Publications par Ismaël Boubrahimi

L’action négative en responsabilité du fait des produits et le for du lieu de commission de l’acte illicite

TF, 22.04.2024, 4A_249/2023*

L’action en constatation négative peut être introduite au for du lieu de commission de l’acte illicite (art. 5 par. 3 CL). En matière de produit défectueux, le lieu de commission se trouve au lieu où le producteur, dont la responsabilité est mise en cause, a lui-même agi, sans égard au lieu de fabrication des pièces détachées potentiellement à l’origine du défaut.

Faits

Une société ayant son siège en Suisse produit divers articles de sports. Elle commercialise notamment un modèle de vélo de course. Si la conception de ce dernier s’effectue en Suisse, diverses pièces sont fabriquées en Chine, puis assemblées aux Pays-Bas. La distribution s’opère depuis la Belgique.

Un cycliste domicilié à Grossetto en Italie achète un exemplaire de ce modèle. En juin 2017, il est victime d’une chute alors qu’il utilise ce vélo en Sardaigne. Il est alors hospitalisé.

Selon l’expertise judiciaire ordonnée par voie de preuve à futur en Italie, la chute aurait été causée par une rupture de la fourche du vélo, elle-même causée par un défaut du matériel composite, à savoir la fibre de carbone.

En 2021, la société ouvre action en constatation de droit négative à Fribourg. Elle fonde la compétence locale du tribunal sur le for du lieu de commission de l’acte illicite au sens de l’art.Lire la suite

La reconnaissance du receivership américain

TF, 20.02.2024, 5A_999/2022

Une décision de receivership relève du droit de l’exécution forcée et ne peut, par conséquent, pas être reconnue en Suisse selon les art. 25 ss LDIP.

Faits

Dans le cadre d’une action en paiement intentée en Floride, le tribunal compétent prononce un « Order Appointing Receiver » à l’encontre d’un défendeur en mai 2021. Cette décision nomme un receiver (« tiers-séquestre ») et lui octroie tout pouvoir sur les biens appartenant directement ou indirectement au défendeur. À teneur de cette décision, le receiver doit prendre les mesures nécessaires afin d’éviter que le défendeur dissimule ou disperse ses biens. Pour ce faire, il doit localiser ces derniers et en prendre possession. Il est ainsi habilité à introduire des actions en justice, et cela même à l’étranger. Par la suite, le Tribunal de Floride condamne le défendeur au paiement de près de USD 55 millions.

Une banque étasunienne ouvre une autre action en paiement à l’encontre du même défendeur devant les juridictions new-yorkaises. Par jugement de juin 2021, le Tribunal de New York le condamne au paiement de près de USD 80 millions.

Par décision de juillet 2021, ce même tribunal ordonne la jonction des causes initiées par la banque et le demandeur ayant obtenu gain de cause en Floride.… Lire la suite

Droit d’être entendu.e et interprétation de la sentence (art. 189a LDIP)

TF, 25.03.2024, 4A_603/2023*

L’interprétation de la sentence (cf. art. 189a LDIP) est soumise à la même procédure que celle ayant mené à la sentence initiale. Partant, la procédure doit nécessairement être contradictoire et les parties ont le droit d’être entendues. Le non-respect du délai de 30 jours pour soumettre une demande d’interprétation ne viole pas l’ordre public formel (art. 190 al. 2 let e LDIP).

Faits

En septembre 2022, des parties signent une convention d’arbitrage octroyant compétence au Tribunal arbitral rabbinique de Zurich. Le déroulement de la procédure est soumis à la loi juive (cf. art. 189 al. 1 LDIP).

En décembre 2022, le défendeur interjette recours au Tribunal fédéral contre la sentence finale, laquelle ne contient ni motivation juridique, ni exposé des faits, dès lors que l’oralité prédomine selon le droit procédural juif. Ne pouvant de facto examiner le bien-fondé des griefs soulevés, le Tribunal fédéral rejette le recours et confirme la sentence (cf. ATF 149 III 338, résumé in LawInside.ch/1331).

En novembre 2023, le tribunal arbitral rend une sentence interprétative, « après avoir pris connaissance de la décision du tribunal de district de Zurich du 29 septembre 2023 ainsi que de la demande d’interprétation du représentant de la partie demanderesse du 12 octobre 2023 » (traduction libre).… Lire la suite

La légitimation passive du médecin opérant en milieu hospitalier

TF, 21.12.2023, 4A_614/2021

Il incombe au demandeur qui invoque la responsabilité du médecin à la suite d’une opération pratiquée en milieu hospitalier d’établir la légitimation passive de ce dernier. Pour ce faire, il doit établir l’existence d’un contrat de soins le liant au praticien, excluant que celui-ci ait pratiqué l’opération en tant qu’auxiliaire de l’établissement de soins dans l’exécution d’un contrat d’hospitalisation global.

Faits

En 2005, une femme âgée de 41 ans consulte un gynécologue dans son cabinet. Ce dernier procède à une échographie qui révèle la présence de myomes, soit des tumeurs bénignes affectant l’utérus de la patiente. Il lui propose de procéder à une myomectomie. La patiente y consent sans avoir été informée des complications éventuelles. L’opération est réalisée sous la direction du gynécologue à l’Hôpital de la Riviera. Le lendemain, la patiente est réopérée à la suite d’un saignement abdominal.

En 2007, une nouvelle échographie révèle chez la patiente la présence de trois nouveaux myomes qui n’étaient pas présents lors de l’opération en 2005. La patiente subit une nouvelle opération dirigée par le même gynécologue. Le lendemain, elle présente des douleurs abdominales. Il s’avère qu’elle souffre d’une péritonite causée par une brèche digestive de 3 mm.… Lire la suite

L’acquisition d’un immeuble agricole par une personne morale (art. 9 LDFR)

TF, 01.02.2024, 2C_317/2023*

Une personne morale peut acquérir un immeuble agricole lorsqu’elle est majoritairement détenue par une ou plusieurs personnes pouvant être reconnues comme exploitantes à titre individuel (cf. art. 9 LDFR).

Faits

Un arboriculteur détient 71,5 % du capital d’une société anonyme ayant pour but l’exploitation de domaine agricole et horticole notamment. Il en est l’unique administrateur. En 2021, le Secrétariat d’État à la formation reconnaît le diplôme qu’il a obtenu à l’étranger comme équivalent à un certificat de capacité.

Par acte de vente de novembre 2021, la société agricole achète à un ami de l’arboriculteur un bien-fonds d’environ 3,3 hectares, sis en zone agricole genevoise, en vue d’y exploiter l’arboriculture. La vente est soumise à la condition suspensive de l’obtention d’une autorisation d’acquérir de la Commission foncière agricole du canton de Genève. Le plan d’exploitation élaboré par l’arboriculteur indique que la culture prévue est susceptible d’atteindre un seuil de rentabilité au bout d’une dizaine d’années, mais que son investissement initial ne serait pas remboursé avant cinquante ans, en raison du prix d’achat élevé de la parcelle.

Par décision d’octobre 2022, la commission rejette la demande d’autorisation de la société agricole. La Cour de justice de Genève rejette le recours formé par celle-ci, au motif notamment que l’arboriculteur n’aurait pas démontré son expérience dans le domaine horticole.… Lire la suite