Le régime transitoire de la conversion ex lege des actions au porteur en actions nominatives

TF, 31.03.2025, 4A_497/2024* 

La conversion ex lege des actions au porteur en actions nominatives ne s’applique qu’aux sociétés déjà existantes et non rétroactivement aux sociétés radiées qui n’étaient pas inscrites au registre du commerce au moment de la conversion. 

Faits  

Par décision du 4 juillet 2003, une assemblée générale dissout une société dont le capital-actions est composé d’actions au porteur. Le 12 janvier 2005, l’office du registre du commerce radie la société. Par décision du 18 août 2022, l’Einzelrichter des Regionalgerichts Surselva ordonne sa réinscription et nomme un liquidateur. 

Une personne dépose une demande d’inscription au registre des actions de la société. Le l’Einzelrichter rejette la demande. Le Kantonsgericht des Grisons confirme la décision.  

Le prétendu actionnaire saisit le Tribunal fédéral. Ce dernier doit déterminer si la conversion ex lege des actions au porteur en actions nominatives s’applique rétroactivement aux sociétés radiées au moment de la conversion et ensuite réinscrites. 

Droit  

Selon l’art. 622 al. 1bis CO, en vigueur depuis le 1er février 2021, les actions au porteur ne sont autorisées que si la société a des titres de participation cotés en bourse ou si elles sont émises sous forme de titres intermédiés au sens de la Loi fédérale sur les titres intermédiés et sont déposées auprès d’un dépositaire en Suisse désigné par la société ou inscrites au registre principal.  

Le 1er mai 2021, toutes les actions au porteur non conformes ont été converties ex lege en actions nominatives conformément à l’art. 4 al. 1 des Dispositions transitoires de la modification du 21 juin 2019. 

Les actionnaires qui ne se sont pas conformés à l’obligation d’annoncer prévue à l’art. 697i de l’ancien droit et dont les actions au porteur ont été converties en actions nominatives peuvent, avec l’accord préalable de la société, demander au tribunal leur inscription au registre des actions de la société. Le tribunal approuve la demande si l’actionnaire apporte la preuve de sa qualité d’actionnaire (art. 7 Dispositions transitoires).

Lorsque les actionnaires n’ont pas requis leur inscription au registre des actions conformément à l’art. 7 des Dispositions transitoires, leurs actions sont annulées de par la loi le 1er novembre 2024. Cependant, les actionnaires dont les actions ont été annulées sans faute de leur part peuvent faire valoir auprès de la société un droit à une indemnisation dans un délai de dix ans à compter de l’annulation des actions s’ils prouvent qu’ils avaient la qualité d’actionnaire à ce moment-là (art. 8 Dispositions transitoires). Ces règles s’appliquent à toutes les sociétés existantes au moment de leur entrée en vigueur conformément à l’art. 1 al. 2 des Dispositions transitoires 

En l’espèce, la société a été radiée du registre du commerce le 12 janvier 2005. Or, au moment de sa radiation, les restrictions concernant les actions au porteur prévues à l’art. 622 al. 1bis CO n’existaient pas encore. Même au 1er mai 2021, la société ne contrevenait pas à l’interdiction de détenir des actions au porteur dès lors qu’elle était toujours radiée et que la conversion ex lege des actions nominatives ne s’appliquait qu’aux sociétés existantes. Ce n’est qu’avec sa réinscription que les actions de la société sont devenues non conformes à la loi. La société radiée n’avait aucun moyen de procéder elle-même à la conversion. Par conséquent, les conditions auxquelles le législateur a souhaité imposer une conversion ex lege à compter du 1er mai 2021 ne sont pas remplies en l’espèce.  

Il en va de même pour l’obligation d’annoncer. Au moment de la radiation de la société du registre du commerce, le 12 janvier 2005, l’obligation d’annoncer selon l’ancien art. 697i CO n’existait pas encore. Par conséquent, les actionnaires au porteur ne pouvaient pas enfreindre cette obligation à cette époque. Même après l’entrée en vigueur de l’ancien art. 697i CO, ils n’auraient pas pu remplir une éventuelle obligation d’annoncer (qui n’existait toutefois pas tant que les sociétés étaient radiées) avant la réinscription de la société. Ce n’est qu’avec la réinscription que l’obligation de déclaration pourrait s’appliquer aux actionnaires, d’autant plus que l’art. 3 des Dispositions transitoires, contrairement à l’ancien art. 697i CO, n’a pas été abrogé. Par conséquent, la réparation de l’obligation d’annoncer et le droit de demander son inscription au registre des actions prévues à l’art. 7 des Dispositions transitoires pour les actionnaires n’ayant pas respecté leurs obligations d’annoncer et dont les sociétés ont laissé expirer le délai de conversion ne s’appliquent pas à l’espèce.  

Il s’ensuit que le l’actionnaire n’a pas besoin de recourir à une procédure selon l’art. 7 des Dispositions transitoires pour obtenir son inscription au registre des actions de la société, et que la décision de rejet ne lui cause aucun préjudice. Il appartient à la société de décider de son inscription. La question reste ouverte de savoir si l’actionnaire peut tout de même exiger une inscription par le tribunal sur la base de l’art. 7 des Dispositions transitoires. En effet, pour obtenir une inscription judiciaire, l’actionnaire doit prouver suffisamment sa qualité d’actionnaire devant le tribunal. Ce qu’il n’a pas fait en l’espèce. Par conséquent, le Kantonsgericht n’a pas violé le droit fédéral en rejetant la demande d’inscription du recourant.  

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours. 

Note 

Dans son raisonnement, le Tribunal fédéral considère en particulier que l’application des art. 4 ss des Dispositions transitoires conduit en l’espèce à un résultat qui ne correspond pas aux buts prévus par le législateur. Pour arriver à cette conclusion, le Tribunal fédéral procède à un examen détaillé des débats parlementaires. En conclusion, il distingue l’actionnaire qui se serait désintéressé de la société en ne s’annonçant pas, de l’actionnaire d’une société radiée. Alors que le premier devrait se voir opposer la nullité de ses actions au porteur (art. 8 des Dispositions transitoires), le second n’a violé aucune obligation d’annonce, ce qui justifie sa réinscription. Cette distinction est convaincante. En effet, retenir la nullité des actions de celui qui n’a pas demandé au tribunal son inscription au registre des actions, alors que la société était radiée aurait été disproportionné. L’on ne saurait attendre d’un actionnaire d’une société radiée qu’il se conforme à l’obligation d’annoncer prévue à l’art. 697i de l’ancien droit et qu’il demande au tribunal son inscription au registre des actions de la société. Le mode de conversion ex lege des actions au porteur en actions nominatives doit rester réaliste. 

L’art. 8 des Dispositions transitoires prévoit la nullité des actions au porteur pour les actionnaires qui n’ont pas demandé à temps leur inscription au registre des actions conformément à l’art. 7 des Dispositions transitoires. Ces actions annulées sont remplacées par des actions propres de la société. Ce régime strict peut s’avérer problématique. Il n’est en effet pas exclu que des actionnaires d’une société omettent de procéder à cette annonce. Si tous les actionnaires commettent cette erreur, la société se retrouverait sans actionnaire.  

En outre, le Tribunal fédéral estime que le prétendu actionnaire n’a en l’espèce pas suffisamment prouvé sa qualité d’actionnaire. Ce dernier s’est contenté de produire des nouveaux certificats et de se référer à des décisions antérieures dont la motivation ferait référence à sa qualité d’actionnaire. Le Tribunal fédéral rappelle d’abord que les moyens de preuve nouveaux produits par le prétendu actionnaire sont irrecevables conformément à l’art. 317 CPC. Il rappelle ensuite qu’une décision n’acquiert l’autorité de la chose jugée que dans la forme exprimée par son dispositif. Un constat opéré dans la motivation du jugement n’a pas d’effet obligatoire dans un autre procès. Les constatations relatives aux relations juridiques préjudicielles, questions accessoires ou préliminaires, ainsi que d’autres effets juridiques découlant logiquement du contenu du jugement, n’acquièrent donc pas l’autorité de la chose jugée. Partant, une décision antérieure dont les considérants en fait établiraient la qualité d’actionnaire du recourant ne peut pas constituer un fait notoire ou notoirement connu du tribunal au sens de l’art. 151 CPC. Admettre le contraire reviendrait à dispenser indûment ce fait de preuve.  

Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro and Célian Hirsch, Le régime transitoire de la conversion ex lege des actions au porteur en actions nominatives, in: https://lawinside.ch/1596/