Le sort des procédures d’assistance administrative internationale en matière fiscale envers la Russie

TF, 30.01.2025, 2C_219/2022*

En assistance administrative internationale en matière fiscale, la Fédération de Russie n’offre plus les garanties de respect de l’ordre public et du principe de spécialité depuis son agression de l’Ukraine. Il sied donc de rejeter les demandes d’assistance russes et de ne pas les suspendre, afin de respecter les principes de célérité et de diligence.

Faits

En 2018, l’autorité compétente russe forme une demande d’assistance administrative internationale en matière fiscale auprès de l’Administration fédérale des contributions (« AFC »). L’autorité russe souhaite obtenir des informations au sujet d’une société russe, laquelle a versé des dividendes sur trois comptes suisses détenus par des sociétés chypriotes.

L’AFC accorde l’assistance en décembre 2019, décision que confirme le Tribunal administratif fédéral en février 2022. La société russe et les sociétés chypriotes forment alors un recours en matière publique au Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur le sort des procédures d’assistance administrative internationale en matière fiscale en faveur de la Russie.

Droit

Le 16 septembre 2022, le Conseil fédéral a décidé de suspendre temporairement l’assistance administrative envers la Russie (Secrétariat d’État aux questions financières internationales, communiqué de presse du 16.09.2022) ; toutefois, cette décision n’oblige pas le Tribunal fédéral à refuser les assistances qui ont été requises avant la décision du Conseil fédéral.

L’art. 25a par. 1 de la Convention entre la Confédération suisse et la Fédération de Russie en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (« CDI CH-RU » ; RS 0.672.966.51) prévoit l’échange entre la Suisse et la Russie des informations vraisemblablement pertinentes qui permettent d’appliquer la CDI CH-RU. L’échange d’information doit respecter le principe de spécialité, à savoir que les informations à transmettre doivent rester secrètes et ne peuvent être utilisées qu’à des fins fiscales (art. 25a par. 2 CDI CH-RU). L’art. 25a par. 3 let. c CDI CH-RU permet à un État contractant de ne pas fournir d’informations lorsque la communication serait contraire à l’ordre public. Un tel cas se présente lorsque des principes fondamentaux du droit sont violés, que l’acte est incompatible avec l’ordre juridique et les valeurs suisses, que le résultat est en contradiction choquante avec le sens et l’esprit de l’ordre juridique ou qu’il heurterait de manière intolérable le sentiment du droit suisse (ATF 149 II 302, c. 6.6). Figurent notamment à l’ordre public les garanties minimales de la CEDH et du Pacte ONU II, et en particulier celles qui relèvent du jus cogens.

Suite à son invasion de l’Ukraine, la Russie n’est plus membre du Conseil de l’Europe, n’est plus partie contractante à la CEDH et a été suspendue du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Dans ce contexte, accorder l’assistance à la Russie ne respecte plus les garanties d’ordre public et de principe de spécialité, puisqu’il existe un risque non négligeable que les renseignements soient utilisés à d’autres fins que des fins fiscales et ultimement en violation de droits de l’homme.

Reste à déterminer s’il faut continuer à suspendre la procédure jusqu’au terme de la guerre ou rejeter la demande d’assistance. Une procédure d’assistance ne peut rester indéfiniment suspendue. Autrement, le principe de célérité (art. 29 al. 1 Cst.) ainsi que le principe de diligence (cf. art. 4 al. 2 LAAF) seraient violés. En l’espèce, le conflit entre la Russie et l’Ukraine ne semble pas se diriger vers une issue proche, ce qui exclut la possibilité de continuer à suspendre. Ainsi, rejeter la demande d’assistance constitue la solution à privilégier, ce d’autant plus que la Russie aura l’occasion de réitérer sa demande par la suite, les décisions d’assistance ne jouissant pas de l’autorité de chose jugée.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Note

Comme le mentionne lui-même le Tribunal fédéral, il adopte une solution différente de celle qu’il avait adoptée dans les ATF 149 IV 144 (LawInside.ch/1281/) et 150 IV 201 (résumé in https://lawinside.ch/1417/). Ces deux arrêts traitaient d’entraide en matière pénale et concernaient le séquestre d’avoirs en Suisse. Le Tribunal fédéral avait alors décidé de ne pas rejeter la demande d’entraide russe, mais de suspendre la procédure jusqu’au terme de la guerre tout en maintenant le séquestre, pour autant que la mesure respecte le principe de proportionnalité.

De manière convaincante, le Tribunal fédéral raisonne différemment en ce qui concerne l’assistance administrative internationale en matière fiscale, car le rejet de l’assistance ne cause aucune conséquence irréversible (TF, 30.01.2025, 2C_219/2022*, c. 8.3) :

« Contrairement à des fonds bloqués dont la personne concernée demanderait la libération, de sorte que lui donner raison aboutirait à une décision irréversible, ce qui était le cas dans les deux affaires que le Tribunal fédéral a jugées dans le domaine de l’entraide pénale (supra c. 8.1), la présente procédure ne porte que sur une mesure ponctuelle qui concerne la transmission de renseignements bancaires. L’admission du recours et le rejet de la demande d’assistance qui en découle ne reviennent donc pas à mettre fin à une mesure durable qui ne pourrait être rétablie ultérieurement ».

À titre de comparaison, le Tribunal fédéral avait jugé conforme un blocage des avoirs qui se fondait sur l’EIMP et qui durait depuis huit ans dans l’ATF 150 IV 201 (résumé in Lawinside.ch/1417/). Le Tribunal avait considéré que, bien que la garantie de propriété et le principe de célérité étaient mis à mal par la durée de la mesure, elle était tout de même proportionnée afin de s’assurer que la personne lésée puisse se voir restituer les sommes confisquées.

Proposition de citation : Arnaud Lambelet and Emilie Jacot-Guillarmod, Le sort des procédures d’assistance administrative internationale en matière fiscale envers la Russie, in: https://lawinside.ch/1574/