Les fermetures COVID et le défaut de la chose louée : le TF tranche
La fermeture des locaux commerciaux ordonnée par les autorités dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de COVID-19 ne constitue pas un défaut de la chose louée justifiant une réduction du loyer (art. 259a CO). La simple mention dans le contrat de l’usage prévu (« restaurant, bar, club ») n’implique aucune garantie de pouvoir exercer effectivement ce type d’activité pendant toute la durée du bail.
Faits
Une société anonyme loue un local commercial à une autre société. Le bail stipule que le local peut être utilisé comme « restaurant, bar, club ». La locataire y exploite effectivement un club.
À la suite des mesures ordonnées par le Conseil fédéral pour lutter contre l’épidémie de COVID-19, la locataire doit fermer son établissement du 17 mars au 5 juin 2020, puis du 29 octobre 2020 au 25 juin 2021.
Elle demande une réduction du loyer d’au moins 50% pour ces périodes, soit CHF 34’600.55. Les instances cantonales rejettent sa demande. La locataire recourt alors au Tribunal fédéral, qui doit déterminer si la fermeture des locaux commerciaux en raison du COVID-19 constitue un défaut de la chose louée.
Droit
Selon l’art. 259a al. 1 lit. b CO, lorsque apparaissent des défauts de la chose qui ne sont pas imputables au locataire et auxquels il n’est pas tenu de remédier à ses frais ou lorsque le locataire est empêché d’user de la chose conformément au contrat, il peut exiger du bailleur une réduction proportionnelle du loyer.
Il y a défaut lorsque la chose louée ne présente pas une qualité promise ou sur laquelle le locataire pouvait légitimement compter, eu égard à l’état approprié à l’usage convenu.
Se référant à la doctrine majoritaire, le Tribunal fédéral distingue selon que la restriction de l’usage concerne les caractéristiques liées à l’objet loué ou celles ayant trait à l’exploitation du bien. Les caractéristiques liées à l’objet reposent sur la nature, l’état ou la situation du bien. Les caractéristiques liées à l’exploitation se rapportent en revanche à l’activité commerciale exercée par le locataire dans l’objet loué. Le bailleur n’est en principe responsable que des caractéristiques liées à l’objet.
Les fermetures ordonnées par les autorités dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de COVID-19 affectent l’activité commerciale du locataire, et non l’usage du bien loué. Le local reste disponible, son état et son affectation n’étant pas altérés. Ces restrictions ne visent donc pas la chose louée, mais l’activité du locataire, interdite quel que soit le lieu concerné. Reconnaître un défaut de la chose louée dans ces circonstances reviendrait à transférer au bailleur le risque entrepreneurial inhérent à l’exploitation d’un commerce.
Le bailleur n’est responsable des caractéristiques liées à l’exploitation que s’il les a garanties. Une telle garantie peut notamment découler d’une promesse de fréquentation minimale de la clientèle ou d’un loyer indexé sur le chiffre d’affaires. Toutefois, la simple mention de l’usage prévu (« restaurant, bar, club ») ne suffit pas à faire du risque entrepreneurial du locataire l’objet d’une garantie contractuelle selon laquelle l’objet loué peut être utilisé pendant toute la durée du bail aux fins prévues.
Partant, à défaut d’accord contraire, la fermeture des locaux commerciaux imposée dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 ne constitue pas un défaut de la chose louée justifiant une réduction du loyer au sens de l’art. 259a al. 1 lit. b CO.
Le Tribunal fédéral rejette le recours.
Note
Le Tribunal fédéral juge, pour la première fois, que la garantie pour les défauts ne s’applique pas aux fermetures ordonnées dans le cadre des mesures COVID-19. Cette décision s’aligne sur la doctrine majoritaire et met fin aux disparités cantonales sur la question.
Le locataire dispose-t-il néanmoins de moyens contractuels lui permettant de rétablir l’équilibre des prestations, mis à mal par les mesures COVID ?
L’application de l’art. 119 CO (impossibilité) semble exclue car les fermetures liées au COVID ne rendent pas la mise à disposition des locaux impossible, mais seulement inutile (ATF 62 II 42 ; CR CO I-Thévenoz, art. 119 CO n. 5).
Une ultime solution mérite attention : l’application de la clausula rebus sic stantibus. Faute de motivation suffisante, le Tribunal fédéral n’a pas examiné ce grief dans l’arrêt ici résumé. Cette question a toutefois fait l’objet de l’arrêt 4A_158/2024 du 5 novembre 2024.
Un contrat peut être adapté ou résilié lorsqu’un changement important et imprévisible de circonstances bouleverse l’équilibre contractuel au point de rendre l’exécution du contrat insupportable pour l’une des parties. La pandémie et les fermetures imposées constituent assurément un tel changement, susceptible de perturber l’équilibre contractuel.
Toutefois, la nécessité et l’étendue de l’adaptation du contrat dépendent de l’ampleur du déséquilibre, appréciée au regard de l’ensemble des circonstances, notamment la durée du bail, la longueur des fermetures, les aides étatiques, l’utilisation résiduelle des locaux, le risque commercial général, les difficultés financières du locataire ou encore les facilités octroyées par la bailleresse (TF, 4A_158/2024, c. 8). La disproportion entre les valeurs objectives des prestations doit être manifeste (ATF 107 II 343, c. 2).
Une grave atteinte de l’équilibre contractuel peut justifier soit une résiliation du bail pour de justes motifs (art. 266g CO), soit une adaptation du contrat par le juge. L’adaptation du contrat se fonde d’abord sur les dispositions contractuelles, puis subsidiairement sur les règles légales supplétives (p. ex. art. 266g CO), et enfin sur la volonté hypothétique des parties, que le juge détermine en se demandant ce que les parties auraient convenu, de bonne foi, si elles avaient envisagé l’évolution des circonstances (ATF 127 III 300, c. 6a).
La doctrine demeure partagée sur l’application de la théorie de l’imprévision en droit du bail, certains auteurs considérant l’art. 266g CO comme une lex specialis. Selon nous, les parties, confrontées à une situation imprévisible mais passagère, doivent pouvoir opter pour une diminution du loyer, moins radicale qu’une résiliation. Dans la plupart des cas, cela correspond d’ailleurs à la volonté hypothétique des deux parties qui, face à des fermetures temporaires, préfèreront sans doute une réduction du loyer limitée dans le temps, plutôt qu’une fin précipitée du bail (Lachat/Brutschin, SJ 2020 II p. 138).
Le recours à la théorie de l’imprévision permet de rétablir l’équilibre contractuel, plutôt que de transférer le risque sur l’une des parties, comme le fait le régime de la garantie pour les défauts.
Le juge doit bénéficier d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix de la solution la plus adaptée aux circonstances.
Proposition de citation : Timothée Pellouchoud, Les fermetures COVID et le défaut de la chose louée : le TF tranche, in: https://lawinside.ch/1641/






