Les actes interruptifs de la prescription sous l’ancien droit pénal
Sous l’ancien droit pénal, tout acte des autorités pénales qui a pour vocation de faire avancer la procédure peut interrompre la prescription, même s’il n’est pas dirigé contre l’auteur de façon directe et personnelle et/ou si celui-ci n’est pas encore identifié (art. 72. al. 2 aCP). En l’absence d’une prescription de l’action pénale, le prévenu demeure fortement soupçonné et peut se voir placé en détention provisoire (art. 221 al. 1 let. a CPP).
Faits
Un prévenu est soupçonné d’avoir commis un meurtre le 4 octobre 2000. En décembre 2023, la police allemande extrade le prévenu en Suisse et le Tribunal de mesure des contraintes de Bâle-Campagne le place en détention provisoire. Le prévenu demande sa mise en liberté, ce que le tribunal refuse. Le Kantonsgericht de Bâle-Campagne rejette également le recours du prévenu et confirme la détention provisoire. Le prévenu forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur les actes interruptifs de prescription sous l’ancien droit pénal.
Droit
Selon l’art. 221 al. 1 let. a CPP, la détention provisoire est possible lorsque le prévenu est fortement soupçonné d’un crime et que l’on peut sérieusement craindre qu’il prenne la fuite par la suite. En l’espèce, le prévenu conteste uniquement la condition du soupçon de crime. En effet, bien qu’il ait vraisemblablement tiré mortellement sur quelqu’un afin de dérober deux kilos de cocaïne, le prévenu estime que l’infraction qui lui est reprochée est prescrite, raison pour laquelle on doit nier qu’on le soupçonne fortement d’un crime.
L’actuel art. 97 al. 1 let. a CP prévoit un délai de prescription de 30 ans pour ce type d’infractions ; cela dit, il est entré en vigueur en octobre 2001. Le délai de prescription applicable au moment du crime était de 20 ans (art. 70 aCP). Puisque l’ancien droit est plus favorable au prévenu, c’est celui qui lui est applicable ; on peut donc se demander si l’infraction reprochée est prescrite. L’art. 72 aCP prévoyait que la prescription était interrompue par tout acte d’instruction d’une autorité chargée de la poursuite ou par toute décision du juge dirigé contre l’auteur, ce qui inclut les citations et interrogatoires, les mandats d’arrêt ou de visite domiciliaire, les ordonnances d’expertise, ainsi que les recours contre une décision.
Cette énumération n’est pas exhaustive : étaient également interruptifs tous les actes des autorités pénales qui ont pour vocation de faire avancer la procédure et qui exercent un effet externe. En revanche, les processus purement internes – comme la consultation d’un dossier – n’interrompaient pas la prescription. De plus, l’acte interruptif ne devait pas nécessairement être dirigé envers un auteur identifié ou identifiable.
En l’espèce, les autorités pénales ont émis le 14 juillet 2004 une ordonnance de production de pièces à l’attention d’un média, afin d’obtenir une liste de toutes les personnes d’une certaine zone géographique qui possédaient un abonnement à un journal entre septembre et octobre 2000. Les autorités pénales ont ensuite rendu une décision de suspension de la procédure pénale le 29 décembre 2008. Le Tribunal fédéral estime que la décision de suspension n’est pas apte à interrompre la prescription, puisqu’elle n’a précisément pas pour vocation de faire avancer la procédure. En revanche, l’ordonnance de production de pièces visait clairement à identifier des personnes importantes pour résoudre le meurtre ; cet acte a interrompu la prescription. Au vu de cette circonstance, l’instance précédente pouvait donc raisonnablement penser que le prévenu était fortement soupçonné et n’a donc pas violé le droit en refusant sa demande de mise en liberté.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Note :
On peut se demander pourquoi le présent arrêt est destiné à publication, puisqu’il traite de l’ancien droit qui n’est plus en vigueur depuis 2001 et qu’il s’agit presque d’histoire du droit. L’arrêt présente toutefois le mérite de pouvoir comparer l’ancien système de prescription pénale et l’actuel système, qui se distingue en particulier par :
- la durée du délai de prescription : en cas d’infraction avec une peine privative de liberté à vie, l’art. 70 aCP prévoyait un délai de prescription de 20 ans alors que l’art. 97 al. 1 CP prévoit un délai de prescription de 30 ans.
- l’interruption de la prescription : l’art. 72 aCP prévoyait que certains actes interruptifs de prescription pouvaient interrompre la prescription et faire redémarrer un nouveau délai à chaque fois, avec pour limite que « l’action pénale sera en tout cas prescrite lorsque le délai ordinaire sera dépassé de moitié », à savoir que la prescription pouvait se porter au maximum à 30 ans pour les infractions soumises au délai de 20 ans (20 ans plus la moitié du délai, donc 10 ans). L’art. 97 al. 3 CP prévoit quant à lui que « la prescription ne court plus si, avant son échéance, un jugement de première instance a été rendu ». L’art. 97 al. 3 CP a donc supprimé la possibilité d’interrompre la prescription par des actes des autorités pénales, contrairement au système qui s’applique à l’arrêt résumé ci-dessus.
Proposition de citation : Arnaud Lambelet, Les actes interruptifs de la prescription sous l’ancien droit pénal, in: https://lawinside.ch/1516/