L’exploitabilité des moyens de preuve obtenus du fait d’une obligation de collaborer lors d’une procédure pénale subséquente
Des moyens de preuve fournis par un justiciable lors d’une procédure administrative, dans le cadre de son obligation de collaborer, sont inexploitables lors d’une procédure pénale subséquente si ce dernier n’a pas été informé de son droit de ne pas s’auto-incriminer.
Faits
Le 4 août 2014, le président d’une société anonyme demande à la FINMA de lui confirmer que son affiliation à un organisme d’autorégulation n’est pas obligatoire dans le cadre des activités de gestion de fonds de la société. En réponse, la FINMA lui adresse deux questionnaires et attire son attention sur son obligation de fournir des renseignements conformes à la vérité selon les art. 29, 44 et 45 LFINMA. La société n’ayant pas répondu, la FINMA lui adresse le 30 septembre 2014 un nouveau courrier, attirant son attention sur son obligation de collaborer au sens des art. 3 et 29 LFINMA. Le courrier précise notamment que si cette obligation devait ne pas être respectée, la FINMA rendrait sa décision sur la base des documents en sa possession, serait en droit de prendre en compte un refus de collaborer dans le cadre de l’appréciation des preuves et qu’il pourrait se justifier de désigner, aux frais de la société, un chargé d’enquête pour établir l’état de fait. Le 10 octobre 2014, la société renvoie les questionnaires signés par son président.
Le 31 août 2015, la FINMA dépose une dénonciation pénale auprès du DFF pour soupçons d’activité d’intermédiaire financier exercée sans autorisation (art. 44 LFINMA et art. 14 LBA). Le président est reconnu coupable d’exercice de l’activité d’intermédiaire financier sans autorisation par le DFF puis par la Cour des affaires pénales du Tribunal pénal fédéral. Il forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si des preuves administrées au cours d’une procédure administrative, obtenues du fait de l’obligation de collaborer du recourant et sans attirer l’attention sur le droit de ne pas s’auto-incriminer, peuvent être exploitées au cours de la procédure pénale.
Droit
Le principe de non-incrimination (art. 6 par. 1 CEDH et art. 113 al. 1 CPP) interdit à l’accusation de fonder son argumentation sur des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l’accusé. Des éléments de preuve sont obtenus par la contrainte notamment lorsque des pressions physiques ou psychologiques sont exercées pour obtenir des aveux ou des éléments matériels ou lorsque les autorités recourent à un subterfuge pour extorquer des informations qu’elles n’ont pu obtenir par un interrogatoire. Le degré de contrainte doit revêtir un certain niveau de gravité pour être contraire au droit à la non-incrimination.
L’obligation de collaborer est un principe de procédure administrative, prévu notamment par l’art. 29 LFINMA. Dans ce cadre, le justiciable doit remettre tous les documents dans sa sphère d’influence nécessaires à l’accomplissement de la tâche de surveillance de la FINMA. Cette obligation vaut en principe également lorsque le justiciable doit transmettre des informations lui étant défavorables. La LFINMA ne prévoit néanmoins pas de sanctions pénales en cas de refus d’informer au sens de l’art. 29 LFINMA. Le justiciable dispose d’un droit de refuser de collaborer s’il encourt une poursuite pénale ou si sa position – dans une procédure pendante ou à venir – pourrait se trouver aggravée. La FINMA est, quant à elle, tenue d’informer le justiciable de son droit de ne pas s’auto-incriminer. En effet, bien que les sanctions que la FINMA est susceptible de prononcer ne revêtent pas un caractère pénal, les potentielles conséquences d’un refus de collaborer demeurent suffisamment importantes pour exercer une contrainte sur le justiciable. Dans ces circonstances, l’obligation d’information est nécessaire afin d’assurer que les autorités pénales ne puissent pas contourner le droit à la non-incrimination.
En l’espèce, la FINMA savait que le comportement examiné pourrait déclencher une procédure pénale au sens des art. 44 ss LFINMA. Elle était donc tenue d’informer le recourant de son droit de ne pas s’auto-incriminer. En conséquence, les questionnaires, produits par le justiciable du fait de son obligation de collaborer, ont été obtenus en violation du droit à la non-incrimination et sont donc inexploitables. Le TF admet le recours et renvoie la cause à l’autorité précédente afin qu’elle statue à nouveau en retirant les preuves illégales du dossier.
Proposition de citation : Simon Pfefferlé, L’exploitabilité des moyens de preuve obtenus du fait d’une obligation de collaborer lors d’une procédure pénale subséquente, in: https://lawinside.ch/1617/