L’influence de la perte de la nationalité suisse du mari sur celle de son épouse
La perte de la nationalité suisse en raison du défaut d’annonce ensuite de la naissance à l’étranger s’étend également à l’épouse ayant acquis la nationalité suisse par mariage à condition qu’elle ne devienne pas apatride.
Faits
Un homme, né et domicilié en Argentine, acquiert la nationalité suisse par filiation à sa naissance. En 1972, il épouse une ressortissante argentine. Par ce mariage, l’épouse obtient la nationalité suisse.
En 2022, l’épouse demande à l’office compétent du canton de Saint-Gall de constater sa nationalité suisse. L’ambassade de Suisse en Argentine informe l’office que ni le mari ni l’épouse n’ont été annoncés auprès d’elle. Après avoir accordé le droit d’être entendu à l’épouse, le Département de l’intérieur du canton de Saint-Gall constate par décision que cette dernière n’est pas citoyenne suisse en raison de la perte de la nationalité par le mari.
Sur recours de l’épouse, le Verwaltungsgericht du canton de Saint-Gall confirme la décision attaquée. L’épouse forme un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral qui doit déterminer si le mari a perdu la nationalité suisse en raison du défaut d’annonce et, le cas échéant, quels sont les effets sur la nationalité de l’épouse.
Droit
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que l’acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment de la survenance des faits déterminants. Ainsi, l’art. 10 al. 1 aLN, dans sa version en vigueur jusqu’au 30 juin 1985, disposait comme suit :
« L’enfant né à l’étranger de parents dont l’un au moins est suisse perd la nationalité suisse à 22 ans révolus lorsqu’il a encore une autre nationalité, à moins que, jusqu’à cet âge, il n’ait été annoncé à une autorité suisse à l’étranger ou au pays, qu’il ne se soit annoncé lui-même ou qu’il n’ait déclaré par écrit vouloir conserver la nationalité suisse. »
L’instance inférieure a constaté de manière contraignante et non contestée que le mari n’a pas été annoncé et ne s’est pas annoncé lui-même à une autorité suisse à l’étranger ou au pays avant l’âge de 22 ans révolus. Il a en conséquence perdu la nationalité suisse.
Le Tribunal fédéral examine donc les effets de la perte de la nationalité suisse du mari sur celle de la recourante.
Le Tribunal fédéral retient que l’aLN, dans sa version en vigueur jusqu’au 30 juin 1985, ne contient aucune réglementation explicite sur la question des conséquences de l’échéance du délai de l’art. 10 al. 1 aLN sur la nationalité suisse acquise par mariage. Les travaux préparatoires n’apportent aucun éclaircissement sur la question. De plus, le législateur n’a pas eu à se prononcer sur cette question dans l’actuelle Loi sur la nationalité, car depuis le 1er janvier 1992 l’épouse n’obtient plus automatiquement la nationalité suisse par le mariage.
Afin de combler cette lacune, l’instance précédente a appliqué l’art. 10 al. 2 aLN relatif à la perte de nationalité des enfants suisses de ceux n’ayant pas été annoncés à une autorité suisse à l’étranger ou au pays. Selon cette disposition :
« Les enfants de celui qui a perdu la nationalité suisse en vertu du 1er alinéa perdent également la nationalité suisse ».
Il se pose la question de savoir si cette absence de règlementation explicite relève effectivement d’une lacune que le juge doit combler ou s’il s’agit d’un silence qualifié du législateur.
Le Tribunal fédéral rappelle que la législation suisse sur la nationalité a toujours été marquée par le principe de la filiation. Ce principe constitue le principal motif d’acquisition de la nationalité suisse. Toutefois, le principe de la filiation ne signifie pas que l’enfant ne puisse jamais perdre la nationalité suisse. En ce sens, l’art. 10 aLN et l’actuel art. 7 LN reposent sur la présomption que l’enfant né et vivant à l’étranger a rompu ses liens avec la Suisse et ne souhaite plus y retourner. Cette présomption peut toutefois être renversée par une simple annonce informelle ou une déclaration de maintien à l’attention d’une autorité suisse. Afin d’éviter l’apatridie, la perte de la nationalité supposait et suppose toujours que l’enfant concerné possède encore une autre nationalité conformément à l’art. 10 al. 1 aLN et à l’art. 7 al. 1 LN.
Lors de l’adoption de l’aLN en 1951, le législateur a maintenu le motif d’acquisition du droit de cité par mariage, en particulier car il a considéré l’unicité du droit de cité, d’abord des époux, mais également des enfants mineurs comme juste et souhaitable. Le législateur a donc accordé une grande importance au principe de l’unicité du droit de cité dans la famille. Par conséquent, certains faits, comme la naturalisation, devraient produire des effets non seulement pour le mari, mais aussi simultanément pour l’épouse et les enfants mineurs.
Ainsi, selon le Tribunal fédéral, il n’existe aucune raison convaincante qui justifierait que le principe de l’unicité du droit de cité dans la famille et l’extension des conséquences de l’échéance du délai de l’art. 10 al. 1 aLN n’auraient pas dû s’appliquer également à l’acquisition du droit de cité par mariage. Il n’y a pas non plus d’élément qui permettrait d’affirmer que le législateur aurait voulu privilégier les épouses par rapport aux enfants. De plus, il ne serait pas objectivement justifié que les Suisses de naissance perdent leur droit de cité faute d’annonce, alors que les étrangères de naissance, dont le seul lien avec la Suisse résulte de leur mariage avec un Suisse, pourraient conserver leur nationalité suisse, même sans annonce.
Par conséquent, une extension des effets de la perte de la nationalité doit s’appliquer à l’épouse initialement étrangère, d’autant plus que son lien avec la Suisse est encore plus faible que celui de son mari. Ainsi, une épouse ne devrait pas seulement partager le sort du mari suisse en matière de droit de cité en ce qui concerne l’acquisition, mais également en cas de perte par l’échéance du délai de l’art. 10 al. 1 aLN.
Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral retient que l’absence de règlementation explicite relève d’une lacune qu’il convient de combler. C’est donc à juste titre que l’instance précédente a utilisé l’art. 10 al. 2 aLN pour combler la lacune et justifier l’extension de la perte de la nationalité du mari à son épouse. L’instance précédente pouvait donc partir du principe que la recourante avait perdu sa nationalité suisse, compte tenu également du fait qu’elle continue à posséder la nationalité argentine et ne devient donc pas apatride.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro, L’influence de la perte de la nationalité suisse du mari sur celle de son épouse, in: https://lawinside.ch/1517/