La communication par la banque des noms d’avocats au DoJ et à l’IRS américains
Faits
Une banque tessinoise décide de participer au programme américain avec l’IRS (Internal Revenue Service) et le DoJ (Department of Justice) dans la catégorie 2 – ce qui signifie qu’elle considère avoir des raisons de présumer qu’elle a violé le droit américain – afin de signer un Non-Prosecution-Agreement (NPA).
Dans le cadre du transfert de données aux autorités américaines, le Conseil fédéral publie une Note explicative au sujet des demandes d’autorisation au sens de l’art. 271 CP. La Note précise au chiffre 1.4 que si la banque envisage de communiquer des données contre la volonté de la personne concernée par celles-ci, elle doit signaler à cette dernière son droit d’intenter action selon l’art. 15 LPD. La banque transmet les données concernant cette personne au plus tôt dix jours après la notification, si aucune plainte relative à une interdiction de divulguer les données n’a été déposée, ou après l’entrée en force du rejet de la plainte.
En juin 2014, la banque informe deux avocats ainsi qu’une SA d’avocats (ci-après « les avocats ») qu’elle compte transmettre leurs données aux Etats-Unis, compte tenu du fait qu’ils ont une procuration sur sept comptes et sept sous-comptes et sept fondations de droit panaméen dont l’ayant-droit économique est un citoyen américain domicilié aux Etats-Unis. Les avocats s’opposent à la transmission de leurs données, mais la banque considère, après une pondération des intérêts, qu’il existe un intérêt prépondérant à transmettre leurs données.
Le 3 juillet 2014, les avocats saisissent alors le Handelsgericht zurichois qui accepte la demande de mesures provisionnelles visant à interdire la transmission de leurs données. Le 30 septembre 2015, le Handelsgericht valide la demande au fond et interdit donc à la banque de transmettre les données aux autorités américaines.
La banque exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral qui doit déterminer si la communication est, en l’espèce, indispensable à la sauvegarde d’un intérêt public prépondérant (art. 6 al. 2 let. d LPD).
Droit
En premier lieu, les avocats invoquent le fait que la banque ne dispose pas de la qualité pour recourir puisqu’elle n’a plus d’intérêt digne de protection selon l’art. 76 al. 1 let. b LTF. En effet, la banque a pu conclure un NPA sans devoir transmettre les données litigieuses.
Le Tribunal fédéral constate que les obligations de la banque qui découlent du NPA perdurent et que, si la banque venait à ne pas respecter le NPA, entre autres en ne donnant pas des informations complètes, une procédure pénale pourrait s’ouvrir à son encontre. Partant, elle dispose d’un intérêt digne de protection.
Concernant la transmission des données, il n’est pas contesté que leur transmission constitue une « communication » au sens de l’art. 3 al. 1 let. f LPD et que les Etats-Unis ne disposent pas d’une protection adéquate au sens de l’art. 6 al. 1 LPD. Toutefois, l’art. 6 al. 2 let. d LPD prévoit que des données peuvent être communiquées à l’étranger si la communication est, en l’espèce, indispensable soit à la sauvegarde d’un intérêt public prépondérant, soit à la constatation, l’exercice ou la défense d’un droit en justice. La banque ne prétend plus, contrairement à ce qu’elle a fait devant la procédure cantonale, que la procédure devant le DoJ soit une procédure « en justice ».
Le Tribunal fédéral doit donc seulement examiner s’il existe un intérêt public prépondérant à la transmission des données dont leur communication est indispensable.
Le Tribunal fédéral retient qu’il existe un intérêt public à la bonne réputation de la Suisse. Il considère qu’il est « indispensable » (au sens de l’art. 6 al. 2 let. d LPD) de transmettre les données litigieuses si, dans le cas contraire, le litige fiscal avec les Etats-Unis évoluait à nouveau et, ainsi, la place financière helvétique et la réputation de la Suisse étaient compromises.
La question déterminante est celle de savoir si la notion de « indispensable » doit être analysée d’un point de vue abstrait ou concret. Dans une perspective abstraite, la transmission des données serait toujours indispensable, même s’il n’existait plus de danger concret. Le Tribunal fédéral considère toutefois que la LPD permet de prendre en compte d’un point de vue juridique le changement de la situation factuelle. En effet, la LPD a pour but de protéger la personnalité des personnes qui font l’objet d’un traitement de données, but qui ne serait pas atteint si l’on ne pouvait pas prendre en compte les changements factuels et ainsi analyser au moment du jugement si la transmission des données n’est plus indispensable sous l’angle de l’intérêt public.
Partant, le Tribunal fédéral considère que la banque n’a pas suffisamment démontré en quoi l’hypothèse que la transmission des données n’est pas indispensable pour éviter une nouvelle progression du litige fiscal serait contraire au droit.
Le Tribunal fédéral se demande si, en protégeant l’intérêt public, il ne protège pas indirectement l’existence même de la banque, intérêt qui peut également être d’intérêt public. Même si on devait admettre cet intérêt public, le Tribunal fédéral décide de ne pas trancher la question de savoir si une menace concrète d’une accusation pénale à l’encontre de la banque suffit à justifier la transmission des données, puisqu’une telle menace n’existe pas dans le cas d’espèce. Le Tribunal fédéral cite toutefois le cas de la banque Wegelin, afin de rappeler que, malgré une procédure pénale aux Etats-Unis, les places de travail peuvent être protégées en Suisse. Partant, même si la banque tessinoise devait disparaître à la suite d’une procédure pénale ouverte à son encontre aux Etats-Unis, la place financière tessinoise saurait résister au choc.
Dans un dernier temps, le Tribunal fédéral s’arrête brièvement sur la question de la pondération entre l’intérêt public de protéger les places de travail de la banque et l’intérêt des avocats à la préservation de leurs données personnelles. Sur ce point, le Tribunal fédéral constate que l’instance cantonale a usé de son pouvoir d’appréciation consacré par l’art. 4 CC. Le Tribunal fédéral ne revoit le pouvoir d’appréciation qu’avec réserve et que si l’instance précédente n’a pas pris en compte et sans raison les principes reconnus par la jurisprudence et la doctrine. En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que le Handelsgericht n’a pas violé le pouvoir d’appréciation dont il disposait.
Partant, le Tribunal fédéral confirme le refus de transmettre les données aux autorités américaines. Il admet toutefois le recours sur une question liée à la détermination de la valeur litigieuse. Le Handelsgericht a déterminé la valeur litigieuse de manière contraire à l’art. 91 al. 1 CPC.
Proposition de citation : Célian Hirsch, La communication par la banque des noms d’avocats au DoJ et à l’IRS américains, in: https://lawinside.ch/324/
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