L’absence de protection des données lors d’entraide pénale internationale
Le nouvel art. 11f EIMP, qui prévoit les conditions de communication de données personnelles à un Etat tiers dans le cadre de l’entraide pénale internationale, ne revêt en réalité qu’une portée très restreinte.
Faits
Dans le cadre d’une demande d’entraide judiciaire formée par la Russie, le Ministère public genevois ordonne notamment la transmission de documents relatifs à un compte bancaire détenu par une société. Cette dernière forme recours auprès du Tribunal pénal fédéral en invoquant notamment le grief que les données personnelles de centaines de ses employés ne pouvaient pas être transmis à la Russie. Le Tribunal pénal fédéral considère que la société n’a pas qualité pour représenter ses employés. Dans tous les cas, la transmission des données personnelles d’employés serait conforme au nouvel art. 11f EIMP (communication de données personnelles à un État tiers ou à un organisme international) (RR.2019.65+66).
Saisi par la société, le Tribunal fédéral est amené à préciser la portée des restrictions de la communication de données personnelles à un État tiers dans le cadre de l’entraide pénale internationale (art. 11f EIMP).
Droit
En matière d’entraide judiciaire internationale, le recours est recevable à l’encontre d’un arrêt du Tribunal pénal fédéral si celui-ci a pour objet la transmission de renseignements concernant le domaine secret. Il doit toutefois s’agir d’un cas particulièrement important (art. 84 al. 1 LTF), c’est-à-dire lorsqu’il y a des raisons de supposer que la procédure à l’étranger viole des principes fondamentaux ou comporte d’autres vices graves (art. 84 al. 2 LTF).
La société estime notamment qu’elle avait qualité pour recourir en tant qu’employeur contre la transmission des données personnelles de ses employés, qualité qui lui a été déniée par l’instance précédente. Le Tribunal fédéral rappelle que la qualité pour recourir appartient à la personne directement touchée par la mesure d’entraide (art. 80h let. b EIMP), soit en particulier le titulaire d’un compte bancaire (art. 9a let. a et b OEIMP). Le Tribunal pénal fédéral aurait ainsi dû admettre la qualité pour recourir sur ce point. Cela étant, le grief de la société à l’encontre du refus de sa qualité pour recourir se recoupe sur le fond avec la prétendue violation de l’art. 11f al. 1 EIMP.
L’art. 11f EIMP, entré en vigueur le 1er mars 2019, fait partie du nouveau chapitre 1a de l’EIMP (système de gestion de personnes, de dossiers et d’affaires). Ce chapitre a été adopté à l’occasion de la révision de la LPD, lors de laquelle le Parlement a mis en oeuvre, notamment, les exigences de la directive (UE) 2016/680 constituant pour la Suisse un développement de l’acquis de Schengen.
L’art. 11f al. 1 EIMP prévoit qu’aucune donnée personnelle ne peut être communiquée à l’autorité compétente d’un État qui n’est pas lié à la Suisse par l’un des accords d’association à Schengen (État tiers) ou à un organisme international si la personnalité de la personne concernée devait s’en trouver gravement menacée, notamment du fait de l’absence d’un niveau de protection adéquat.
L’art. 11f al. 3 let. c EIMP prévoit qu’en dérogation à l’al. 1, des données personnelles peuvent être communiquées à une autorité compétente d’un État tiers ou à un organisme international si la communication est, en l’espèce, nécessaire à l’exercice ou à la défense d’un droit devant une autorité compétente pour prévenir, constater ou poursuivre une infraction ou pour exécuter une décision pénale, pour autant qu’aucun intérêt digne de protection prépondérant de la personne concernée ne s’oppose à la communication.
Le Tribunal fédéral rappelle que non seulement le droit interne ne peut prévoir des conditions plus restrictives que le droit conventionnel, mais en plus que l’objet même de l’entraide judiciaire est une transmission de données à l’étranger. L’art. 11f EIMP ne peut ainsi revêtir qu’une portée très restreinte. En outre, la dérogation prévue par l’art. 11f al. 3 let. c EIMP apparaît a priori généralement applicable puisque le but d’une demande d’entraide judiciaire est précisément la poursuite et la répression d’infraction pénale.
En l’espèce, la Russie est un État partie à la Convention européenne d’entraide judiciaire. L’art. 11f EIMP étant du droit interne, cette disposition ne peut pas prévoir des conditions plus restrictives. Elle est ainsi inapplicable, sans qu’il y ait lieu d’examiner le niveau de protection adéquat en Russie ou l’application des dérogations prévues à l’art. 11f al. 3 let. c EIMP.
Le Tribunal fédéral rejette ainsi le recours dans la mesure où il est recevable.
Note
Cet arrêt appelle deux remarques.
À notre connaissance, la grande majorité des recours auprès du Tribunal fédéral en matière d’entraide pénale internationale est déclarée irrecevable, faute de « cas particulièrement important » au sens de l’art. 84 LTF. En l’espèce, le Tribunal fédéral semble admettre que cette condition est remplie puisqu’il ne déclare pas le recours irrecevable, sans néanmoins se prononcer expressément sur cette question.
Concernant le fond, le Tribunal fédéral semble réduire à néant la portée de l’art. 11f EIMP, ce qui nous paraît difficilement compatible avec la volonté du législateur. Il ne reste qu’à espérer que les autres dispositions du chapitre 1a de l’EIMP, notamment l’art. 11b relatif au droit d’accès, ne subiront pas le même sort.
Proposition de citation : Célian Hirsch, L’absence de protection des données lors d’entraide pénale internationale, in: https://lawinside.ch/866/