La transmission au DoJ de données personnelles déjà remises au fisc américain lors d’auto-dénonciations
Indépendamment de l’éventuelle transmission de ses données par les contribuables américains concernés dans le cadre de procédures d’auto-dénonciation (voluntary disclosure), la gestionnaire de comptes américains a un intérêt (art. 59 al. 2 let. a CPC) à interdire la transmission de ses informations par la banque suisse dans le cadre du programme américain. La transmission des données n’est pas indispensable à la sauvegarde d’un intérêt prépondérant (art. 6 al. 2 let. d LPD) lorsque les données visées ont déjà été communiquées aux autorités fiscales américaines dans le cadre de procédures de voluntary disclosure.
Faits
Dans le cadre du Joint Statement de 2013 destiné à mettre un terme au contentieux fiscal américain impliquant des banques suisses, une banque décide de participer au programme américain avec l’autorité fiscale américaine (IRS) et le Département fédéral de la justice des Etats-Unis (DoJ) dans la catégorie 2, ce qui signifie qu’elle estime avoir violé le droit américain. Les banques de catégorie 2 sont notamment tenues de communiquer au DoJ le nom et la fonction de toute personne ayant été en relation avec un Closed US Related Account, y compris le gestionnaire d’actifs (liste II.D.2).
Dans ce contexte, la banque entend transmettre au DoJ le nom et la fonction de l’employée d’un gérant externe, celle-ci étant intervenue dans la gestion de comptes d’ayants-droit économiques américains. L’employée s’oppose à cette communication . En cours de procédure, la banque signe un Non-Prosecution-Agreement (NPA) avec le DoJ. Cet accord reprend les termes du Joint Statement. Il impose notamment à la banque de fournir les données visées par la liste II.D.2 pendant une durée de quatre ans à compter de sa signature.
Le Tribunal de première instance interdit à la banque de transmettre les données de l’employée au DoJ. La Cour de Justice de Genève confirme cette décision.
La banque recourt auprès du Tribunal fédéral. Il s’agit de déterminer si la préservation de la stabilité juridique et économique de la place financière suisse constitue un intérêt public prépondérant justifiant la transmission des données litigieuses aux Etats-Unis.
Droit
Sous l’angle de la recevabilité, la banque fait valoir que l’employée n’a pas d’intérêt pour agir (art. 59 al. 2 let. a CPC), parce que ses données ont vraisemblablement déjà été communiquées aux autorités fiscales américaines lors de procédures d’auto-dénonciation (voluntary disclosure) entreprises par les ayants-droits économiques des comptes concernés. Le Tribunal fédéral considère que ceci n’est pas pertinent. L’employée conserve en toute hypothèse un intérêt à interdire la transmission de ses informations par la banque, dès lors que celle-ci interviendrait directement auprès d’une autorité distincte, le DoJ, dans le cadre d’un programme impliquant la reconnaissance par la banque de la violation du droit américain.
Au fond, la communication transfrontière de données personnelles vers un pays n’assurant pas un niveau de protection adéquat est prohibée (art. 6 al. 1 LPD), sauf en présence d’un motif justificatif compris dans la liste exhaustive de l’art. 6 al. 2 LPD. En l’espèce, la banque ne conteste pas que les Etats-Unis n’assurent pas un niveau adéquat de protection des données su sens du droit suisse. Elle fait cependant valoir que la communication des données est justifiée par un intérêt public prépondérant (art. 6 al. 2 let. d 1ère hypothèse). Ceci présuppose (1) l’existence d’un intérêt public, (2) qu’à l’issue d’une pesée des intérêts, celui-ci apparaisse prépondérant et (3) que le transfert de données soit indispensable à sauvegarde de cet intérêt (proportionnalité).
A teneur de jurisprudence, dans le cadre du programme américain, la communication des données visées par la liste II.D.2 est indispensable si, sans la livraison des données, le litige fiscal avec les Etats-Unis évoluerait à nouveau et, ainsi, la place financière helvétique dans son ensemble et la réputation de la Suisse en tant que partenaire de négociation fiable seraient compromises. Il convient de tenir compte des circonstances existant à la date du jugement dans la pesée des intérêts et l’analyse de la proportionnalité du transfert de données (TF, 22.09.2016, 4A_83/2016, résumé in: LawInside.ch/324).
En l’espèce, l’instance précédente a retenu en substance que la banque n’avait pas démontré l’existence d’un risque concret de remise en cause du NPA en l’absence de transfert des données litigieuses. Dans son recours auprès du Tribunal fédéral, la banque n’établit pas en quoi la cour cantonale aurait ainsi constaté les faits de façon arbitraire (art. 105 s. LTF), et n’expose pas de façon suffisante en quoi elle aurait violé le droit (art. 42 al. 2 LTF) en considérant ainsi que la communication des données n’était pas indispensable pour éviter une nouvelle escalade du litige fiscal avec les Etats-Unis et une mise en péril de la place financière helvétique ainsi que de la réputation de la Suisse. En outre, la banque allègue elle-même que les données concernées ont vraisemblablement déjà été communiquées aux autorités fiscales américaines. Dans ces circonstances, on ne voit pas ce qui empêcherait le DoJ d’obtenir ces informations au sein de l’administration américaine. Partant, la livraison des données litigieuses ne peut être considérée comme indispensable à la sauvegarde d’un intérêt public au sens de l’art. 6 al. 2 let. d LPD et il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant l’incidence des obligations de communication prévues par le NPA.
Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours.
Note
La transmission de données dans le cadre du programme américain a donné lieu à un grand nombre de litiges.
S’agissant de la recevabilité, la jurisprudence fédérale retient que la contestation de la transmission de ses données par un employé vise avant tout à éviter un interrogatoire, voire une inculpation aux Etats-Unis et est dès lors de nature non-pécuniaire (ATF 142 II 145, résumé in: LawInside.ch/199). Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral relève qu’il est délicat de déterminer si le litige est de nature pécuniaire lorsque l’une des recourantes est une personne morale exerçant une activité d’intermédiaire financier, mais laisse la question ouverte (TF, 29.11.2017, 4A_355/2017).
Au fond, le Tribunal fédéral a confirmé plusieurs décisions interdisant aux banques de transmettre les données d’employés et gérants externes au DoJ. Certains arrêts rappellent que les instances cantonales disposent d’un pouvoir d’appréciation au sens de l’art. 4 CC dans leur conduite de la pesée des intérêts. Le Tribunal fédéral ne revoit l’usage du pouvoir d’appréciation qu’avec réserve (cf. p. ex. TF, 22.09.2016, 4A_83/2016, résumé in: LawInside.ch/324).
Enfin, un arrêt récent relatif à une requête d’entraide administrative internationale de l’IRS retient que, sous réserve de situations où l’IRS demanderait expressément ces données et où celles-ci présenteraient un caractère nécessaire avéré, les noms des employés de banque et de toute personne extérieure à la banque qui serait intervenue à titre professionnel en lien avec les comptes bancaires visés, ainsi que les données permettant de les identifier, doivent être caviardés avant toute transmission au fisc américain (TF, 18.12.2017, 2C_640/2017*, résumé in: LawInside.ch/556). Par souci de clarté, on relèvera que les procédures d’auto-dénonciation visées par l’arrêt résumé ici (TF, 23.11.2017, 4A_390/2017) sont entreprises par les contribuables américains concernées. En tant que telles, elles relèvent du droit américain et non de l’entraide administrative.
Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La transmission au DoJ de données personnelles déjà remises au fisc américain lors d’auto-dénonciations, in: https://lawinside.ch/559/