La levée anticipée du secret professionnel de l’avocat en vue du recouvrement d’honoraires
La levée du secret professionnel de l’avocat par le client en vue du recouvrement d’honoraires avant la survenance du litige est en principe inadmissible. L’avocat peut s’exposer à des sanctions disciplinaires.
Faits
Un avocat conclut un contrat de mandat avec son client. Le contrat contient une clause de levée anticipée du secret professionnel, dont la teneur est la suivante :
« Für die Geltendmachung oder die Abwehr von Ansprüchen aus diesem Auftragsverhältnis ist der Beauftragte vom Berufsgeheimnis befreit, soweit dies zur Durchsetzung seiner Ansprüche notwendig ist. »
(Traduction libre: « Le mandataire est délié du secret professionnel pour faire valoir ou se défendre à l’encontre de prétentions issues du présent mandat, dans la mesure où cela est nécessaire pour la mise en oeuvre de ses droits. »)
L’avocat dépose une demande de conciliation contre son client afin de recouvrir une créance d’honoraires résultant de son activité. L’Ordre des avocats du canton de Saint-Gall ouvre alors une procédure disciplinaire contre l’avocat au motif d’une potentielle violation du secret professionnel.
A la suite de la procédure disciplinaire, l’Ordre des avocats du canton de Saint-Gall constate une violation de l’art. 13 al. 1 LLCA et prononce une amende de CHF 1’000.-. L’avocat dépose recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif du canton de Saint-Gall qui le rejette.
L’avocat forme alors un recours en matière de droit public ainsi qu’un recours constitutionnel subsidiaire auprès du Tribunal fédéral. Il demande en outre l’annulation de la décision du Tribunal administratif du canton de Saint-Gall. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral doit répondre pour la première fois à la question de savoir si, et le cas échéant à quelles conditions, une levée anticipée du secret professionnelle par le client au début ou du moins à un stade précoce de la relation de mandat est juridiquement valable.
Droit
A titre préliminaire, le Tribunal fédéral rappelle que l’avocat est soumis au secret professionnel pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l’exercice de sa profession sans limite dans le temps et à l’égard de tout tiers (art. 13 al. 1 LLCA). L’existence de la relation de mandat fait déjà partie des faits qui sont protégés par le secret professionnel. C’est pourquoi, le recouvrement par voie d’action d’une créance d’honoraires suppose une levée préalable du secret professionnel.
Différentes dispositions du droit fédéral fondent le secret professionnel de l’avocat. Si le rapport contractuel repose sur un mandat de droit privé, l’obligation de garder le secret trouve son fondement dans l’art. 398 al. 2 CO. En outre, l’art. 13 al. 1 LLCA décrit l’étendue et la portée du secret professionnel en tant que règle professionnelle. Enfin, l’art. 321 CP sanctionne la violation du secret professionnel. Les objectifs et les champs d’application des différentes réglementations ne se recouvrent pas entièrement, pas plus que leurs modalités d’application. Toutefois, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le droit pénal définit en quelque sorte les prescriptions minimales pour les règles professionnelles. Par conséquent, la levée du secret professionnel doit au moins remplir les critères nécessaires à l’existence d’un motif justificatif au sens de l’art. 321 ch. 2 CP.
En droit pénal, le consentement à une violation d’un bien juridique exclut l’illicéité de l’infraction si la victime peut disposer du bien juridique violé. Le consentement doit être donné avant l’infraction en question et en connaissance de toutes les circonstances déterminantes. En outre, il doit se référer non seulement à l’acte mais aussi à son résultat. Ainsi, la durée et l’intensité de l’atteinte au bien juridique doivent être prévisibles. C’est dans ce contexte qu’il convient d’évaluer la levée anticipée du secret professionnel en vue d’un litige ultérieur sur les honoraires.
Pour que la levée du secret professionnel soit effective, il faut que le client ait conscience de son impact sur sa propre sphère juridique. Cette exigence doit être d’autant plus stricte que l’opposition des intérêts de l’avocat et du client est grande. Or, en cas de litige sur les honoraires, cette opposition d’intérêts est particulièrement marquée.
Au moment de la signature d’une clause de levée anticipée du secret professionnel, telle que prévue dans une procuration ou une lettre d’engagement, le client ne peut jamais prévoir quelles informations seront utilisées par l’avocat dans un éventuel litige sur les honoraires. Cette problématique existe même si les honoraires ont été fixés de manière forfaitaire. En effet, même dans ce cas, il est possible que le client veuille opposer à l’avocat une inexécution ou une mauvaise exécution de la prestation convenue. Ainsi, tant qu’un litige concret n’est pas effectivement survenu, il n’est jamais possible de prévoir avec suffisamment de précision les informations que l’avocat pourrait divulguer sur son client pour faire valoir sa créance. Une levée anticipée du secret professionnel en vue d’un litige ultérieur sur les honoraires s’avère donc en principe inadmissible.
En l’espèce, le Tribunal fédéral arrête que cette clause ne décrit que de manière extrêmement vague l’étendue du mandat et ne mentionne pas explicitement le litige sur les honoraires. En outre, elle ne précise pas quelles informations soumises au secret l’avocat pourrait divulguer en cas de litige sur les honoraires. Par conséquent, cette clause de levée du secret professionnel n’est pas valable et l’instance inférieure n’a pas violé l’art. 13 LLCA.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro, La levée anticipée du secret professionnel de l’avocat en vue du recouvrement d’honoraires, in: https://lawinside.ch/1436/