L’inexploitabilité des déclarations violant le droit de participation du prévenu (art. 147 al. 1 CPP)

TF, 05.06.2024, 6B_92/2022*

Lorsque le droit de participation du prévenu (art. 147 al. 1 CPP) a été violé lors d’une première audition, une audition postérieure respectant son droit de participation ne rend pas les précédentes déclarations exploitables (art. 147 al. 4 CPP).

Faits

Deux conducteurs se livrent à un concours d’accélération avec leurs véhicules respectifs. Un troisième conducteur situé dans une voiture derrière eux filme la scène avec son téléphone portable. Tous trois sont poursuivis pénalement.

L’un des conducteurs est acquitté par le Bezirksgericht de Dietikon. Suite au recours du Ministère public, l’Obergericht du canton de Zurich le condamne à une peine privative de liberté de 12 mois avec sursis pour violation grave des règles de la circulation routière. Cette décision se fonde essentiellement sur la vidéo enregistrée par le troisième conducteur.

Le conducteur condamné recourt auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci est amené à déterminer si l’instance précédente pouvait admettre l’exploitabilité de la vidéo de la scène sur la seule base d’auditions de coprévenus auxquelles le conducteur n’a pas eu la possibilité de participer.

Droit

Pour fonder l’exploitabilité de la vidéo comme principal moyen de preuve, l’instance précédente a admis le consentement du conducteur condamné à son enregistrement au sens de l’art. 13 aLPD, applicable en l’espèce (sur ces questions, voir l’ATF 147 IV 16, résumé in : www.lawinside.ch/998/). Ce consentement ressort toutefois essentiellement des déclarations des autres prévenus lors d’auditions auxquelles le conducteur n’a pas été invité à participer. Ultérieurement, le conducteur a cependant pu accéder à l’intégralité du dossier et poser des questions aux autres parties.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 6 par. 3 let. d CEDH, en tant qu’aspect particulier du droit à un procès équitable, garantit un droit à la confrontation. Un témoignage à charge n’est en principe utilisable que si le prévenu a eu au moins une fois au cours de la procédure une occasion adéquate et suffisante de mettre en doute le témoignage et de poser des questions à l’auditionné.

En second lieu, l’art. 147 al. 1 CPP garantit le droit de participation du prévenu à l’administration des preuves en tant que concrétisation du droit d’être entendu (art. 29 Cst.).  Ainsi, lorsque le droit de participation n’est pas respecté, les déclarations des auditionnés ne sont pas exploitables (art. 147 al. 4 CPP). La reprise en bloc de telles déclarations, lors d’une nouvelle audition en présence du prévenu, n’est pas admissible (ATF 143 IV 457, résumé in : www.lawinside.ch/563/).

Le Tribunal fédéral relève toutefois que sa propre jurisprudence donne l’impression, dans divers arrêts non-publiés, qu’une audience de confrontation satisfaisant au standard minimum de l’art. 6 par. 3 let. d CEDH permettrait une guérison des vices de procédure antérieures et rendrait exploitables les déclarations antérieures effectuées en violation de l’art. 147 al. 1 CPP.

Le Tribunal fédéral entreprend dès lors de préciser cette jurisprudence. Il relève que le droit de participation conféré par l’art. 147 al. 1 CPP va plus loin que le standard minimal de l’art. 6 par. 3 CEDH sur les plans personnel, temporel et matériel. Cela le conduit à considérer que les déclarations de la personne auditionnée ne sont pas rendues exploitables du seul fait que le droit de confrontation a été garanti dans une audition subséquente. Toute autre solution reviendrait à vider l’art. 147 al. 1 CPP de sa portée plus large et serait incohérente avec l’ATF 143 IV 457 précité. Le Tribunal fédéral relève par ailleurs que cette position est partagée par la doctrine majoritaire. Ainsi, même après une répétition en bonne et due forme d’une première audition conduite en violation de l’art. 147 al. 1 CPP, les déclarations effectuées lors de la première audition demeurent inexploitables.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours, annule l’arrêt attaqué et renvoie l’affaire à l’instance précédente pour qu’elle établisse si l’exploitabilité de la vidéo litigieuse pouvait être établie sans s’appuyer sur les déclarations inexploitables.

Proposition de citation : Yoann Stettler, L’inexploitabilité des déclarations violant le droit de participation du prévenu (art. 147 al. 1 CPP), in: https://lawinside.ch/1508/