Le risque de récidive qualifié en cas d’infraction à la LStup (art. 221 al. 1bis CPP)

TF, 04.03.2025, 7B_136/2025*

En principe, les infractions en matière de stupéfiants ne sauraient justifier un risque de récidive qualifié, faute d’atteinte immédiate à des biens juridiques de haute valeur du consommateur de stupéfiants. Toutefois, si une telle atteinte est établie dans un cas concret, ce risque peut être retenu.

Faits

Un prévenu est placé en détention provisoire, puis en détention pour motifs de sûreté, en raison de multiples infractions graves au sens des arts. 19 al. 1 let. c et 19 al. 2 let. a LStup. Il admet avoir possédé 750 grammes de cocaïne pure et en avoir revendu ou donné environ 30 grammes. Le prévenu fait plusieurs demandes de mise en liberté qui sont toutes rejetées.

Suite au refus de sa dernière demande par le Tribunal de mesures de contrainte du canton de Zurich puis par l’Obergericht zurichois, le prévenu interjette recours au Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à déterminer si des infractions à la LStup peuvent fonder un risque de récidive qualifié au sens de l’art. 221 al. 1bis CPP.

Droit

À titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle que selon le nouvel art. 221 al. 1bis CPP, la détention provisoire peut être exceptionnellement ordonnée à deux conditions cumulatives:

  • le prévenu est fortement soupçonné d’avoir porté gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui en commettant un crime ou un délit grave (let. a), et
  • il existe un danger sérieux et imminent qu’il commette un crime grave du même genre (let. b).

Il convient d’interpréter la première condition (let. a). D’un point de vue littéral, elle vise les crimes et délits graves dirigés contre des biens juridiques de grande valeur. Le fait que ces actes aient effectivement entraîné une atteinte grave à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’une personne n’est pas déterminant (cf. 7B_1440/2024, 7B_1443/2024*, résumé in Lawinside/1573). La doctrine considère que l’exigence d’une atteinte à des biens juridiques de grande valeur est remplie lorsque l’infraction présumée a visé des biens juridiques individuels d’une personne déterminée. Il s’agit ainsi d’infractions subies ou dirigées contre une victime au sens de l’art. 116 al. 1 CPP. Les interprétations historiques, téléologiques et systématiques mènent à la même conclusion.

La seconde condition (let. b) exige la persistance d’un danger immédiat pour ces biens juridiques individuels de grande valeur. Elle est remplie lorsque la commission d’un autre crime grave est sérieusement à craindre de manière imminente, justifiant ainsi une détention urgente (cf. ATF 150 IV 360, résumé in Lawinside/1506).

Le Tribunal fédéral examine si une infraction à la LStup peut remplir ces deux conditions. Il souligne tout d’abord que, de manière générale, la LStup vise à protéger la santé publique. Ainsi, une infraction à cette loi ne constitue en principe qu’une mise en danger abstraite, et non une atteinte concrète à la santé des consommateurs de drogue. L’atteinte survient au plus tôt lors de la consommation, acte entrepris par le consommateur lui-même. Dès lors, les infractions à la LStup ne sauraient, en principe, justifier un risque de récidive qualifié. L’ancienne jurisprudence du Tribunal fédéral (cf. ATF 137 IV 13), qui admettait que le commerce professionnel de stupéfiants pouvait suffire à établir un risque de récidive qualifié, ne saurait être maintenue. Cette évolution découle directement des conditions strictes posées par l’art. 221 al. 1bis CPP.

Cependant, on peut exceptionnellement apporter la preuve d’une atteinte concrète à un bien juridique de haute valeur, notamment si l’infraction à l’art. 19 al. 1 let. c LStup est combinée avec une circonstance aggravante prévue à l’art. 19 al. 2 LStup.

En l’espèce, le pronostic du prévenu est jugé très défavorable. Il est hautement vraisemblable qu’il se livre à nouveau et de manière intensive au trafic de stupéfiants en cas de remise en liberté. Toutefois, bien que le prévenu ait reconnu avoir cédé de la cocaïne à des tiers, il n’est pas démontré que ces actes auraient directement porté atteinte à un bien juridique de haute valeur d’une personne déterminée ou qu’une telle atteinte soit à craindre. Ainsi, les conditions de l’art. 221 al. 1 bis LStup ne sont pas remplies et les infractions reprochées au prévenu ne peuvent pas fonder un risque de récidive qualifié.

Partant, le recours est admis et le prévenu est libéré de la détention pour motifs de sûreté.

Proposition de citation : Sébastien Picard, Le risque de récidive qualifié en cas d’infraction à la LStup (art. 221 al. 1bis CPP), in: https://lawinside.ch/1587/

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  1. […] En revanche, les infractions liées aux stupéfiants ne permettent en principe pas de retenir un risque de récidive qualifié, car elles sont dirigées en premier lieu contre la santé publique et non contre des biens juridiques individuels.  Toutefois, si une atteinte à un bien juridique individuel de grande valeur est établie dans le cas d’espèce, ce risque peut être retenu (TF, 7B_136/2025*, c. 2.1 ss, résumé in Lawinside/1587). […]

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