L’exploitabilité d’une preuve recueillie à l’aide d’un système privé de vidéosurveillance
Appellationsgericht des Kantons Basel-Stadt, 11.04.2018, SB.2017.65
Les systèmes privés de vidéosurveillance qui enregistrent des lieux accessibles à tous sont généralement disproportionnés. Sauf exception, les preuves recueillies à l’aide de ces systèmes pour une procédure pénale sont ainsi illicites. Elles peuvent néanmoins être exploitées pour autant qu’elles auraient pu être obtenues légalement par les autorités pénales et qu’une pesée des intérêts justifie leur exploitation.
Faits
Un prévenu est filmé par un système privé de vidéosurveillance alors qu’il raye, avec sa clef, le côté passager d’une voiture dans un lieu public. Le système de vidéosurveillance avait été installé par la partie plaignante en raison de l’utilisation de son conteneur par des inconnus pour éliminer des déchets.
Le prévenu est condamné pour dommage à la propriété à 45 jours-amende à CHF 30 et à des dommages-intérêts à hauteur de CHF 1’000 en faveur de la partie plaignante. La seule preuve retenue par le Tribunal consiste en l’enregistrement par vidéosurveillance effectué par la partie plaignante.
Le prévenu dépose un recours auprès de l’Appellationsgericht du canton de Bâle-Ville, lequel doit déterminer si l’unique preuve est licite et, dans la négative, si elle est néanmoins exploitable.
Droit
L’art. 12 LPD prévoit que quiconque traite des données personnelles ne doit pas porter une atteinte illicite à la personnalité des personnes concernées. L’art. 13 LPD précise qu’une atteinte à la personnalité est illicite à moins d’être justifiée par le consentement de la victime, par un intérêt prépondérant privé ou public, ou par la loi.
Un système privé de vidéosurveillance, qui porte sur un lieu public, atteint un nombre indéterminé de personnes et porte ainsi atteinte à leur droit à la personnalité. Or, le maintien de la sécurité et de l’ordre dans les espaces publics n’est pas du ressort des particuliers, mais de la police. Les systèmes privés de vidéosurveillance sur les propriétés publiques sont ainsi généralement disproportionnés et donc illicites. Le fait de filmer des lieux publics ne peut être justifié, dans des cas exceptionnels, que si, dans le cas d’une vidéosurveillance d’une propriété privée, la partie publique incluse est insignifiante et la surveillance de la propriété privée ne peut être effectuée d’une autre manière.
En l’espèce, l’Appellationsgericht considère que l’atteinte portée par la vidéosurveillance ne peut pas être considérée comme légère, contrairement à ce qu’a retenu la première instance. En effet, toutes les personnes qui utilisent le passage devant la propriété privée sont filmées par ce dispositif. L’atteinte aux droits de la personnalité est ainsi importante. Concernant la proportionnalité, d’autres mesures, moins incisives, auraient pu être mises en place par la partie plaignante comme l’utilisation d’un cadenas pour fermer son conteneur.
L’Appellationsgericht en conclut que, dans tous les cas, cette vidéosurveillance était disproportionnée et, dès lors, illicite.
Alors que les art. 139 à 141 CPP règlent la question de l’exploitabilité des preuves recueillies de manière illicite par l’État, l’exploitabilité de celles recueillies par les particuliers n’est pas réglée dans le CPP. En principe, la collecte des preuves ne fait pas partie du monopole de l’État. Les particuliers doivent néanmoins respecter l’ordre juridique lorsqu’ils collectent des preuves. S’ils ne le font pas, la preuve recueillie est illicite, mais pas forcément inexploitable. En effet, il est de jurisprudence constante que, lorsqu’une preuve est obtenue de manière illicite par un particulier, elle peut néanmoins être exploitée pour autant qu’elle aurait pu être recueillie légalement par les autorités pénales et qu’une pesée des intérêts justifie son exploitation.
L’art. 282 CPP dispose que le ministère public et, pendant l’investigation policière, la police peuvent observer secrètement des personnes et des choses dans des lieux librement accessibles et effectuer des enregistrements audio et vidéo aux conditions mentionnées aux let. a et b. L’autorité pénale aurait ainsi pu se procurer une telle preuve. Toutefois, selon l’Appellationsgericht la pesée des intérêts va à l’encontre de l’exploitabilité de la preuve en question. En effet, l’intérêt d’enquêter sur les dommages matériels d’un véhicule pour un montant de CHF 1’200.- ne doit pas être surestimé ; les preuves ont été obtenues illégalement et en violation des droits de la personnalité d’un grand nombre de personnes. De plus, l’Appellationsgericht souligne le postulat, proposé par la doctrine, selon lequel il ne doit pas exister, dans la collecte des preuves, d’incitation à se rendre justice soi-même .
Dès lors, la preuve recueille de manière illicite par la partie plaignante n’est pas exploitable. L’Appellationsgericht admet le recours et acquitte ainsi le prévenu.
Note
Dans l’avant-projet CPP, l’art. 150 AP-CPP prévoyait que « [l]es preuves qui ont été obtenues de manière punissable par des particuliers ne peuvent être exploitées dans une procédure pénale que si l’intérêt public ou privé à la recherche de la vérité l’emporte sur les intérêts protégés par les dispositions pénales enfreintes ». Cette disposition n’a toutefois pas été reprise dans la version finale du CPP. Ainsi, contrairement à la jurisprudence applicable, l’art. 150 AP-CPP ne prévoyait l’inexploitabilité de la preuve que si elle avait été obtenue de manière punissable et non simplement de manière illicite. A contrario, la preuve obtenue de manière contraire au droit civil, mais non en violation du droit pénal, aurait probablement été considérée plus facilement comme exploitable.
La partie plaignante déboutée par le juge pénal pourrait se tourner vers le juge civil afin de voir son dommage réparé. En effet, en application de l’art. 53 CO, le juge civil n’est en principe pas lié par le jugement pénal (CR CO-Werro, N 4 ad art. 53 CO) La question de l’exploitabilité de la vidéosurveillance se posera alors au regard de l’art. 152 CPC, lequel prévoit que le tribunal ne prend en considération les moyens de preuve obtenus de manière illicite que si l’intérêt à la manifestation de la vérité est prépondérant. Le juge doit ainsi procéder à une pondération entre l’intérêt à la protection du bien lésé par l’obtention illicite et l’intérêt à la manifestation de la vérité (ATF 140 III 6, consid. 3.1). Même si la pesée des intérêts peut ne pas être la même en procédure civile qu’en procédure pénale, il semble probable que la preuve obtenue par vidéosurveillance soit également considérée comme inexploitable dans un procès civil.
Pour une comparaison de l’exploitabilité d’observations illicites en fonction de la procédure applicable (administrative, civile et pénale), cf. Célian Hirsch, Les observations illicites sont-elles exploitables ?, Jusletter 19 février 2018.
Un autre arrêt cantonal récent a également connu un écho important en matière d’exploitabilité pénale d’une preuve obtenue par un particulier en violation de la LPD : le Kantonsgericht de Schwyz a jugé qu’un enregistrement vidéo effectué par une dashcam était, dans le cas d’espèce, illicite et inexploitable (Kantonsgericht Schwyz, Arrêt du 20 juin 2017, STK 2017 1 ; pour un commentaire de cet arrêt : Maeder Stefan, Verwertbarkeit privater Dashcam-Aufzeichnungen im Strafprozess, PJA 2018 155).
Proposition de citation : Célian Hirsch, L’exploitabilité d’une preuve recueillie à l’aide d’un système privé de vidéosurveillance, in: https://lawinside.ch/655/
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