Réflexions d’été caniculaire : La défense du climat et le mobile honorable

ATF 149 IV 217 | TF, 30.03.2023, 6B_620/2022*

La défense du climat ne constitue pas dans toutes les situations un mobile honorable (art. 48 let. a ch. 1 CP). Les raisons et la manière de faire de l’auteur demeurent déterminantes. L’angoisse ressentie par les activistes n’est pas nécessairement suffisante pour admettre un profond désarroi (art. 48 let. c CP). La profonde détresse repose sur un caractère proportionnel, absent en cas de déprédations d’un bâtiment (art. 48 let. c CP).

Faits

En 2018, un manifestant participe à Genève à une manifestation portant sur la protection du climat. Au cours de celle-ci, il appose ses mains recouvertes d’une peinture rouge sur la façade, les murs, les rideaux métalliques et la plaque de devanture de la banque Crédit Suisse. Le manifestant entend dénoncer les investissements de la banque dans les énergies fossiles et la désigner comme responsable de victimes du réchauffement climatique.

Poursuivi pour dommages à la propriété (art. 144 CP), il est acquitté par la Cour de justice de Genève, laquelle retient qu’il a agi en état de nécessité (art. 17 CP ; CJ GE, 14.10.2020, AARP/339/2020).

Sur recours du Ministère public genevois, le Tribunal fédéral casse cette décision (TF, 28.09.2021, 6B_1298/2020, 6B_1310/2020) et renvoie l’affaire à la Cour de justice de Genève. Celle-ci est donc tenue de réformer son arrêt. Estimant que le manifestant doit être mis au bénéfice des circonstances atténuantes décrites à l’art. 48 CP, elle limite sa condamnation à une simple amende de CHF 100.-. Le Ministère public de Genève recourt à nouveau au Tribunal fédéral lequel est amené à se prononcer sur l’application de circonstances atténuantes en cas de manifestations pour le climat.

Droit

Le juge fixe la peine d’après la culpabilité de l’auteur (art. 47 CP). Le mobile honorable (art. 48 let. a ch. 1 CP), la détresse profonde (art. 48 let. a ch. 2 CP) et l’état de profond désarroi (art. 48 let. c) constituent des circonstances qui peuvent conduire à une atténuation voire à une modification du genre de la peine (art. 48a CP).

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que le mobile honorable s’examine d’après l’échelle des valeurs éthiques reconnues par la collectivité dans son ensemble. Il doit reposer sur des convictions dignes d’estime. L’analyse de ces convictions n’intervient pas sur le plan subjectif, à savoir sur le plan de l’auteur, mais bien sur le plan objectif, c’est-à-dire celles qui prévalent dans notre société.

Il souligne ensuite que la lutte contre le dérèglement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre sont des préoccupations de premier ordre dans notre société. Aussi, il relève que les manifestants pour le climat qui entendent informer et sensibiliser la population à ces enjeux agissent dès lors en raison de motifs altruistes, idéaux et par conséquent, respectables.

Cela étant dit, le Tribunal fédéral se livre aux considérations suivantes :

« Il n’en demeure pas moins qu’au regard notamment de la radicalité des slogans utilisés et des messages énoncés, mais également du choix des établissements visés, les actions mises en œuvre par les collectifs de militants pour le climat sont, bien souvent, également susceptibles de refléter, outre une préoccupation écologique légitime de leurs auteurs, une critique peu nuancée de la liberté économique ou encore du droit de propriété privée, dans une approche teintée d’anticapitalisme. Les appels à la désobéissance civile qui y sont parfois formulés tendent pour leur part à traduire une remise en cause de la légitimité démocratique du droit, pénal en particulier, ainsi que des autorités chargées de son application, que la cause climatique ne saurait à elle seule justifier. A ces derniers égards, les actions des militants pour le climat […] dénotent […] un activisme purement idéologique, qui, en tant que tel, doit être tenu pour neutre sur l’échelle des valeurs » (c. 1.3.6).

Le Tribunal fédéral précise encore la chose suivante :

« un mobile honorable doit en tout état être dénié lorsque les actes des militants, par leur violence, conduisent à des déprédations ou à un risque d’atteinte à l’intégrité corporelle d’autrui. Dans un État de droit tel que la Suisse, qui offre de larges garanties en termes de droits politiques et de liberté d’expression notamment, des actes de telle nature ne sauraient en effet être rendus excusables par la volonté de promouvoir quelque idéal politique, aussi respectable soit-il » (c. 1.3.7).

Dans le cas d’espèce, le manifestant a apposé une peinture rouge à base de craie et lavable à l’eau sur les locaux de Crédit Suisse. Le Tribunal fédéral y voit une déprédation d’une violence suffisante pour empêcher l’application de l’art. 48 let. a ch. 1 CP.

Le Tribunal fédéral prend toutefois la peine de préciser qu’un mobile honorable peut entrer en ligne de compte

« lorsque, sans commettre de violences ou de dégâts, les militants occupent durant une courte période des locaux commerciaux accessibles au public, voire des sites privés, pour y déployer des banderoles ou y délivrer un message par une action spécifiquement conçue. Tel peut aussi être le cas d’un bref sit-in opéré sur la voie publique, en tant qu’il n’entraîne pas de perturbations à la circulation routière ou au bon fonctionnement des services d’intérêt général et, plus généralement, à la sécurité publique. Selon les circonstances, le mobile honorable peut également être retenu lorsque l’acte provoque, d’une manière modeste et contrôlée ainsi que limitée dans le temps, des atteintes à la liberté d’action d’autrui » (c. 1.3.7).

Après avoir écarté la profonde détresse et le profond désarroi, le Tribunal fédéral admet le recours. L’affaire est ainsi une fois de plus renvoyée à la Cour de justice.

Note:

Selon l’ONU, depuis le début des mesures, le mois de juillet 2023 est le plus chaud jamais enregistré sur la Planète, que ce soit sur terre ou dans l’eau. Ce mois caniculaire, et les catastrophes environnementales qu’il a causées, nous ont inspiré les quatre commentaires suivants :

1. Le mobile honorable en l’absence d’une infraction

Le Tribunal fédéral identifie les situations dans lesquelles il estime qu’un mobile honorable pourrait intervenir. Il évoque les manifestants occupant durant une courte période des locaux commerciaux accessibles au public, se livrant à un bref sit-in sur la voie publique sans perturber le trafic, ou encore provoquant, d’une manière modeste et contrôlée, des atteintes à la liberté d’action d’autrui.

Le Tribunal fédéral mentionne donc des situations où, à première vue, aucune infraction pénale ne serait à déplorer. On peine en effet à identifier quelle serait l’infraction pénale commise de celui qui occupe durant une courte période des locaux commerciaux accessibles au public. Aussi, il ressort de cet arrêt que, selon le Tribunal fédéral, lorsque des manifestants du climat ne commettent pas d’infraction, les autorités judiciaires devraient les mettre au bénéfice du mobile honorable. Or le mobile honorable doit permettre d’atténuer ou de modifier la peine de celui reconnu coupable d’une infraction. En l’absence d’infraction, on peine à imaginer quel rôle pourrait encore devoir jouer les art. 48 et 48a CP.

2. Le mobile honorable et la violence

La notion de violence se situe au centre de cette affaire. Le mobile honorable est exclu notamment en raison du comportement du manifestant que le Tribunal fédéral qualifie de violent. Cette qualification avait déjà été retenue dans l’arrêt 6B_1298/2020, 6B_1310/2020 (c. 4.3) pour écarter l’application de l’art. 10 CEDH. Le Tribunal fédéral avait alors considéré que :

« [le manifestant] a maculé de peinture rouge les murs, les rideaux et les plaques métalliques du bâtiment de la banque et a de ce fait causé un dommage à la propriété à [Crédit Suisse]. Le fait de barbouiller le bien d’autrui avec un spray constitue un acte de violence […]. Par son comportement, [le manifestant] a donc commis un acte de vandalisme incompatible avec la liberté d’expression» (TF, 28.09.2021, 6B_1298/2020, 6B_1310/2020, c. 4.3).

Selon le Tribunal fédéral, cette conclusion était justifiée car « [l]’ordre public ne tolère pas les manifestations militantes comportant des actes illicites (telles des déprédations) ou appelant à des violences » (TF, 28.09.2021, 6B_1298/2020, 6B_1310/2020, c. 4.2.). Se prévalant de sa propre jurisprudence, le Tribunal fédéral avait choisi de situer sur un même plan les « déprédations » et les actes « appelant à la violence ». Or un tel rapprochement est étranger à la jurisprudence de la CourEDH.

En effet, s’il est incontestable que des actes de violence ne tombent pas sous le coup de la protection de la liberté d’expression (art. 10 CEDH) ou de réunion (art. 11 CEDH ; cf. à ce titre CourEDH, Navalnyy c. Russie, 29580/12 et quatre autres, 15 novembre 2018 ; CourEDH, Ter-Petrosyan c. Arménie, 36469/08, 25 avril 2019), des actes de déprédation, pour autant qu’ils constituent une forme d’expression protégée par l’art. 10 CEDH, doivent être jugés à la lumière de cette dernière disposition.

Dans l’arrêt Murat Vural contre Turquie par exemple, la CourCEDH a considéré que verser de la peinture sur des statues d’Atatürk en guise de protestation contre le régime politique de l’époque constituait une forme d’expression protégée par l’art. 10 CEDH (CourEDH, Murat Vural c. Turquie, 9540/07, 21 octobre 2014). Le fait qu’il se soit agi de déprédations n’a pas fait obstacle à l’application de l’art. 10 CEDH. Comme le relève la doctrine récente, la décision de la CourEDH « Bumbeș contre Roumanie […] est limpide : une manifestation est pacifique [et donc non-violente] si personne n’est blessé ni ne fait l’objet de violences physiques » (Genton/Favrod-Coune, Liberté d’expression et répression pénale, SJ 2022 623, nbp 159 avec référence à CourEDH, Bumbes c. Roumanie, 18079/15, 3 mai 2022, résumé in : lawinside.ch/1191).

Partant, on peine à suivre le Tribunal fédéral lorsqu’il estime que le fait d’apposer de la peinture à base de craie (lavable à l’eau) sur la façade de Crédit Suisse est un acte d’une violence trop intense pour exclure la protection déduite de l’art. 10 CEDH. Si des manifestants qui versent de la peinture sur une statue d’Atatürk sont protégés, alors celui qui appose des mains rouges sur un bâtiment d’une banque doit l’être aussi, les deux types de déprédation étant très proches.

La notion de violence développée par la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral est par ailleurs incompatible avec celle retenue par la Ière Cour de droit public (au moment où l’arrêt est rendu le Tribunal fédéral ne s’est pas encore doté de sa deuxième Cour de droit pénal [art. 35a RTF]). En effet, en parfaite conformité avec la jurisprudence de la CourEDH, la Ière Cour de droit public a considéré qu’un barrage symbolique de branchages et le fait d’écrire des slogans au charbon sur les murs d’une banque ou encore d’apposer du scotch sur des caméras de surveillance, ne constituaient pas des actes violents (ATF 147 I 372, c. 4.4 et 4.5, rés. et commenté par Laura Ces in Crimen.ch), mais des actes expressifs de protestation politique non-violents protégés par les libertés d’expression et de réunion. Dans la droite ligne de ce qui précède, dans un arrêt TF, 1B_259/2022, la Ière Cour de droit public a confirmé que des « tags » constituaient une infraction contre le patrimoine d’importance mineure (c. 4.2.). Celle-ci ne portait pas atteinte à des biens juridiques particulièrement digne de protection, comme l’intégrité corporelle, mais seulement au patrimoine (« die untersuchten Anlasstaten tangieren keine besonders schützenswerten Rechtsgüter (wie etwa die körperliche Integrität), sondern einzig das Vermögen » c. 4.4.). Aussi, et encore une fois, on peine à suivre la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral lorsqu’elle qualifie de violents les actes reprochés au manifestant dans le cas d’espèce.

Dans l’arrêt ici commenté, le Tribunal fédéral refuse de reconnaître le mobile honorable au motif que la déprédation du militant est trop violente. Il poursuit son raisonnement ainsi :

« Dans un État de droit tel que la Suisse, qui offre de larges garanties en termes de droits politiques et de liberté d’expression notamment, des actes de telle nature ne sauraient en effet être rendus excusables par la volonté de promouvoir quelque idéal politique » (c. 1.3.7).

Ce dernier extrait du Tribunal fédéral étonne. Le Tribunal fédéral refuse au manifestant le bénéfice du mobile honorable, motif pris qu’il aurait dû exercer son droit (humain) déduit de la liberté d’expression (art. 10 CEDH). Or, en excluant du champ d’application de l’art. 10 CEDH les actes violents mais également les déprédations, le Tribunal fédéral a radicalement réduit la protection que cette disposition est censée apporter aux manifestants pacifiques. Ainsi, pris dans son ensemble, le raisonnement du Tribunal fédéral a consisté :

(i) à réduire le champ de protection de la CEDH en adoptant une définition de la violence qui n’est pas partagée par la CourEDH, ce faisant,

(ii) à exclure le comportement du manifestant du champ de protection de l’art. 10 CEDH et enfin

(iii) à lui reprocher de ne pas avoir adopté un comportement protégé par la CEDH pour refuser le bénéfice du mobile honorable.

On regrette cet enchaînement.

On relèvera encore que le Tribunal fédéral invoque l’État de droit et les libertés fondamentales qui en sont déduites pour justifier sa position, laquelle penche pour une répression plus sévère que celle retenue devant l’instance précédente. Cette ligne argumentative surprend. L’État de droit et les libertés fondamentales ne devraient pas être invoqués par les autorités chargées d’appliquer le droit pénal pour justifier une condamnation. De telles libertés fondamentales sont avant tout au service de l’individu pour le protéger face à l’État et non au service de l’État pour exercer une violence – certes ici toute relative – contre l’individu.

3. Lutte contre le réchauffement climatique et remise en question de certains fondements socio-économiques de notre société

En plus de l’argument qu’il déduit de la violence (cf. notre commentaire supra 2), le Tribunal fédéral procède à un second raisonnement pour refuser le mobile honorable. Il relève d’abord que la protection du climat est une préoccupation de premier ordre dans notre société. On comprend entre les lignes que, selon le Tribunal fédéral, si le manifestant s’était contenté d’exprimer son soutien à la lutte contre le réchauffement climatique, il aurait potentiellement pu bénéficier d’une application de l’art. 48 CP.

Cela étant dit, selon le Tribunal fédéral, le mobile honorable ne saurait ici entrer en considération car :

« la radicalité des slogans utilisés et des messages énoncés, mais également du choix des établissements visés, les actions mises en œuvre par les collectifs de militants pour le climat sont, bien souvent, également susceptibles de refléter, outre une préoccupation écologique légitime de leurs auteurs, une critique peu nuancée de la liberté économique ou encore du droit de propriété privée, dans une approche teintée d’anticapitalisme » (c. 1.3.6).

Le Tribunal fédéral reproche ainsi au manifestant d’avoir, en marge de son activisme climatique, exprimé une remise en question de certains fondements du libéralisme économique qui caractérise notre société : liberté économique, propriété privée et capitalisme. Le Tribunal fédéral semble suggérer que, s’il est souhaitable de lutter contre le réchauffement climatique, pour qu’il s’agisse d’un mobile honorable, il faut le faire sans remettre en cause les fondements (ici économiques) de notre société. Le Tribunal fédéral semble ainsi nourrir l’idée que la lutte contre le réchauffement climatique peut être entreprise sans questionner les modes de fonctionnement sur lesquels notre société repose.

Cette idée, aussi plaisante soit-elle, du moins pour une partie de la population suisse, n’est pas réaliste. En effet, le Tribunal fédéral perd de vue que la lutte contre le réchauffement climatique suppose de réduire nos émissions de CO2 à zéro d’ici à 2050, soit cesser (presque complètement) de consommer des énergies fossiles. Or, notre société telle qu’elle est organisée aujourd’hui est profondément dépendante de ces énergies. Nous produisons, nous transportons, nous nous déplaçons et nous nous logeons en brûlant de telles énergies. L’ONU rappelle ainsi volontiers que la neutralité carbone voulue par l’Accord de Paris suppose d’opérer « une transformation complète de notre façon de produire, de consommer et de nous déplacer » (cf. le site suivant: https://www.un.org/fr/climatechange/net-zero-coalition [21.07.2023]), en d’autres termes une transformation complète de notre société.

Le réchauffement climatique est induit par l’être humain. La lutte contre le réchauffement climatique n’est donc pas une lutte contre un phénomène naturel mais bien une lutte contre l’activité humaine telle qu’elle est socio-économiquement organisée aujourd’hui.

C’est d’ailleurs ce qui ressort des travaux du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). La synthèse du sixième rapport d’évaluation du GIEC a été publiée le lundi 20 mars 2023. Il en ressort que la lutte contre le réchauffement climatique suppose d’entreprendre urgemment des transformations profondes de nos habitudes sociétales. Dans le summary for Policymakers, on peut lire les extraits suivants :

« [B.6] All global modelled pathways that limit warming to 1.5°C (>50%) with no or limited overshoot, and those that limit warming to 2°C (>67%), involve rapid and deep and, in most cases, immediate greenhouse gas emissions reductions in all sectors this decade« .

« [C.2] Climate change is a threat to human well-being and planetary health (very high confidence). There is a rapidly closing window of opportunity to secure a liveable and sustainable future for all (very high confidence) ».

« [C.3.1] The systemic change required to achieve rapid and deep emissions reductions and transformative adaptation to climate change is unprecedented in terms of scale, but not necessarily in terms of speed (medium confidence). Systems transitions include: deployment of low- or zero-emission technologies; reducing and changing demand through infrastructure design and access, socio-cultural and behavioural changes, and increased technological efficiency and adoption; social protection, climate services or other services; and protecting and restoring ecosystems (high confidence) ».

Dans le Longer Report, le GIEC rapporte les observations suivantes :

“[p. 54] Ambitious mitigation pathways imply large and sometimes disruptive changes in economic structure, with implications for near-term actions (Section 4.2), equity (Section 4.4), sustainability (Section 4.6), and finance (Section 4.8) (high confidence)”.

“[p. 66] Adaptation and mitigation actions, across scales, sectors and regions, that prioritize equity, climate justice, rights-based approaches, social justice and inclusivity, lead to more sustainable outcomes, reduce trade-offs, support transformative change and advance climate resilient development (high confidence). Redistributive policies across sectors and regions that shield the poor and vulnerable,, [sic] social safety nets, equity, inclusion and just transitions, at all scales can enable deeper societal ambitions and resolve trade-offs with sustainable development goals.(SDGs), particularly education, hunger, poverty, gender and energy access (high confidence)”.

“[p. 80] Finance, international cooperation and technology are critical enablers for accelerated climate action. If climate goals are to be achieved, both adaptation and mitigation financing would have to increase many-fold. There is sufficient global capital to close the global investment gaps but there are barriers to redirect capital to climate action. Barriers include institutional, regulatory and market access barriers, are reduced and address the needs and opportunities, economic vulnerability and indebtedness in many developing countries”.

Les conclusions du GIEC sont donc claires : la lutte contre le réchauffement climatique suppose d’opérer un changement profond de nos modes de fonctionnement, notamment économiques et financiers, et ce, immédiatement.

Aussi, la lutte contre le réchauffement climatique et la remise en question de certains fondements socio-économiques de notre société forment un tout. Sauf à ignorer le travail du GIEC, le Tribunal fédéral ne saurait suggérer que la lutte contre le réchauffement climatique est uniquement honorable lorsqu’elle n’est pas accompagnée d’une critique plus globale des modèles socio-économiques sur lesquels repose notre société.

Partant, soit la lutte contre le réchauffement climatique est honorable ; le cas échéant, les remises en question nécessaires de notre société, aussi désagréables à entendre soient-elles, le sont aussi, et ce, même si elles sont formulées maladroitement. Soit le Tribunal fédéral estime que les fondements socio-économiques de notre société ne doivent pas être remis en question, et donc, exclut toute légitimité à la lutte contre le réchauffement climatique, refusant par la même occasion à tout manifestant pour le climat la possibilité de se prévaloir de l’art. 48 CP. De fait, dans l’arrêt que nous commentons ici, le Tribunal fédéral donne la préférence à cette seconde voie, laquelle ignore le travail du GIEC.

4. Le Tribunal fédéral déplore le lieu de la manifestation

Pour finir, le Tribunal fédéral semble reprocher au manifestant de s’en être pris à une banque. Il déplore en effet « le choix des établissements visés » (c. 1.3.6). Cette remarque du Tribunal fédéral appelle les observations suivantes.

Le choix du lieu de la manifestation a souvent lui-même un contenu expressif, notamment du fait de sa dimension symbolique (Genton/Favrod-Coune, Liberté d’expression et répression pénale, SJ 2022 623, p. 633 ; cf. ég. les affaires CourEDH, Sáska c. Hongrie, 58050/08, 27 novembre 2012 ; CourEDH, Tuskia et autres c. Géorgie, 14237/07, 11 octobre 2018). Les lieux choisis sont parfois des symboles de domination et de pouvoir, de régimes politiques et de dirigeants, du pouvoir économique, d’une société patriarcale, ou encore du modèle économique dominant, contre lesquels porte souvent précisément la protestation (Genton/Favrod-Coune, Liberté d’expression et répression pénale, SJ 2022 623, p. 633). Dans un arrêt de 2011 (BVerfG, 699/06, 22 février 2011, rapporté par Quentin Cuendet, in : lawinside.ch/1144), la Cour constitutionnelle allemande a souligné que les manifestants doivent pouvoir « décider eux-mêmes de l’endroit où ils peuvent exprimer leur message le plus efficacement, cas échéant en tenant compte des liens existants avec certains lieux ou institution » (c. 64, librement traduit).

Dans l’affaire ici commentée, le Tribunal fédéral reproche au manifestant d’avoir pris pour cible une façade de Crédit Suisse. Or, le choix de l’établissement n’est pas anodin. Comme l’a rapporté la Cour de justice de Genève dans son arrêt au fond :

« [Crédit Suisse] a un poids démesuré, par rapport à d’autres acteurs du secteur financier suisse, dans le domaine du financement des énergies fossiles. Tandis que sa principale concurrente [UBS] s’est désinvestie de ce domaine, à partir de l’année 2016 les investissements de [Crédit Suisse] ont augmenté entre 2016 et 2017, essentiellement en raison d’investissements dans le charbon […]. Dans une liste des banques les plus actives dans le financement des énergies fossiles dans le monde [Crédit Suisse] figure en 14ème position, avec des financements s’élevant à plus de 57,4 milliards de dollars au cours des trois dernières années […]. [UBS] avec un total de 25.8 milliards, figure en 25èmeposition » (CJ GE, AARP/339/2020 du 14.10.2020, partie En faits, i).

Crédit Suisse n’est donc pas n’importe quelle entreprise. Il s’agit de la banque suisse la plus impliquée dans la destruction du climat. Choisir Crédit Suisse pour cible est donc porteur d’un contenu expressif clair – d’ailleurs le message du manifestant a été compris de tous – qui aurait dû emporter application de l’art. 10 CEDH selon le raisonnement suivant : c’est notamment parce que Crédit Suisse était visée que le manifestant aurait dû être protégé par le CEDH. Or, le Tribunal fédéral a jugé précisément l’inverse : c’est parce que Crédit Suisse était visée que, non seulement l’art. 10 CEDH ne s’applique pas, mais aussi que le manifestant ne saurait être mis au bénéfice du mobile honorable.

L’auteur de ce résumé participe à la défense pénale de manifestants pour le climat.

Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, Réflexions d’été caniculaire : La défense du climat et le mobile honorable, in: https://lawinside.ch/1334/