Le principe d’identité de la servitude en cas de changement d’usage du fonds dominant
Le principe d’identité de la servitude, selon lequel une servitude peut être radiée si elle ne sert plus l’intérêt existant à sa création, ne dépend pas de l’usage du fonds dominant. Ainsi, une servitude de non-bâtir visant à préserver l’aspect visuel d’un bâtiment scolaire et à éviter les nuisances conserve son utilité lorsque ce bâtiment devient résidentiel.
Faits
En 1952, une servitude de non-bâtir est créée et inscrite au registre foncier en faveur d’un fonds dominant sur lequel se trouvait une école. Le contrat de servitude stipule que le propriétaire du fonds grevé ne peut édifier aucune construction du côté est du fonds dominant sans l’accord de son propriétaire.
Entre 1970 et 1993, le fonds servant fait l’objet de plusieurs subdivisions. Il est tout d’abord divisé en deux parcelles distinctes. Par la suite, la plus grande des parcelles est elle-même divisée en trois différentes parcelles. Lors de toutes ces subdivisions, la servitude de non-bâtir est reportée et inscrite comme charge sur toutes les nouvelles parcelles. En 2009, une acheteuse acquiert deux des parcelles grevées. Elle prévoit d’y ériger une construction et se voit délivrer une autorisation de construire par la commission communale compétente.
Par conséquent, le propriétaire du fonds dominant introduit une action civile pour faire valoir ses droits liés à la servitude. En 2021, le Kantonsgericht du canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures interdit à la propriétaire des parcelles grevées d’exécuter son projet de construction. Celle-ci réagit en introduisant une action visant à obtenir la radiation de la servitude existante, soutenant qu’elle a perdu toute utilité pour la parcelle dominante, le bâtiment scolaire ayant désormais une fonction résidentielle. Par jugement du 25 octobre 2022, le Kantonsgericht lui donne raison et ordonne au registre foncier de procéder à la suppression une fois le jugement devenu définitif.
Sur appel, l’Obergericht appenzellois annule ce jugement par décision du 30 avril 2024. La propriétaire des parcelles grevées saisit alors le Tribunal fédéral, qui est chargé de déterminer si l’intérêt du fonds dominant à la servitude de non-bâtir demeure justifié, bien que l’usage du bâtiment ait changé, passant d’une fonction scolaire à résidentielle.
Droit
Aux termes de l’art. 736 al. 1 CC, le propriétaire grevé peut exiger la radiation d’une servitude qui a perdu toute utilité pour le fonds dominant. En vertu du principe d’identité, une servitude ne peut être maintenue que si elle continue de servir le but pour lequel elle a été créée.
Selon le Tribunal fédéral, il convient donc d’examiner si le propriétaire du fonds dominant a toujours un intérêt à exercer la servitude pour son but initial. Par ailleurs, il rappelle que le fait qu’un intérêt fasse défaut au moment du dépôt de l’action ne conduit pas nécessairement à la radiation de la servitude, notamment si des indices concrets indiquent que l’intérêt pourrait réapparaître en raison d’une évolution future des circonstances.
La propriétaire du fonds grevé affirme que la finalité de la servitude était de garantir un bon éclairage à l’ancienne école, car l’interdiction de construire concerne les terrains situés à l’est, d’où provient la lumière du soleil. Or, l’école n’existant plus, cet objectif serait devenu caduc.
Toutefois, le contrat de servitude ne mentionne pas d’objectif d’éclairage ou d’ensoleillement. L’Obergericht a donc cherché à déduire le but initial en fonction des besoins existants à l’époque de la création de la servitude. Il a écarté l’hypothèse de l’éclairage, soulignant que la topographie du terrain et la présence d’autres constructions à proximité rendaient cette finalité peu crédible. Il a conclu que la servitude visait plutôt à préserver l’esthétique de l’ancien bâtiment scolaire en protégeant la façade est, dotée d’une architecture particulière. La servitude visait aussi probablement à protéger la pelouse de jeux.
Selon la recourante, ces objectifs sont caducs, car le bâtiment ne remplit plus sa fonction scolaire. Toutefois, le Tribunal fédéral soutient l’interprétation de l’Obergericht, selon laquelle les objectifs visés par la servitude sont les mêmes, que le bâtiment ait un usage scolaire ou résidentiel. En effet, les habitants actuels bénéficient tout autant que les élèves à ce que l’espace soit ouvert autour du bâtiment. Par conséquent, l’identité de la servitude n’a pas été rompue, même si l’usage du bâtiment a changé.
La recourante se prévaut également de l’art. 736 al. 2 CC, selon lequel le propriétaire grevé peut obtenir la libération d’une servitude qui ne conserve qu’une utilité réduite, hors de proportion avec les charges imposées au fonds servant. Selon elle, les parcelles étant classées en zone constructible, il y a un déséquilibre injustifiable entre son droit de construire et l’intérêt du fonds dominant à maintenir la servitude.
Cependant, le Tribunal fédéral écarte cet argument, car bien que l’intérêt du fonds dominant soit légèrement réduit depuis qu’il n’y a plus de pelouse de jeux, l’intérêt à préserver l’aspect visuel du bâtiment, à maintenir une vue dégagée et à éviter les nuisances reste pleinement justifié pour un bâtiment résidentiel.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Johann Melet, Le principe d’identité de la servitude en cas de changement d’usage du fonds dominant, in: https://lawinside.ch/1564/