La levée du secret médical

ATF 142 II 256TF, 16.06.2016, 2C_215/2016*

Faits

Pendant sa grossesse, une patiente découvre qu’elle est atteinte du sida et décède quelques jours plus tard. Les héritiers intentent une action en responsabilité à l’égard du médecin. Dans le cadre de ce procès, se pose la question de savoir si la patiente et son mari avaient indiqué au médecin qu’un test de séropositivité serait inutile. Afin de prouver ce fait, le médecin actionné propose d’entendre comme témoin un docteur qui avait été auparavant consulté par l’époux. Le docteur appelé à être entendu comme témoin demande à l’autorité compétente de lever son secret pour pouvoir témoigner, demande qui est admise.

L’époux exerce un recours auprès du Tribunal administratif de Saint-Gall contre cette décision de libération du secret. Le tribunal lui donne raison et annule la décision de l’autorité inférieure.

Le médecin actionné exerce alors un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur les conditions de la levée du secret médical dans le cadre d’un témoignage.

Droit

En premier lieu, le Tribunal fédéral se penche sur la question de la qualité pour recourir d’une partie au procès pour demander la levée du secret auquel est soumis un témoin potentiel. L’art. 89 al. 1 let. b et c LTF octroie la qualité pour recourir à quiconque qui est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqués et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Concernant la levée du secret, la lettre de l’art. 321 al. 2 CP prévoit que seul « l’auteur », c’est-à-dire le détenteur du secret, peut en demander la levée. Toutefois, dans le cadre d’un témoignage, c’est la partie qui a demandé à ce que le témoin détenteur du secret soit entendu qui a un intérêt à la levée du secret. Cette partie a ainsi un intérêt digne de protection à ce que le témoin puisse témoigner. Elle peut donc exercer un recours sans qu’il y ait besoin que le témoin potentiel exerce également un recours.

En second lieu, le Tribunal fédéral se penche sur le refus de la levée du secret prononcé par l’instance précédente. Conformément à la jurisprudence, pour déterminer si un intérêt prépondérant à la levée du secret – qu’il soit privé ou public –  existe, on doit procéder à une pesée des intérêts. En matière de secret de l’avocat, le secret peut être levé afin que l’avocat puisse se défendre contre une action en responsabilité. Par analogie, cette solution s’applique également au médecin.

En l’espèce, l’instance précédente a refusé la levée en s’appuyant sur un arrêt dans lequel Tribunal fédéral a refusé la levée du secret d’un avocat qui voulait témoigner en faveur d’un tiers dans une procédure civile à l’encontre d’un ancien client. Le Tribunal fédéral souligne que, contrairement à l’arrêt évoqué par l’instance précédente, le maître du secret est, dans cette procédure, le demandeur qui a introduit l’action en responsabilité. En l’espèce, le demandeur a refusé de libérer le docteur du secret professionnel afin d’empêcher le médecin de se prévaloir de cette preuve. Le demandeur n’invoque toutefois aucune raison concrète ou un intérêt propre à sa protection ; il se limite à invoquer de manière abstraite le secret professionnel. Le Tribunal fédéral considère qu’un tel comportement ne mérite aucune protection. Partant, l’intérêt du médecin actionné à obtenir le témoignage du docteur, afin d’être éventuellement en mesure de prouver qu’il n’est pas responsable de la mort d’une patiente, l’emporte sur l’intérêt du demandeur, maître du secret, à ce que le secret soit préservé. Le Tribunal fédéral délie ainsi le docteur de son secret professionnel.

Note

Concernant la qualité pour recourir, le Tribunal fédéral précise que la partie qui veut obtenir le témoignage d’une personne soumise au secret est légitimée à recourir puisque, une fois le secret levé, le témoin a le devoir de collaborer dans les limites de l’art. 166 al. 1 let. b CPC. Tel n’est cependant pas le cas de l’avocat, dans la mesure où, même délié de son secret professionnel, l’avocat n’est pas obligé de témoigner. Partant, une partie qui veut obtenir le témoignage d’un avocat n’est pas légitimée à recourir au Tribunal fédéral pour libérer l’avocat de son secret.

Proposition de citation : Célian Hirsch, La levée du secret médical, in: https://lawinside.ch/305/