L’intérêt de tiers à contester une mesure administrative
Le préjudice découlant de l’inexécution d’obligations contractuelles constitue un intérêt de fait, de nature économique, insuffisant à fonder un intérêt digne de protection de tiers à demander l’annulation d’une décision administrative.
Faits
Le 12 décembre 2023, le Département des institutions et du numérique de la République et canton de Genève publie un communiqué de presse en lien avec les débordements violents survenus le week-end du 9 au 10 décembre 2023 en marge du match de football opposant le Lausanne-Sport au Servette FC. Le communiqué de presse indique que suite à ces débordements, les autorités chargées de délivrer les autorisations dans le cadre des manifestations sportives ont décidé de fermer les secteurs réservés aux supporters ultra des deux équipes lors de leurs prochains matchs. La Tribune Nord du stade de la Praille a ainsi été fermée au public lors de la rencontre du 17 décembre 2023 opposant le Servette FC et le FC Lugano.
Le 29 janvier 2024, des personnes physiques et morales, toutes titulaires d’un abonnement pour assister aux matchs du Servette FC, interjettent un recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de Justice du canton de Genève contre la décision ressortant du communiqué de presse du 12 décembre 2023. Par arrêt du 28 mai 2024, la Chambre administrative déclare le recours irrecevable, faute que les recourants ne disposent de la qualité pour agir.
Les supporters interjettent un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si la qualité pour agir en matière cantonale, telle que définie en l’espèce par la Chambre administrative, respecte les art. 89 al. 1 et 111 LTF.
Droit
L’art. 111 al. 1 LTF dispose que la qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédente doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral. Partant, le droit cantonal ne saurait définir la qualité de partie de manière plus étroite que l’art. 89 LTF.
Les art. 89 al. 1 let. c LTF et art. 60 al. 1 let. b LPA/GE définissent la qualité pour recourir de manière analogue, en fonction de l’existence d’un intérêt digne de protection à demander la modification ou l’annulation de la décision attaquée. Pour être digne de protection, cet intérêt doit être direct et concret, ce qui impose que le recourant se trouve dans un rapport suffisamment étroit, plus important que l’ensemble des administrés avec l’objet de la contestation.
Pour pouvoir recourir contre une décision dont il n’est pas le destinataire, le tiers doit être atteint plus directement et plus fortement que tout autre tiers et se trouver, avec l’objet de la contestation, dans une relation particulière, étroite et digne d’être prise en considération. Ces conditions sont appréciées restrictivement, une atteinte indirecte, médiate ou un simple intérêt de fait ne permettant pas de fonder un intérêt digne de protection.
En l’espèce, seul le Servette FC a fait l’objet d’une mesure administrative. Ces mesures ne touchent les recourants dans leur liberté personnelle ou intérêts économiques que de manière indirecte. En effet, les recourants ne disposent d’aucun droit constitutionnel (notamment au titre des art. 10 et 22 Cst.) ou légal d’accès au stade dès lors que celui-ci relève d’un espace privé et non du domaine public. Le droit d’accès au stade dont se prévalent les recourants ne découle que du contrat de droit privé qui les lie au Servette FC. Or, le préjudice qui découle de l’inexécution d’obligations contractuelles constitue un intérêt de fait, de nature économique, lequel est insuffisant à fonder un intérêt digne de protection pour des tiers au sens de l’art. 89 al. 1 let. c LTF.
De plus, un intérêt digne de protection au sens de l’art. 89 al. 1 let. c LTF n’est pas non plus reconnu aux tiers lorsque ceux-ci peuvent, sans aucun préjudice, faire valoir leurs droits par le biais d’une autre procédure. Tel est le cas en l’espèce, les recourants pouvant agir par la voie civile afin d’obtenir un dédommagement financier du club qui leur a refusé une prestation contractuelle en application de mesures administratives qu’il a renoncé à contester.
Partant, c’est à bon droit que la Chambre administrative a nié l’existence d’un intérêt digne de protection aux recourants.
Proposition de citation : Simon Pfefferlé, L’intérêt de tiers à contester une mesure administrative, in: https://lawinside.ch/1551/