La validité d’une résiliation pour cause de démolition
Une résiliation pour cause de démolition se distingue d’une résiliation pour rénovation ou transformation en ce sens que le maintien du locataire dans les lieux est d’emblée exclu. Ainsi, un projet de démolition mûr n’est pas requis du bailleur dans la mesure où le locataire n’a pas à évaluer si sa présence entraverait ou retarderait le projet envisagé.
Faits
Suite au décès du bailleur d’un immeuble sis sur une parcelle dont il était propriétaire, la parcelle est reprise par un acquéreur, s’étant alors substitué au bailleur initial dans les rapports de bail. Une société, propriétaire des parcelles voisines, y réalise un projet immobilier. Quelques temps plus tard, le nouveau bailleur résilie les contrats de bail des différents locataires de l’immeuble au moyen de la formule officielle avant de vendre la parcelle à la société. Le motif de congé réside dans la démolition et la reconstruction de l’immeuble afin qu’il corresponde à l’apparence de la nouvelle zone prévue par ledit projet.
L’un des locataires conteste la résiliation auprès de l’autorité de conciliation compétente. Suite au rejet de la proposition de jugement par la société, celle-ci introduit une action auprès du Kantonsgericht de Zoug afin qu’il constate la validité de la résiliation et rejette toute éventuelle demande de prolongation du bail. Ce dernier rejette l’action et annule la résiliation, considérée comme abusive. Le bailleur interjette alors recours auprès de l’Obergericht du canton de Zoug qui confirme cette décision, jugeant que le bailleur a procédé à une résiliation préventive prohibée (verpönte Vorratskündigung) en raison d’informations insuffisantes quant au projet de construction.
Le bailleur interjette un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci est amené à se prononcer sur la validité de la résiliation en vue d’une démolition et, le cas échéant, sur une éventuelle prolongation du bail.
Droit
Un contrat de bail de durée indéterminée peut, moyennant le respect des délais de congé et termes légaux, être résilié de manière ordinaire sans motif particulier (art. 266a CO). Néanmoins, le congé est annulable s’il contrevient aux règles de la bonne foi (art. 271 CO), à savoir lorsqu’il est prononcé sans intérêt objectif, sérieux et digne de protection ou lorsqu’il affecte les intérêts en présence de manière manifestement disproportionnée.
Une résiliation ordinaire n’est pas abusive du simple fait qu’elle soit prononcée en l’absence de justification ou en raison de l’insuffisance de celle-ci. Pour juger du caractère abusif d’une telle résiliation, il faut bien plutôt en déterminer le véritable motif en se plaçant au moment de son prononcé. Il revient en principe au locataire de prouver que la résiliation est abusive, le bailleur devant collaborer à l’établissement de la vérité.
Une résiliation motivée par des travaux de rénovation ou de transformation est abusive si la présence du locataire n’entrave ou ne retarde pas considérablement les travaux prévus. En outre, elle l’est également si le projet est objectivement irréalisable, notamment parce qu’il contrevient à des prescriptions d’ordre public ou si, faute de projet suffisamment mûr, le locataire ne peut évaluer si sa présence compromet la réalisation des travaux envisagés.
À la différence d’une résiliation pour rénovation ou transformation, une résiliation pour démolition rend l’usage du bien loué objectivement impossible. Sa validité ne dépend ni de l’état du bâtiment, ni de l’urgence des travaux. Bien au contraire, la décision de démolition revient exclusivement au bailleur, pour autant qu’il dispose d’un intérêt digne de protection et qu’il n’agisse pas de manière abusive. Elle peut ainsi reposer sur des considérations économiques, qu’il s’agisse d’une reconstruction ou d’une intégration de la parcelle dans un projet immobilier global, permettant d’augmenter le rendement. Dans la mesure où une telle résiliation exclut d’emblée le maintien du locataire dans les lieux, le bailleur ne doit ni présenter, ni disposer d’un projet de démolition suffisamment mûr permettant d’évaluer si la présence du locataire pourrait interférer avec les travaux envisagés. Dès lors, pour juger du sérieux du motif de résiliation, il suffit que le bailleur fournisse une intention plausible ou présente un projet, même non abouti, quant à l’utilisation du terrain après la démolition.
En l’espèce, il s’agit d’une résiliation pour cause de démolition. Selon le Tribunal fédéral, ni l’argumentation avancée par le Kantonsgericht, ni celle avancée par l’Obergericht n’emportent conviction. Alors que le premier a estimé à tort que la résiliation était abusive faute d’intérêt digne de protection en l’absence de détails quant à la justification et au stade de maturité du projet, le deuxième a imposé à la résiliation pour cause de démolition des conditions supplémentaires en exigeant du bailleur qu’il fournisse des indications suffisamment concrètes quant à la démolition et au projet de construction envisagé.
Au sens du Tribunal fédéral, le bailleur disposait, au moment de la résiliation, de l’opportunité de vendre l’immeuble à la société en charge du projet de construction, de sorte qu’il lui suffisait d’informer les locataires que l’ensemble de la zone allait faire l’objet d’un réaménagement et qu’il souhaitait intégrer sa parcelle au projet de construction. Par ailleurs, l’absence de détail quant au projet de démolition ne permet pas de conclure à l’inexistence d’un intérêt digne de protection dans la mesure où le locataire n’a pas à évaluer l’influence de sa présence sur la réalisation du projet.
Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral considère que la résiliation n’est pas abusive et admet le recours du bailleur sur ce point. Quant à la question d’une éventuelle prolongation du bail, celle-ci n’ayant été examinée par l’instance précédente, l’affaire doit lui être renvoyée. La recourante ayant vendu la parcelle litigieuse durant le délai de recours, il conviendra d’examiner si la nouvelle propriétaire doit être impliquée dans la procédure, dans la mesure où une prolongation du bail pourrait affecter ses droits et obligations en tant que nouvelle propriétaire et bailleresse.
Proposition de citation : Inès Drissi, La validité d’une résiliation pour cause de démolition, in: https://lawinside.ch/1595/