Le refus de reconnaissance de l’association d’étudiants Zofingue par l’UNIL et l’EPFL
TF, 25.03.2025, 2C_441/2024*, 2C_72/2024*
Au vu de l’importance actuelle accordée à l’égalité des sexes, le Tribunal fédéral modifie sa jurisprudence et considère que, dans le cadre de l’octroi de la reconnaissance d’une association d’étudiant·e·s par une haute école, le principe d’égalité des sexes (art. 8 Cst.) prime la liberté d’association (art. 23 Cst.) lorsqu’il n’existe pas de lien objectif entre le but de l’association et l’exclusion d’un sexe. (Revirement de jurisprudence)
Faits
La Section vaudoise de la Société suisse de Zofingue (ci-après : la « Section vaudoise ») est une association d’étudiants (art. 60 ss CC) dont les buts sont notamment de « former des personnalités capables d’assumer des responsabilités civiques » et d’étudier « des problèmes politiques et économiques suisses et des questions universitaires, culturelles et sociales ». Pour être membre actif de la Section vaudoise, il faut notamment être de sexe masculin.
En 2020, l’École polytechnique fédérale de Lausanne (ci-après : EPFL) refuse d’octroyer à la Section vaudoise le statut d’association d’étudiants reconnue. Cette dernière forme un recours auprès de la Commission de recours interne de l’EPFL, qui admet le recours. Sur recours de l’EPFL, le Tribunal administratif fédéral confirme la décision de la Commission.
En 2022, la Direction de l’Université de Lausanne (ci-après : UNIL) refuse de renouveler le statut d’association universitaire reconnue de la Section vaudoise. Cette dernière forme un recours auprès de la Commission de recours de l’UNIL, qui le rejette. Sur recours de la Section vaudoise, le Tribunal cantonal vaudois annule la décision de la Commission.
L’EPFL et l’UNIL interjettent alors chacune un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si le refus d’octroyer la reconnaissance du statut d’association d’étudiants à la Section vaudoise viole la liberté d’association (art. 23 Cst.).
Droit
Dans un premier temps, le Tribunal fédéral rappelle la jurisprudence (ATF 140 I 201) sur laquelle se sont fondées les autorités précédentes pour désavouer les décisions de refus de reconnaissance de la Section vaudoise. Dans cet arrêt, il avait jugé que l’UNIL ne pouvait pas, en vertu de son autonomie, refuser d’octroyer le statut d’association universitaire à la Section vaudoise.
L’UNIL avait invoqué sa volonté de mettre en œuvre l’égalité des sexes dans ses domaines de compétence (art. 8 al. 3 et 35 al. 2 Cst.), alors que la Section vaudoise avait invoqué le principe de l’égalité de traitement (art. 8 al. 1 Cst.) et la liberté d’association (art. 23 Cst.). À l’issue d’une pesée globale des intérêts, le Tribunal fédéral avait jugé que l’UNIL disposait de moyens alternatifs pour promouvoir l’égalité entre les sexes et pouvait envisager des mesures moins attentatoires aux droits fondamentaux qu’une décision de refus d’octroi du statut d’association universitaire, dans le respect du principe de proportionnalité. De plus, une telle décision portait une atteinte concrète à la Section vaudoise, notamment en l’excluant des locaux universitaires et en supprimant la possibilité d’avoir une page de présentation sur le site internet de l’université. Compte tenu de ces considérations, l’égalité de traitement et la liberté d’association de la Section vaudoise primaient.
Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral relève que l’EPFL et l’UNIL jouissent d’une autonomie reconnue par l’art. 63a al. 3 Cst. Leur marge de manœuvre n’est toutefois pas illimitée dès lors qu’elles sont tenues de respecter les droits fondamentaux (art. 35 al. 2 Cst.). En cas de conflit entre droits fondamentaux (Grundrechtkollision), elles sont tenues d’exercer leur pouvoir d’appréciation à la lumière des principes de l’art. 36 Cst.
En l’espèce, seule la condition de la proportionnalité est controversée. Sur ce point, les instances précédentes ont repris pour l’essentiel l’argumentation de l’ATF 140 I 201 et ont considéré qu’il n’y avait pas lieu de revenir sur cette jurisprudence. Le Tribunal fédéral examine dès lors si les conditions d’un revirement de jurisprudence sont remplies.
Un revirement de jurisprudence suppose des motifs sérieux et objectifs, fondés notamment sur l’inadéquation de la pratique à l’évolution des conceptions juridiques et les critiques de la doctrine. Par ailleurs, vis-à-vis de la sécurité du droit, ces motifs sérieux doivent être d’autant plus importants que la jurisprudence à changer est ancienne.
Depuis la publication de l’ATF 140 I 201, l’importance accordée à l’égalité des sexes s’est renforcée, illustrée notamment par la Stratégie Égalité 2030 ainsi que par l’acceptation du congé paternité (2020) et du mariage pour tous (2021). Le Tribunal fédéral relève également le rôle important des hautes écoles pour une réalisation effective d’une égalité entre les sexes. De plus, la doctrine a unanimement critiqué l’ATF 140 I 201, en relevant notamment une pesée des intérêts lacunaire par le Tribunal fédéral. Ce dernier avait en effet largement mis l’accent sur les désavantages d’un refus de reconnaissance pour la Section vaudoise, sans considérer suffisamment la position délicate dans laquelle cette reconnaissance plaçait l’Université de Lausanne.
Eu égard à ces considérations, le Tribunal fédéral conclut qu’il peut envisager un revirement de jurisprudence et revoit donc la condition de la proportionnalité dans un troisième temps.
Premièrement, le fait qu’une association exclue certaines catégories d’étudiants de son sociétariat en raison de leur sexe ne justifie pas forcément une décision négative s’agissant de sa reconnaissance. Toutefois, cette exclusion doit avoir un lien objectif avec un but légitime de l’association. En l’espèce, les buts de l’association, à savoir le réseau et la formation, ne justifient en rien une exclusion fondée sur le sexe.
Deuxièmement, l’appartenance à une association universitaire peut fournir des avantages en rapport avec la carrière professionnelle, tel qu’un réseau précieux. C’est en particulier le cas dans le cadre de la société Zofingue, qui se définit elle-même comme « la plus grande et ancienne société d’étudiants de Suisse ». Ces effets sur la vie professionnelle sont pertinents en matière d’égalité. Si les étudiantes se voient refuser l’accès à ce réseau uniquement en raison de leur sexe, elles ne bénéficient pas de la même égalité des chances que les étudiants.
Troisièmement, au vu du nombre de membres et de leur répartition géographique, les contacts entre les membres de l’association peuvent avoir lieu dans un contexte récréatif sans impact négatif sur les possibilités de réseautage.
Quatrièmement, en tant qu’établissements de droit public autonomes, les recourantes sont non seulement en droit, mais ont également le devoir de contribuer à la réalisation de l’égalité des sexes sur leur campus respectif. À cette fin, elles doivent veiller à ce que les critères d’admission des associations d’étudiant·e·s ne créent pas de discrimination.
Finalement, selon la jurisprudence de la CourEDH en particulier, une inégalité résultant d’une distinction fondée exclusivement sur le sexe doit faire l’objet d’une justification objective particulière. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce.
À la lumière de ces différents éléments, imposer à l’EPFL et à l’UNIL de reconnaître la Section vaudoise reviendrait à les contraindre à cautionner une pratique discriminatoire fondée sur le sexe sur leur campus respectif. En outre, le noyau intangible de la liberté d’association n’est pas atteint puisque la Section vaudoise peut continuer ses activités et que l’atteinte est relative. Dès lors, le principe d’égalité des sexes prime celui de la liberté d’association.
Partant, les autorités précédentes ont violé l’autonomie de l’UNIL et de l’EPFL (art. 63a Cst.). Le Tribunal fédéral admet les recours des deux hautes écoles, annule les arrêts précédents et confirme les décisions de refus de reconnaissance.
Proposition de citation : Margaux Collaud, Le refus de reconnaissance de l’association d’étudiants Zofingue par l’UNIL et l’EPFL, in: https://lawinside.ch/1591/