Le point de départ du délai pour intenter une action en libération de dette

TF, 25.06.2024, 4A_61/2023*

Le délai de 20 jours pour intenter une action en libération de dette commence dès la notification du dispositif de mainlevée provisoire au débiteur, et non à partir de la notification de la décision motivée.

Faits

Une société prêteuse octroie plusieurs financements à une société emprunteuse. L’actionnaire unique de l’emprunteuse signe une reconnaissance de dette de USD 1 million en faveur de la prêteuse. De plus, le père de l’actionnaire se porte garant pour un montant de USD 715’000. Par la suite, la prêteuse cède ses créances à une société cessionnaire. Après avoir obtenu un acte de défaut de biens confirmant l’insolvabilité de l’actionnaire unique de l’emprunteuse, la cessionnaire introduit une poursuite à l’encontre du garant. Celui-ci s’oppose au commandement de payer, ce qui amène la cessionnaire à requérir la mainlevée provisoire de l’opposition. La Justice de paix du district d’Aigle prononce la mainlevée provisoire par décision du 15 octobre 2020, avec notification du dispositif de cette décision au garant le 16 octobre 2020. Ce dernier requiert alors une motivation de la décision, qui lui est notifiée le 17 décembre 2020.

Le garant introduit une action en libération de dette devant le Tribunal de première instance du canton de Genève le 6 janvier 2021. Par jugement du 25 janvier 2022, le tribunal déclare l’action irrecevable. Il estime que le délai de 20 jours pour ouvrir une action en libération de dette commence à courir dès la notification du dispositif de la décision de mainlevée provisoire, soit le 16 octobre 2020, et non dès la notification de la décision motivée. La demande du 6 janvier 2021 est donc tardive.

La Chambre civile de la Cour de justice rejette l’appel du garant le 29 novembre 2022, confirmant le jugement de première instance. Le garant forme alors recours au Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur le point de départ du délai pour ouvrir une action en libération de dette.

Droit

Le Tribunal fédéral commence par relever que la requête de mainlevée provisoire intentée par le créancier vise à lever provisoirement l’opposition au commandement de payer, permettant ainsi la continuation de la procédure de poursuite. Les effets de la décision de la mainlevée provisoire sont donc limités au droit des poursuites. A l’inverse, l’action en libération de dette a pour but de faire constater l’inexistence ou l’inexigibilité de la créance elle-même. C’est une action en constatation de droit négative, qui appartient au droit matériel.

Selon l’art. 83 al. 2 LP, le débiteur peut intenter une action en libération de dette dans les 20 jours « à compter de la mainlevée ». La décision de mainlevée provisoire étant uniquement susceptible d’un recours limité au droit (art. 309 let. b ch. 3 CPC), le moment où le tribunal arrête la décision lui confère la force de chose jugée et son caractère exécutoire (art. 325 al. 1 CPC). Par conséquent, le délai de 20 jours pour ouvrir une action en libération de dette court dès la notification du dispositif de la décision de mainlevée.

D’après l’art. 239 al. 2 CPC, une motivation écrite peut néanmoins être remise aux parties si l’une d’elles le demande dans un délai de dix jours dès la communication du dispositif de la décision. Toutefois, cet article ne s’applique qu’au recours, le délai pour recourir contre la mainlevée provisoire ne commençant pas avant la communication de la motivation de la décision. En effet, il n’est pas possible de motiver un recours sans connaître les motifs de la décision attaquée.

En revanche, le débiteur n’a pas besoin d’attendre la motivation détaillée de la décision de mainlevée pour ouvrir une action en libération de dette, car celle-ci vise à prouver que la dette n’est pas due, et non à contester la décision de mainlevée en elle-même. Par ailleurs, l’inobservation du délai de 20 jours pour ouvrir l’action en libération de dette entraîne uniquement la perte du droit dans la procédure pendante, et non la perte du droit matériel.

En l’espèce, le dispositif de mainlevée provisoire a été notifié au débiteur le 16 octobre 2020, faisant courir le délai de 20 jours dès cette date. Le délai est donc venu à échéance le 5 novembre 2020, rendant tardive l’action en libération de dette déposée le 6 janvier 2021.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Johann Melet, Le point de départ du délai pour intenter une action en libération de dette, in: https://lawinside.ch/1509/