L’assistance administrative internationale suite à un vol de données bancaires à l’étranger

ATF 143 II 202 | TF, 16.02.2017, 2C_893/2015*

Faits

A la fin de l’année 2010, l’Autorité française de contrôle prudentiel et de résolution (ACP) reçoit des documents internes de UBS France SA par des cadres de cette même société. En juin 2012, le Parquet de Paris ouvre une procédure à l’encontre de cette banque.

En décembre 2013, la Direction générale des finances publiques française (Autorité française) adresse à l’Administration fédérale des contributions (AFC) une demande d’assistance administrative en vue d’obtenir des informations sur des contribuables français. L’Autorité française indique que cette enquête est menée sur la base d’informations transmises par les autorités judiciaires françaises.

Informé de cette procédure, un contribuable s’oppose à toute transmission d’informations qui le concernent. Toutefois, l’AFC décide de faire suite à la demande d’assistance administrative de l’Autorité française.

Le contribuable attaque cette décision devant le Tribunal administratif fédéral (TAF) qui considère qu’il n’y a pas lieu d’entrer en matière sur la demande de l’Autorité française au motif qu’elle viole le principe de la bonne foi (art. 7 let. c LAAF(cf. https://lawinside.ch/85 pour un résumé complet de l’arrêt du TAF).

L’AFC interjette un recours en matière de droit public devant le Tribunal fédéral qui doit notamment préciser la portée de l’art. 7 let. c LAAF.

Droit

L’art. 84a LTF prévoit que le recours contre une décision rendue en matière d’assistance administrative internationale en matière fiscale n’est recevable que lorsqu’une question juridique de principe se pose ou qu’il s’agit pour d’autres motifs d’un cas particulièrement important au sens de l’art. 84 al. 2.

En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que le fait de devoir déterminer si les circonstances de fait qui ont conduit au dépôt d’une demande d’assistance administrative peuvent être prises en considération par l’AFC dans l’examen de la compatibilité de la demande constitue une question juridique de principe.

Les autres conditions de recevabilité étant remplies, le Tribunal fédéral entre en matière.

En premier lieu, le Tribunal fédéral se penche sur l’art. 28 par. 3 let. b CDI-F. Cette norme dispose que l’Etat n’est pas tenu « de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l’autre Etat contractant ». Le TAF a déduit de cette disposition que, dès lors qu’en droit suisse l’art. 29 Cst. prohibe l’utilisation de preuves obtenues illicitement, la Suisse ne saurait transmettre des informations au sens de l’art. 28 par. 3 let. b CDI-F lorsque la demande se fonde sur des données volées.

Le Tribunal fédéral critique cette analyse qui impliquerait que l’Etat requis devrait procéder à une analyse de l’admissibilité matérielle du contrôle fiscal réalisé dans l’Etat requérant lors de chaque demande d’assistance administrative qui lui parviendrait. Le Tribunal fédéral en conclut qu’une telle interprétation de l’art. 28 par. 3 let. b CDI-F n’est pas conforme avec l’objet et le but de cette norme. De plus, les conventions de double imposition ont pour but une coopération large entre les Etats contractants.

Partant, selon le Tribunal fédéral, l’art. 28 par. 3 let. b CDI-F ne permet pas de refuser d’entrer en matière sur une demande d’assistance administrative en raison de la manière dont l’Etat requérant s’est procuré les données qui ont abouti à la formulation de la demande.

Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral se demande si l’art. 3 al. 1 de l’arrêté fédéral du 18 juin 2010 portant approbation d’un nouvel avenant à la Convention entre la Suisse et la France contre les doubles impositions permettrait de refuser la demande d’assistance administrative. Cette norme prévoit que le Conseil fédéral déclare au Gouvernement de la République française que la Suisse n’accorde pas l’entraide administrative en matière fiscale lorsque la demande d’entraide se fonde sur des données obtenues illégalement et qu’elle demandera en tel cas l’entraide judiciaire.

Le Tribunal fédéral considère que le champ d’application de cette déclaration n’est pas différent de celui de l’art. 7 let. c LAAF.

Le Tribunal fédéral passe alors, dans un troisième temps, à l’interprétation de cette norme. Selon l’art. 7 let. c LAAF, il n’est pas entré en matière lorsque la demande viole le principe de la bonne foi, notamment lorsqu’elle se fonde sur des renseignements obtenus par des actes punissables au regard du droit suisse.

Après avoir procédé à une longue analyse de cette norme à l’aide des différentes méthodes d’interprétation, le Tribunal fédéral en conclut que l’expression « actes punissables au regard du droit suisse  » figurant à l’art. 7 let. c LAAF renvoie à des actes qui sont effectivement punissables en Suisse. Cela suppose, selon le Tribunal fédéral, que les conditions objectives de la norme pénale suisse prétendument violée soient remplies et, d’autre part, que ces actes entrent soit dans le champ de compétence territoriale de la Suisse (art. 3 al. 1 CP et art. 8 al. 1 CP), soit dans les différentes formes de compétences extra-territoriales prévues aux art. 4 à 7 CP.

En l’espèce, la demande administrative provient du fait que des documents internes de la filiale française de la banque suisse ont été transmis à l’ACP. Le Tribunal fédéral ne considère pas comme établi que des employés de UBS suisse auraient également fourni des documents à l’ACP.

Ainsi, puisque la transmission d’informations a exclusivement eu lieu en dehors du sol helvétique, les différentes normées pénales suisses condamnant une telle transmission (art. 47 LB, art. 162 CP et 273 al. 2 CP) ne peuvent s’appliquer à ces actes en vertu du principe de territorialité.

Partant, le Tribunal fédéral en conclut que la demande d’assistance administrative ne repose pas sur des renseignements obtenus par des actes punissables au regard du droit suisse.

Dans un quatrième temps, le Tribunal fédéral examine si la bonne foi de la France pourrait être mise en cause.

Après avoir rappelé que la bonne foi d’un Etat est présumée, le Tribunal fédéral constate que l’Autorité française a indiqué avoir reçu ses renseignements par l’intermédiaire d’un juge français, ce qui, selon le Tribunal fédéral, ne serait être mis en doute.

De plus, le Tribunal fédéral rappelle qu’aucune poursuite pénale n’a été ouverte en France contre des cadres de la banque, ce qui ne permet donc pas d’affirmer l’origine illicite des renseignements. Enfin, le Tribunal fédéral se penche brièvement sur le droit français qui permettrait à l’autorité française d’exploiter des informations qui lui auraient été potées « régulièrement » à sa connaissance (Article L10-0 A créé par LOI n°2013-1117 du 6 décembre 2013 – art. 37). Tel serait le cas si ces informations proviennent du Ministère public ou de l’ACP.

Le Tribunal fédéral considère ainsi que l’Autorité française n’est pas de mauvaise foi.

Enfin, dans un dernier temps, le Tribunal fédéral analyse si les autres conditions de l’entraide sont remplies. Tel étant le cas, le Tribunal fédéral admet le recours et confirme la décision de l’AFC.

Note

Cet arrêt a fait l’objet d’un commentaire critique par Fabien Liégeois (Fabien Liégeois, Données volées : Arrêt de principe du TF, https://www.cdbf.ch/969/). Un conseiller national a également déjà fait part de sa critique vis-à-vis de l’interprétation de l’art. 7 let. c LAAF par le Tribunal fédéral et compte ainsi proposer une modification législative (https://www.letemps.ch/suisse/2017/03/15/christian-luscher-tribunal-federal-se-trompe-volonte-legislateur).

Proposition de citation : Célian Hirsch, L’assistance administrative internationale suite à un vol de données bancaires à l’étranger, in: https://lawinside.ch/405/

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