Le domicile civil comme condition d’éligibilité au Conseil des États
Le dies a quo pour contester l’éligibilité d’un candidat intervient au moment de la publication des résultats électoraux.
L’exigence de disposer d’un domicile civil – comme composante du domicile politique – afin d’être éligible au Conseil des États doit s’examiner strictement au regard de la jurisprudence rendue en lien avec l’art. 23 CC. Il n’est ainsi pas admissible d’admettre l’existence du domicile civil au sein d’un canton en se fondant exclusivement sur l’existence d’un « lien étroit » entre le justiciable et le canton en question.
Faits
Le 19 novembre 2023, Simon Stocker a été élu au Conseil des États pour le canton de Schaffhouse. Le 27 novembre 2023, plusieurs personnes recourent au Conseil d’État schaffhousois contre son élection. Ils font valoir que Simon Stocker ne remplit pas les conditions d’éligibilité faute d’avoir été effectivement domicilié dans le canton de Schaffhouse au moment de son élection au Conseil des États.
Suite au rejet du recours par le Conseil d’État puis par le Tribunal cantonal schaffhousois, ces personnes forment un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Le Tribunal fédéral doit déterminer si Simon Stocker remplissait les conditions d’éligibilité relatives à l’exigence d’un domicile civil – comme composante du domicile politique – pour se présenter à l’élection au Conseil des États à Schaffhouse.
Droit
Le Tribunal fédéral doit d’abord déterminer le dies a quo pour former un recours en matière de droits politiques contestant la réalisation des conditions d’éligibilité d’un candidat. Les conditions d’éligibilité d’un candidat ne constituent pas des actes préparatoires à une élection dont l’éventuelle irrégularité devrait être soulevée immédiatement par le justiciable. En effet, faute de dispositions cantonales contraires, les conditions d’éligibilité ne doivent être réalisées qu’au jour de l’élection. Partant, c’est la publication des résultats de l’élection qui marque le dies a quo. En l’espèce, les résultats ont été publiés dans la feuille officielle du canton de Schaffhouse le 24 novembre 2023. Le recours ayant été formé le 27 novembre, le délai de 3 jours prévu par le droit cantonal est respecté. C’est à bon droit que les autorités cantonales sont entrées en matière sur le recours.
S’agissant du fond de la cause, le Tribunal fédéral doit déterminer si Simon Stocker remplissait les conditions pour pouvoir être élu au Conseil des États dans le canton de Schaffhouse.
L’élection au Conseil des États constitue une élection cantonale (art. 150 al. 3 Cst.). Les cantons sont ainsi libres de déterminer les conditions d’éligibilité dans les limites imposées par l’art. 34 Cst. Selon l’art. 40 al. 1 en lien avec l’art. 23 al. 1 de la Constitution du canton de Schaffhouse, seules les personnes majeures, capables de discernement et dont le domicile politique se trouve dans le canton peuvent être éligibles au Conseil des États. Faute que le droit cantonal ne prévoie d’exception, la notion de domicile politique doit être interprétée de manière identique à la notion de domicile politique au sens du droit fédéral (art. 39 al. 2 Cst. et art. 3 LDP).
L’existence d’un domicile politique présuppose la réalisation de deux éléments ; l’inscription dans le registre des électeurs (exigence formelle) et une résidence effective en un lieu et la volonté de s’y installer durablement au sens de l’art. 23 CC (domicile civil ; exigence matérielle). Seule la réalisation du deuxième élément est litigeuse en l’espèce.
Le domicile civil d’une personne se trouve au lieu où elle réside (composante objective) avec l’intention de s’y établir (composante subjective). La composante subjective du domicile civil ne se détermine pas au regard de l’intention du justiciable mais au regard de circonstances extérieures, reconnaissables pour des tiers.
En l’espèce, Simon Stocker a vécu environ 40 ans dans le canton de Schaffhouse où se trouve également l’essentiel de son cercle social. Il a été membre de l’exécutif communal de la ville de Schaffhouse entre 2013 et 2020. En 2021, il a emménagé avec son épouse et son enfant à Zurich dans un appartement de 3 pièces et s’y est annoncé au contrôle des habitants. En 2022, l’intimé a déménagé à Schaffhouse où il loue un appartement de 2 pièces et où il s’est annoncé au contrôle des habitants et inscrit au registre des électeurs. Il utilise également son adresse schaffhousoise pour son activité professionnelle.
Contrairement à ce qu’ont retenu les instances cantonales, ces circonstances de fait sont insuffisantes à fonder le domicile de l’intimé, au sens de l’art. 23 CC, dans le canton de Schaffhouse. En effet, au moment de son élection, la famille de Simon Stocker vivait encore à Zurich et ce dernier y passait la majorité de la semaine. Il travaillait notamment dans un espace de coworking situé près de la gare de Zurich et son fils était gardé dans une crèche située près du même endroit 3 jours et demi par semaine. Partant, le domicile de Simon Stocker se situait, le jour de son élection, dans la ville de Zurich et ce indépendamment que l’essentiel de son cercle social se trouve dans le canton de Schaffhouse, qu’il y soit actif économiquement et politiquement ou encore qu’il y réside fréquemment. En retenant l’existence d’un domicile civil en raison du « lien étroit » qu’entretient l’intimé avec le canton de Schaffhouse, les autorités cantonales ont violé les principes applicables à la détermination du domicile civil et politique.
Faute de disposer d’un domicile civil – et ainsi d’un domicile politique – l’élection de Simon Stocker viole l’art. 34 Cst. Le Tribunal fédéral doit encore déterminer les conséquences de cette violation.
Pour des motifs de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.) et de sécurité du droit (art. 9 Cst.), l’élection de Simon Stocker doit être annulée ex nunc et non pas ex tunc. Il s’ensuit que les actes accomplis par Simon Stocker en qualité de conseiller aux États entre son élection et l’annulation de celle-ci par le TF ne sont ni nuls, ni annulables.
S’agissant du siège devenu vacant au Conseil des États, et faute de disposition spéciale applicable, le Tribunal fédéral ne peut qu’ordonner la tenue de nouvelles élections. L’élection au Conseil des États dans le canton de Schaffhouse s’effectue selon le système majoritaire, motif pour lequel il est exclu d’attribuer le siège au candidat arrivé second.
Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.
Proposition de citation : Simon Pfefferlé, Le domicile civil comme condition d’éligibilité au Conseil des États, in: https://lawinside.ch/1575/