.2023, 4A_145/2023*

Chiffrer la demande au moment des dernières plaidoiries respecte les exigences légales (confirmation de jurisprudence). Des éléments de fait qui figurent au dossier et le comportement des parties suffisent à imputer aux parties une volonté d’autoriser les cessions de droits de préemption.

Faits

En 1985, une propriétaire procède à la division de son terrain en deux parcelles, puis vend l’une des deux à un acheteur. Les deux contractants s’accordent un droit de préemption réciproque sur leur terrain respectif pour une durée de 30 ans. Ledit droit sera annoté au registre foncier pour une durée de 10 ans.

La première propriétaire décède en 1990 ; ses deux filles héritent du terrain de leur mère. De son côté, l’acheteur conclut avec ses deux fils un contrat de cession en vue d’une succession future (Abtretungsvertrag auf Rechnung künftiger Erbschaft). Ils deviennent ainsi propriétaire de la parcelle de leur père.

En 2013, les deux filles vendent leur terrain à une société pour un peu plus de CHF 4’000’000. Une fois informé de la vente, les deux fils exercent leur droit de préemption. En 2016, l’immeuble leur ayant échappé, les deux fils ouvrent action auprès du Regionalgericht de Bern-Mittelland. Ils concluent au transfert de la propriété en leur nom ainsi qu’au paiement de dommages-intérêts.… Lire la suite

Le fardeau de l’allégation et de la preuve de la péremption d’un droit

TF, 11.05.2023, 4A_412/2022*

Le respect du délai péremptoire prévu à l’art. 336b al. 1 CO pour s’opposer à un licenciement n’est pas un fait implicite. Il appartient à la partie qui entend déduire un droit de cette disposition d’alléguer et de prouver qu’elle a respecté ce délai. 

Faits

Une employée explique être harcelée psychologiquement et sexuellement par un membre du conseil d’administration de la société qui l’emploie. Elle met la société en demeure de prendre toutes les mesures propres à protéger sa personnalité suite à quoi elle est licenciée. Une dizaine de jours après avoir été licenciée, l’employée adresse un courrier d’opposition au congé à l’employeuse.

L’employée introduit une demande tendant au paiement d’une indemnité de CHF 37’000 pour congé abusif. À l’appui de ses écritures judiciaires, elle ne produit pas son courrier d’opposition au congé, lequel est simplement mentionné dans d’autres pièces du dossier. L’employeuse pour sa part n’objecte pas que l’employée aurait manqué à son devoir de s’opposer à son congé à l’intérieur du délai de l’art. 336b al. 1 CO.

Les autorités judiciaires genevoises jugent le congé abusif et condamnent l’employeuse à verser une indemnité de CHF 10’000. Selon la Cour de justice de Genève, l’art.Lire la suite