La prorogation en faveur du tribunal de commerce et la compétence ratione loci

ATF 143 III 558 | TF, 21.09.2017, 4A_131/2017*

L’élection de compétence en faveur du tribunal de commerce est nulle en tant qu’elle concerne la compétence matérielle. S’agissant de la compétence territoriale, il sied d’interpréter le contrat (le cas échéant selon le principe de la confiance) pour déterminer si les parties, en connaissance de la nullité de la prorogation en faveur du tribunal du commerce, auraient élu un autre for et si oui lequel.

Faits

Un contrat de courtage exclusif en lien avec la vente d’un immeuble situé à Herrliberg (district de Meilen, canton de Zurich) prévoit la compétence du Tribunal de commerce zurichois. L’une des parties est domiciliée à Monaco, l’autre en Suisse. Un litige survient par la suite. L’une des parties ouvre alors action devant le Tribunal d’arrondissement de Zurich, lequel se déclare incompétent. Sur recours, l’Obergericht renvoie l’affaire au Tribunal d’arrondissement de Zurich pour décision au fond.

Saisi de la cause, le Tribunal fédéral doit déterminer quelle portée doit être donnée à une clause d’élection de for en faveur du Tribunal de commerce s’agissant de la compétence territoriale.

Droit

A teneur de jurisprudence, les clauses d’élection de compétence matérielle sont invalides. En particulier, lorsque seul le défendeur est inscrit au registre du commerce, le demandeur peut agir soit devant le tribunal de commerce soit devant le tribunal ordinaire (art. 6 al. 3 CPC). Il n’est pas lié par une clause d’élection de compétence en faveur du tribunal de commerce (ATF 142 III 623, résumé in: https://lawinside.ch/350/). En l’espèce, la demanderesse n’étant pas inscrite au registre du commerce, la clause litigieuse est nulle en tant qu’elle concerne la compétence matérielle.

En ce qui concerne la compétence territoriale, il faut déterminer quel aurait été l’accord des parties si elles avaient connu la nullité de la prorogation en faveur du tribunal du commerce. Dans la mesure où la réelle et commune intention des parties ne peut être établie, le contrat doit être interprété selon le principe de la confiance.

S’agissant d’une cause internationale, il convient de distinguer entre la compétence internationale et la compétence interne en Suisse. Du point de vue de la compétence internationale, le contrat est soumis au droit suisse. Il vise la vente d’un immeuble situé en Suisse. Dans ces circonstances, les parties auraient en tout état soumis le contrat à la compétence des tribunaux suisses indépendamment de la possibilité de choisir le tribunal de commerce. Le choix de la compétence internationale suffit pour que la prorogation de for soit valide au regard de l’art. 23 CL. Partant, les tribunaux suisses sont compétents.

S’agissant de la compétence interne en Suisse, les parties auraient désigné un tribunal d’arrondissement précis si elles avaient connu la nullité de la prorogation en faveur du tribunal du commerce. En effet, il est dans l’intérêt des parties d’éviter toute ambiguïté quant au tribunal compétent. On voit en revanche mal pourquoi elles auraient choisi le Tribunal d’arrondissement de Zurich, lequel n’a aucun lien avec la cause. Il est plus vraisemblable que les parties, en connaissance de la nullité de la prorogation en faveur du tribunal du commerce, auraient opté pour le Tribunal d’arrondissement du lieu de situation de l’immeuble ou du domicile de la défenderesse. Entre ces deux options, il est probable que la demanderesse préférerait agir ailleurs qu’au domicile de la défenderesse. En signant la clause de prorogation en faveur du tribunal de commerce, la défenderesse a démontré qu’elle était prête à renoncer au for de son domicile. Partant, le Tribunal fédéral retient que selon la volonté hypothétique des parties, la clause d’élection de for doit être interprétée comme une prorogation en faveur du Tribunal d’arrondissement du lieu de situation de l’immeuble, soit Meilen et non Zurich. Partant, le Tribunal d’arrondissement de Zurich n’est pas compétent et c’est à tort que l’Obergericht lui a renvoyé l’affaire pour décision au fond.

Le Tribunal fédéral admet ainsi le recours.

Note

En pratique, on rencontre encore régulièrement des clauses de prorogation en faveur d’un tribunal de commerce. La jurisprudence récente établit clairement que de telles conventions sont nulles. Le présent arrêt met en lumière les incertitudes pratiques qui en découlent, à tout le moins lorsque le tribunal de commerce n’est pas compétent matériellement au regard du CPC. Il paraît dès lors avisé d’attirer l’attention des parties à une telle prorogation de for sur les risques y afférents afin de convenir d’un avenant.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La prorogation en faveur du tribunal de commerce et la compétence ratione loci, in: https://lawinside.ch/520/