L’effet rétroactif du droit d’action directe du tiers lésé envers l’entreprise d’assurance (art. 60 al. 1bis LCA)
L’art. 103a LCA prévoit une règlementation exhaustive du droit transitoire. Partant, le droit d’action directe de l’art. 60 al. 1bis LCA n’est pas ouvert aux contrats conclus avant la révision partielle de la Loi sur le contrat d’assurance entrée en vigueur le 1er janvier 2022.
Faits
Le 26 février 2014, un médecin opère la main droite de sa patiente. Quelques jours plus tard, la patiente quitte la clinique. Le rapport de sortie indique que l’évolution postopératoire a été marquée par des douleurs extrêmement fortes.
Par requête du 27 avril 2023, la patiente fait valoir auprès du Tribunal de commerce du canton de Berne des prétentions contre l’assurance responsabilité civile du médecin fondées sur l’art. 60 al. 1bis LCA, entré en vigueur le 1er janvier 2022. Elle demande que l’assurance soit condamnée à lui verser CHF 35’000 à titre de réparation du tort moral résultant de l’opération du 26 février 2014. Par décision du 6 mars 2024, le Tribunal de commerce du canton de Berne rejette la demande faute de légitimation passive de la défenderesse.
La patiente exerce un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral qui doit déterminer si l’art. 60 al. 1bis LCA s’applique rétroactivement.
Droit
En substance, la recourante reproche à l’instance inférieure d’avoir violé le droit fédéral par son interprétation de l’art. 103a LCA, selon laquelle cette disposition transitoire relative à la modification du 19 juin 2020 exclut l’effet rétroactif de l’art. 60 al. 1bis LCA aux contrats conclus avant le 1er janvier 2022.
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que, selon l’art. 60 al. 1bis LCA, le tiers lésé ou son ayant cause possède un droit d’action directe envers l’entreprise d’assurance, dans le cadre d’une couverture d’assurance existante et sous réserve des objections et exceptions que l’entreprise d’assurance peut lui opposer en vertu de la loi ou du contrat. Avant la révision partielle entrée en vigueur le 1er janvier 2022, un tel droit d’action directe n’était pas prévu par la Loi sur le contrat d’assurance.
En outre, avec l’art. 103a LCA, le législateur a notamment adopté une disposition transitoire spécifique dont la teneur est la suivante :
« Les dispositions suivantes du nouveau droit s’appliquent aux contrats qui ont été conclus avant l’entrée en vigueur de la modification du 19 juin 2020 : (a) les prescriptions en matière de forme ; (b) le droit de résiliation au sens des art. 35a et 35b ».
Une partie de la doctrine est d’avis que l’art. 103a LCA se réfère expressément aux « contrats » et donc exclusivement à la relation contractuelle entre le preneur d’assurance et l’entreprise d’assurance. Le droit d’action directe selon l’art. 60 al. 1bis LCA se fonde en revanche directement sur la loi et n’est pas couvert par la disposition transitoire.
Selon un autre courant doctrinal, l’art. 103a LCA ne déclare expressément applicables aux contrats qui ont été conclus avant l’entrée en vigueur de la modification du 19 juin 2020 que les prescriptions de forme et le droit de résiliation selon les art. 35a et 35b LCA ; a contrario, toutes les autres dispositions de la Loi sur le contrat d’assurance révisée, dont le droit d’action directe selon l’art. 60 al. 1bis LCA, ne sont pas applicables aux contrats d’assurance conclus avant le 1er janvier 2022. Se pose alors la question de savoir si le droit d’action directe de l’art. 60 al. 1bis LCA est également ouvert aux contrats conclus avant la révision partielle de la Loi sur le contrat d’assurance entrée en vigueur le 1er janvier 2022.
Le Tribunal fédéral procède en premier lieu à une interprétation littérale de l’art. 103a LCA. D’après son libellé, cette disposition se réfère aux « contrats ». Cette référence ne doit toutefois pas limiter l’application de l’art. 103a LCA aux dispositions relatives à la relation contractuelle entre le preneur d’assurance et l’entreprise d’assurance. Au contraire, la notion de « contrat » au sens de cette disposition doit être considérée dans un sens plus large comme un simple point de rattachement temporel pour l’applicabilité générale des dispositions du nouveau droit. Partant, le libellé de l’art. 103a LCA doit être interprété en ce sens que les contrats conclus avant le 1er janvier 2022 continuent d’être régis de manière générale par l’ancien droit, à l’exception des prescriptions de forme ainsi que du droit de résiliation selon les art. 35a et 35b LCA.
Sous l’angle de l’interprétation systématique, téléologique et historique, le Tribunal fédéral parvient à la même conclusion. Ainsi, il retient que l’art. 103a LCA prévoit une règlementation exhaustive du droit transitoire. Si, parmi l’ensemble des dispositions du nouveau droit, seules les prescriptions mentionnées à l’art. 103a LCA sont applicables aux contrats régis par l’ancien droit, il en résulte a contrario que toutes les autres dispositions du nouveau droit n’ont pas d’effet rétroactif.
Il ressort de ce qui précède que seules les dispositions du nouveau droit énumérées à l’art. 103a LCA sont applicables au contrat d’assurance conclu avant l’entrée en vigueur de la modification du 19 juin 2020. Ainsi, un effet rétroactif d’autres dispositions du nouveau droit, dont l’art. 60 al. 1bis LCA, est exclu par la loi.
Par conséquent, la recourante ne dispose pas d’un droit d’action directe selon l’art. 60 al. 1bis LCA contre l’intimée.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro, L’effet rétroactif du droit d’action directe du tiers lésé envers l’entreprise d’assurance (art. 60 al. 1bis LCA), in: https://lawinside.ch/1547/