Le risque de récidive qualifié de l’art. 221 al. 1bis CPP


TF, 25.06.2024, 7B_583/2024 et 7B_653/2024*

Le nouvel art. 221 al. 1bis CPP permet de prononcer la détention provisoire en présence d’un risque de récidive qualifié. La jurisprudence antérieure du Tribunal fédéral reste applicable: la détention provisoire est admissible sans antécédents avérés sur la base d’un fort soupçon de commission d’un crime ou d’un délit grave et en présence d’un risque « inacceptablement élevé » de récidive dans un avenir proche (p. ex. dans les mois à venir).

Faits

Suite à l’interpellation d’un prévenu, le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud place celui-ci en détention provisoire en raison d’un risque de récidive. Le prévenu est soumis à une expertise psychiatrique qui décèle plusieurs pathologies chroniques et persistantes en lien avec les faits reprochés.

Les infractions reprochées sont les suivantes : lésions corporelles simples qualifiées (art. 123 ch. 2 al. 2 et 3 CP), remise à des enfants de substances pouvant mettre en danger leur santé (art. 136 CP), contrainte (art. 181 CP), actes d’ordre sexuel avec des enfants (art. 187 ch. 1 al. 1 à 3 CP), contrainte sexuelle (art. 189 CP), ainsi que violation du devoir d’assistance ou d’éducation (art. 219 al. 1 CP). Le prévenu est accusé d’avoir commis ces infractions au préjudice de ses deux enfants mineurs, sa sœur et son ex-épouse.

Le prévenu interjette deux recours au Tribunal fédéral : le premier contre la décision du Tribunal cantonal confirmant le rejet de sa demande de mise en liberté immédiate dans laquelle il proposait des mesures de substitution; le second contre le rejet du recours formé contre la décision de prolongation de la détention provisoire. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral est appelé à se prononcer sur les conditions de la détention provisoire pour risque de récidive qualifié selon le nouvel art. 221 al. 1bis CPP, en vigueur depuis le 1er janvier 2024.

Droit

Dans la mesure où les deux recours sont connexes, le Tribunal fédéral décide de joindre les causes.

Sur le fond, le nouvel art. 221 al. 1bis CPP prévoit que la détention provisoire peut exceptionnellement être ordonnée à deux conditions cumulatives :

  • si le prévenu est fortement soupçonné d’avoir porté gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’autrui en commettant un crime ou un délit grave (let. a), et
  • s’il y a un danger sérieux et imminent qu’il commette un crime grave du même genre (let. b).

À la différence de l’art. 221 al. 1 let. c CPP,  cette nouvelle disposition n’exige pas d’infractions préalables faisant l’objet d’un jugement en force ; de forts soupçons d’un crime ou délit grave suffisent.

Par l’introduction de cette nouvelle disposition, le législateur a codifié la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui admettait déjà sous l’empire de l’ancien droit la détention provisoire en l’absence d’infractions préalables avérées en cas de risque de récidive qualifié. Un tel risque est admis lorsqu’il existe un danger sérieux et imminent qu’un autre crime grave soit commis. A cet égard, le Tribunal fédéral confirme la jurisprudence développée en application de l’ancien droit et précise qu’il y a lieu de continuer à en tenir compte. Il réaffirme que le risque de récidive doit apparaître comme « inacceptablement élevé ». Concernant l’aspect temporel, un danger « imminent » présuppose que le prévenu risque de commettre des crimes graves dans un avenir proche. En outre, le Tribunal fédéral ajoute que la notion de crime grave définie à l’art. 221 al. 1bis let. b CPP renvoie aux biens juridiques protégés à l’art. 221 al. 1bis let. a CPP, soit l’intégrité physique, psychique et sexuelle d’autrui.

Le risque de récidive doit être propre à justifier de faire prévaloir l’intérêt de la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu. La gravité de l’infraction présumée revêt une importance particulière pour cette pesée des intérêts : plus l’infraction présumée est grave, moins les exigences pour retenir un risque de récidive qualifié seront élevées. Il faut également tenir compte de la fréquence des infractions présumées dans le pronostic de récidive.

En l’espèce, le Tribunal fédéral approuve le raisonnement de l’instance cantonale précédente qui a admis le risque de récidive qualifié. Une telle décision est justifiée en raison de la gravité et du nombre d’infractions mais également de la diversité des victimes. En outre, sur la base de l’expertise psychiatrique, l’instance précédente a retenu que ce risque pourrait se matérialiser dans les mois à venir. Au regard de la gravité des actes reprochés, un tel risque apparaît suffisamment proche pour être qualifié d’imminent au sens de l’art. 221 al. 1bis CPP.

Finalement, le Tribunal fédéral confirme qu’aucune des mesures de substitution proposées par le prévenu n’est propre à endiguer le risque de réitération.

Ainsi, le Tribunal fédéral rejette les recours.

Proposition de citation : Sébastien Picard, Le risque de récidive qualifié de l’art. 221 al. 1bis CPP, in: https://lawinside.ch/1506/