La discrimination et l’incitation à la haine par l’association de drapeaux LGBTQIA+ avec la croix gammée
La distribution d’autocollants comportant des drapeaux LGBTQIA+ disposés en forme de croix gammée est constitutive de discrimination et d’incitation à la haine (art. 261bis CP).
Faits
Le 14 juin 2023, à Fribourg, une personne colle dans l’espace public trois ou quatre autocollants comportant des drapeaux LGBTQIA+ disposés de manière à former une croix gammée, et remet également plusieurs de ces autocollants à un groupe de personnes indéterminées sur une place.
Le juge de police de l’arrondissement de la Sarine condamne l’auteur des faits à une peine pécuniaire avec sursis pendant quatre ans pour discrimination et incitation à la haine (art. 261bis CP). Après le rejet de son appel par le Tribunal cantonal, l’intéressé saisit le Tribunal fédéral, qui doit déterminer si les faits retenus relèvent de l’art. 261bis CP.
Droit
Selon l’art. 261bis al. 1 CP, se rend notamment coupable de discrimination et d’incitation à la haine quiconque, publiquement, incite à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle.
Pour que cette disposition soit applicable, l’auteur doit en premier lieu agir publiquement, soit en-dehors d’un cercle privé, par des paroles, des écrits, des images, des gestes ou des voies de fait. En l’espèce, il est manifeste que le recourant a agi publiquement en distribuant les autocollants.
Deuxièmement, il faut que le message s’en prenne à une ou plusieurs personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle. Cette dernière notion couvre les orientations hétérosexuelles, homosexuelles et bisexuelles, mais pas l’identité de genre en tant que telle.
Le Tribunal fédéral souligne toutefois que, depuis des décennies, le drapeau arc-en-ciel constitue le symbole de la fierté LGBTQIA+ et de sa diversité. Contrairement à ce que soutient le recourant, sa modification depuis sa création en 1978 et le fait qu’il représente désormais également d’autres minorités n’empêchent pas qu’il constitue, pour tout destinataire moyen, le symbole des communautés homosexuelle et lesbienne.
Le Tribunal fédéral rejette donc l’argument du recourant, qui fait valoir que les drapeaux ne visaient pas la communauté LGBTQIA+, mais « un mouvement beaucoup plus large et différencié représentant aujourd’hui un lobby à caractère purement politique ».
Troisièmement, le message doit inciter à la haine ou à la discrimination en raison de l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse des personnes visées ou de leur orientation sexuelle. La notion d’incitation comprend notamment le fait d’alimenter ou d’attiser des émotions de manière à susciter la haine et la discrimination, y compris en l’absence d’une exhortation très explicite.
C’est sans succès que le recourant tente de convaincre le Tribunal fédéral qu’aujourd’hui, la croix gammée est une représentation plus large du fascisme et de tout régime autoritaire. Au contraire, pour tout destinataire non prévenu, la croix gammée reste l’emblème du parti national-socialiste allemand. Bien que, à l’inverse de ce qui prévaut en Allemagne, les symboles nazis ne soient pas interdits en Suisse, le recourant a utilisé celui-ci pour propager une idéologie au sens de l’art. 261bis CP. En associant la croix gammée du régime nazi au mouvement LGBTQIA+, le recourant cherchait à provoquer un sentiment de haine à l’égard de cette communauté.
Quatrièmement, pour que l’art. 261bis al. 1 CP s’applique, le message haineux doit être directement lié à l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou à l’orientation sexuelle. À cet égard, le Tribunal fédéral rejette l’argument du recourant, qui explique ne pas s’en être pris à la communauté LGBTIA+ dans son ensemble, mais à ses méthodes. Cette interprétation ne saurait en effet être faite sur la base des autocollants distribués.
Enfin, d’un point de vue subjectif, le délit est intentionnel, le dol éventuel pouvant suffire. En l’espèce, considérant le dessin qui figurait sur les autocollants, le recourant a clairement accepté que son message porte atteinte à la dignité des communautés homosexuelle et lesbienne.
C’est donc sans violer le droit fédéral que le Tribunal cantonal fribourgeois a reconnu que l’intéressé s’était rendu coupable de discrimination et d’incitation à la haine au sens de l’art. 261bis al. 1 CP.
Le recourant invoque finalement une violation de sa liberté d’opinion et d’expression, garantie par les art. 16 Cst. et 10 CEDH. Bien que l’art. 261bis CP puisse entrer en conflit avec cette liberté, cette dernière n’a pas une valeur absolue et peut être restreinte dans le respect de l’art. 36 Cst. (cf. ég. art. 10 § 2 CEDH). Confronté·e à un conflit entre l’art. 261bis CP et la liberté d’opinion et d’expression, le·la juge ne peut limiter la seconde qu’en présence de critiques heurtant directement le principe de la dignité humaine et de l’égalité.
En l’espèce, le recourant a porté atteinte à la dignité humaine de la communauté LGBTQIA+ en l’assimilant au régime nazi. Même s’il prétend que son action relève du mouvement anti-wokiste, sa démarche ne s’inscrit pas dans un débat politique ou dans un débat d’intérêt général sur une question d’intérêt public. Il ne peut donc pas bénéficier de la garantie des art. 16 Cst. et 10 CEDH. En outre, les conditions de restriction de l’art. 36 Cst. sont respectées.
Le Tribunal fédéral rejette donc le recours.
Proposition de citation : Camille de Salis, La discrimination et l’incitation à la haine par l’association de drapeaux LGBTQIA+ avec la croix gammée, in: https://lawinside.ch/1592/