L’interdiction de la prostitution dans un certain périmètre

TF, 06.09.2024, 2C_474/2023*

L’instauration, dans un règlement communal, d’un périmètre automatique et absolu de 100 mètres autour de zones protégées interdisant totalement la prostitution de salon est disproportionnée et viole la liberté économique (art. 27 Cst.). Faute de pouvoir l’interpréter de manière conforme au droit supérieur, ce périmètre d’exclusion est annulé.

Faits

Une société, propriétaire d’un terrain sur une commune, exploite un home pour personnes ayant des troubles psychiatriques. Ladite société souhaite changer d’activité afin d’exploiter un salon de prostitution. Un permis de changement d’affectation des locaux est demandé. La Municipalité s’oppose publiquement à cette demande et encourage la population à s’y opposer.

Dans la même période, le Conseil communal adopte un règlement communal qui interdit totalement l’exercice de la prostitution de salon dans un périmètre de 100 mètres autour de certains lieux (habitations, lieux de culte, bâtiments scolaires, etc). En outre, ledit règlement prévoit la possibilité pour la Municipalité d’accorder des dérogations et de préciser la notion de zones à prépondérance d’habitat. La société saisit la Cour constitutionnelle du Tribunal cantonal du canton de Vaud concluant à l’annulation d’une partie du règlement.

À la suite du rejet de la requête par la Cour constitutionnelle, la société saisit le Tribunal fédéral en invoquant une violation de sa liberté économique. Celui-ci est amené à contrôler abstraitement le règlement communal et à se prononcer sur la validité de la création du périmètre d’exclusion.

Droit

L’art. 27 Cst. protège toute activité économique privée exercée à titre professionnel et tendant à la production d’un gain ou d’un revenu. L’interdiction de l’exercice de la prostitution de salon dans un certain périmètre constitue manifestement une atteinte à ce droit fondamental. Le Tribunal fédéral procède donc au contrôle de son admissibilité (art. 36 Cst.).

Le règlement communal litigieux s’inspire dans une large mesure du règlement de la commune de Payerne, lequel avait été jugé conforme au droit supérieur par le Tribunal fédéral (TF, 07.06.2016, 2C_862/2015). Comme dans cet arrêt antérieur, le Tribunal fédéral retient en l’espèce que le règlement communal repose sur une base légale suffisante et poursuit un intérêt public prépondérant, à savoir l’ordre et la tranquillité publics.

Cela étant, le règlement communal litigieux se distingue du règlement Payernois, en ce qu’il interdit l’exercice de la prostitution non seulement dans certains lieux, mais aussi dans une « zone tampon » de 100 mètres autour desdits lieux. Sous l’angle de la proportionnalité, l’instauration d’un tel périmètre d’exclusion n’apparait pas nécessaire pour atteindre le but d’intérêt public poursuivi. L’interdiction totale de la prostitution dans les lieux pertinents (habitations, lieux de culte, bâtiments scolaires, etc.) et à leurs abords immédiats, sans l’ajout du périmètre d’exclusion, permet déjà d’atteindre l’intérêt public poursuivi. Du fait du périmètre d’exclusion, l’interdiction s’étend sur de grandes portions du territoire communal dans lesquelles l’exercice de la prostitution de salon ne serait pas de nature à troubler l’ordre et la tranquillité publics. En définitive, bien que l’exercice de la prostitution de salon ne soit pas interdit sur l’ensemble du territoire communal, l’instauration du périmètre d’exclusion est disproportionnée.

Ensuite, compte tenu de la retenue qui s’impose au Tribunal fédéral dans le cadre d’un contrôle abstrait, il convient d’examiner si une interprétation conforme au droit supérieur est possible.

En l’espèce, la seule interprétation conforme consisterait à ignorer le périmètre d’exclusion et à examiner, au cas par cas, si l’ouverture d’un salon de prostitution dans la zone tampon risque concrètement de porter atteinte à un intérêt public en vue de l’octroi d’une dérogation. Une telle situation priverait le périmètre d’exclusion de toute utilité. De surcroît, compte tenu de la position ouvertement défavorable à la prostitution de la Municipalité, une application conforme au droit supérieur apparaît peu vraisemblable.

Dans la mesure où l’instauration du périmètre d’exclusion est disproportionnée et qu’aucune interprétation conforme au droit supérieur n’est possible, le Tribunal fédéral prononce l’annulation dudit périmètre. Pour le surplus, le règlement communal peut être interprété conformément à la Constitution.

Partant, l’arrêt de l’instance inférieure est annulé et le recours est partiellement admis.

Proposition de citation : Sébastien Picard, L’interdiction de la prostitution dans un certain périmètre, in: https://lawinside.ch/1513/