Publications par Julien Francey

La contreprestation exigée dans l’usure (art. 157 CP)

ATF 142 IV 341 | TF, 29.09.16, 6B_895/2015*

Faits

Une propriétaire souhaite léguer sa maison à sa locataire afin qu’elle puisse y rester après sa mort. La locataire lui déconseille cette solution en raison du fait que la propriétaire a des héritiers réservataires. La locataire propose alors que son fils rachète la maison pour le prix de 200’000 francs (évaluée pourtant à 650’000 francs) et que celui-ci accorde ensuite un bail à loyer à la propriétaire et à elle-même. Le produit de la vente est quasiment entièrement utilisé pour procéder à des travaux dans la maison. En échange, le fils ne perçoit aucun loyer de l’ancienne propriétaire.

Par la suite, les relations entre les parties se détériorent et l’ancienne propriétaire dépose plainte pénale. Une expertise psychiatrique met en évidence un trouble mixte de la personnalité de l’ancienne propriétaire à traits anxieux et dépendants. Le tribunal de première instance, puis la Cour d’appel estiment que la mère et le fils se sont rendus coupables d’usure à l’encontre de l’ancienne propriétaire. Les accusés font alors recours au Tribunal fédéral qui doit préciser les conditions de l’usure.

Droit

Aux termes de l’art. 157 CP, commet une usure celui qui exploite la dépendance d’une personne en se faisant accorder par elle, pour lui-même ou pour un tiers, en échange d’une prestation, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec cette prestation sur le plan économique.… Lire la suite

L’envoi d’un dispositif avant la décision motivée en procédure d’appel et la rectification du jugement

TF, 15.09.16, 5A_6/2016*

Faits

Deux époux intentent une procédure de divorce. Le tribunal de première instance liquide le régime matrimonial et les deux époux déposent un appel contre ce jugement. Le Tribunal cantonal rend sa décision et communique, dans un premier temps, uniquement le dispositif du jugement. Trois mois après, il envoie ensuite la décision motivée. Celle-ci diffère cependant du dispositif. L’épouse saisit le Tribunal fédéral qui doit déterminer si une autorité peut, en procédure d’appel, notifier le dispositif sans la motivation et à quelles conditions elle peut ensuite le corriger.

Droit

En procédure de première instance, l’art. 239 CPC permet à l’autorité de communiquer sa décision sans la motivation. En procédure d’appel, l’art. 318 al. 2 CPC prévoit que « l’instance d’appel communique sa décision aux parties avec une motivation écrite ». Si cette disposition oblige l’autorité à rendre une décision motivée sans qu’une des parties le réclame, elle ne dit encore rien sur la possibilité de communiquer un dispositif avant le jugement motivé.

A cet égard, le Tribunal fédéral relève que les travaux préparatoires du CPC n’ont pas exclu la communication d’un dispositif séparé avant la décision motivée. La motivation obligatoire des jugements en procédure d’appel dans le but d’assurer une cohésion de la jurisprudence et un contrôle des décisions par le Tribunal fédéral ne s’oppose pas à l’envoi d’un dispositif avant le jugement entièrement rédigé.… Lire la suite

La surveillance secrète d’un assuré par une assurance sociale (CEDH)

CourEDH, 18.10.16, Vukota-Bojić v. Switzerland no 61838/10

Faits

Deux médecins considèrent la victime d’un accident de la route comme invalide à 100%. Son assurance-accident requiert une expertise et retient une capacité de travail à 100%. Il s’ensuit plusieurs expertises et plusieurs recours. Après que la Cour des assurances sociales du canton de Zurich a affirmé l’existence d’un lien de causalité entre l’accident et les problèmes de santé, l’assureur sollicite une évaluation médicale pour évaluer les capacités fonctionnelles de son assurée. Celle-ci refuse et l’assurance la fait surveiller par un détective privé dans le domaine public durant 4 jours sur une période de 3 semaines. Sur la base de cette surveillance, l’assureur retient une invalidité de 10%. L’assurée s’y oppose et exige la destruction des images de surveillance. Sur la base de sa jurisprudence antérieure (ATF 135 I 169), le Tribunal fédéral retient la légalité de la surveillance et donc la validité des preuves obtenues. L’assurée saisit la Cour européenne des droits de l’homme qui doit examiner l’existence d’une violation du droit à la vie privée de l’assurée (art. 8 CEDH).

Droit

A titre préliminaire, la Cour constate que l’éventuelle atteinte provient d’un assureur privé.… Lire la suite

L’utilisation d’un pseudonyme sur Internet par un policier pour attraper un pédophile

ATF 143 IV 27TF, 28.09.16, 6B_1293/2015*

Faits

Un policier se fait passer pour une fille de 14 ans sur un forum de discussion sur Internet. Un internaute entre en contact avec la fille, engage une conversation sexuelle et lui fixe un rendez-vous. Au lieu du rendez-vous, la police arrête l’internaute. Le tribunal de première instance condamne notamment l’internaute pour tentative d’acte d’ordre sexuel avec des enfants (art. 187 ch. 1 CP). Sur recours du prévenu, le Tribunal cantonal l’acquitte du chef de prévention de tentation d’acte sexuel sur mineurs. Le Tribunal cantonal considère qu’il existait une investigation secrète (art. 285a ss CPP) qui aurait nécessité l’accord du tribunal des mesures de contrainte. A défaut, les preuves recueillies par le policier sont inutilisables (cf. art. 289 al. 6 CPP en lien avec l’art. 140 s. CPP). Le ministère public saisit le Tribunal fédéral qui doit se pencher sur la différence entre l’investigation secrète (art. 285a ss CPP) et les recherches secrètes (art. 298a ss CPP).

Droit

Selon l’art. 298a al. 1 CPP, « les recherches secrètes consistent, pour les membres d’un corps de police, à tenter d’élucider des crimes ou des délits dans le cadre d’interventions de courte durée où leur identité et leur fonction ne sont pas reconnaissables […] ».… Lire la suite

Le concours rétrospectif en cas de jugement étranger et la compétence fonctionnelle

ATF 142 IV 329 | TF, 28.06.16, 6B_466/2015*

Faits

En tenant compte de condamnations étrangères d’une durée cumulée de plus de 4 ans, le tribunal de Bâle-Ville, composé de 3 juges, condamne un prévenu à une peine complémentaire (cf. art. 49 al. 2 CP ; concours rétroactif) de 22 mois de peine privative de liberté. Le prévenu recourt au Tribunal cantonal en invoquant une violation de la loi cantonale sur l’organisation judiciaire, qui prévoit que le collège de 3 juges ne peut rendre que des peines privatives de liberté de 5 ans au maximum. Pour le recourant, la compétence cantonale s’analyse selon la peine d’ensemble, et non selon la peine complémentaire. Le Tribunal fédéral doit trancher cette question pour la première fois.

Droit

Avant d’aborder la compétence cantonale, le Tribunal fédéral relève qu’il n’existe pas de concours rétrospectif au sens de l’art. 49 al. 2 CP dans le cas d’espèce. Il renverse ainsi sa jurisprudence jusqu’alors actuelle (ATF 132 IV 102, c. 8.2) qui permettait de prononcer une peine complémentaire à un jugement étranger concernant des faits n’entrant pas dans le champ d’application du CP. Pour le Tribunal fédéral, les autorités judiciaires ne peuvent rendre une peine complémentaire que par rapport à un jugement national.… Lire la suite