Le droit à un acte attaquable en matière de protection consulaire

TF, 13.12.2024, 1C_517/2024*

Dans les cas où la vie ou l’intégrité physique de la personne concernée sont menacées (art. 43 al. 3 LSEtr), il peut exceptionnellement exister un droit à la protection consulaire qui, sinon, ne devrait pas être accordée sur la base de l’art. 43 al. 1 et 2 LSEtr. En ne traitant pas la demande du requérant, qui avait droit à un acte attaquable en matière de protection consulaire, le DFAE a commis un déni de justice (art. 29 Cst).

Faits

En 2015, un homme de nationalité suisse se rend en Syrie. À la suite de son arrestation en 2019 par les Forces démocratiques syriennes, il est incarcéré dans une prison où sont détenus des partisans de l’Etat islamique.

Le 9 septembre 2022, l’intéressé demande la protection consulaire au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), en se fondant sur l’art. 43 al. 3 de la Loi fédérale sur les personnes et institutions suisses à l’étranger (LSEtr). Il demande en substance que la Confédération prenne toutes les mesures à sa disposition pour lui permettre de revenir en Suisse, invoquant la mise en danger de sa vie et de son intégrité physique en raison de ses conditions de détention.

Lors d’un entretien avec le conseil du détenu, des représentants du DFAE lui indiquent que la Suisse ne propose pas d’assistance active au retour pour les voyageurs adultes motivés par le terrorisme. Le DFAE peut donc continuer à accorder au requérant une protection consulaire dans la mesure du possible, mais ses possibilités d’action demeurent limitées.

Le conseil du détenu demande au DFAE de rendre à ce sujet une décision susceptible de recours. Plusieurs mois plus tard, en l’absence d’une décision du DFAE, l’intéressé saisit le Tribunal administratif fédéral (TAF) en faisant valoir un déni de justice formel. Le TAF n’entre pas en matière, signalant son incompétence de principe en matière de sécurité intérieure du pays, en application des art. 32 al. 1 lit. a LTAF et 72 lit. a PA.

L’intéressé saisit le Tribunal fédéral, qui doit en particulier détermine si le recourant dispose d’un intérêt digne de protection, au sens de l’art. 48 al. 1 lit. c PA, à ce qu’une décision soit rendue.

Droit

Selon l’art. 83 lit. a LTF, le recours est irrecevable contre les décisions concernant la sûreté intérieure ou extérieure du pays, la neutralité, la protection diplomatique et les autres affaires relevant des relations extérieures, à moins que le droit international ne confère un droit à ce que la cause soit jugée par un tribunal. Le même motif d’exclusion se retrouve à l’art. 32 al. 1 lit. a LTAF.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 83 lit. a LTF doit en principe être interprété de manière restrictive. Ainsi, toute décision qui revêt une importance indirecte pour la sécurité intérieure n’est pas couverte par cette disposition. Par ailleurs, la jurisprudence plus récente du Tribunal fédéral en la matière a eu tendance à restreindre encore davantage l’interprétation de ce qui est couvert par l’art. 83 lit. a LTF.

D’un point de vue littéral, le Tribunal fédéral relève que les art. 45 ss LSEtr (assistance générale à l’étranger en cas de privation de liberté, prêt d’urgence, situation de crise, enlèvement et prise d’otage), qui décrivent les formes possibles d’assistance, contiennent de manière répétée le terme « notamment » (namentlich ; segnatamente). L’utilisation répétée de ce syntagme par le législateur montre que ces descriptions ne sont pas exhaustives.

Le Tribunal fédéral expose ensuite que, selon le rapport de la Commissions des institutions politiques du Conseil des Etats du 27 janvier 2014 sur l’initiative parlementaire « Pour une loi sur les Suisses de l’étranger », la personne concernée doit pouvoir demander une décision à l’autorité compétente et disposer, en dernière instance, d’un recours auprès du Tribunal fédéral. Bien que la protection diplomatique, et non consulaire, soit mentionnée, le Tribunal fédéral note que ces deux formes de protection sont apparentées.

Cette conception et la réglementation légale décrite des conditions, des restrictions et des formes de la protection consulaire expriment le fait qu’il s’agit d’un domaine fondamentalement justiciable, qui ne relève pas de la responsabilité exclusive du gouvernement.

Le Tribunal fédéral rappelle enfin qu’un intérêt digne de protection suffit pour avoir la qualité de partie au sens de la PA (art. 6 et 48 PA). Or, le TAF a nié cet intérêt digne de protection dans le cas d’espèce, en considérant que le requérant ne disposait pas d’un droit à la protection consulaire (art. 43 al. 1 LSEtr). Bien que l’art. 43 al. 3 LSEtr réserve expressément les cas où la vie ou l’intégrité physique de la personne concernée sont menacées, le TAF a considéré que le requérant n’avait pas apporté la preuve d’une telle menace.

Il découle de ce qui précède que le TAF a violé le droit fédéral (i) en admettant le motif d’exclusion du recours de l’art. 32 al. 1 lit. a LTAF et (ii) en assimilant l’intérêt digne de protection requis par l’art. 48 al. 1 lit. c PA au droit à la protection consulaire.

Dans le cas où, comme en l’espèce, un recourant fait valoir un déni de justice, des motifs d’économie de procédure ou le droit d’être jugé dans un délai raisonnable (art. 29 al. 1 Cst) peuvent commander que le Tribunal fédéral statue lui-même directement. À cet égard, le Tribunal fédéral rappelle qu’il existe un déni de justice formel au sens strict lorsqu’une autorité refuse à tort d’entrer en matière sur une requête ou ne la traite pas alors qu’elle y serait tenue en vertu du droit de procédure applicable.

En l’espèce, dans une prise de position quelque peu contradictoire, le DFAE a exprimé devant le TAF que la durée de la procédure n’était pas excessive, mais que le recourant n’avait aucun intérêt digne de protection à ce qu’une décision soit rendue. Il a ainsi clairement exprimé qu’il ne voyait aucune raison de traiter la demande du recourant en bonne et due forme.

Le Tribunal fédéral écarte cette approche. En effet, le recourant, détenu dans des conditions précaires, dispose sans aucun doute d’un intérêt digne de protection à ce qu’une décision soit rendue. Le DFAE a donc, quant à lui, violé l’art. 29 al. 1 Cst en ne traitant pas la demande de l’intéressé.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et renvoie l’affaire au DFAE, qui reçoit pour instructions de tenir compte de la situation actuelle en Syrie. Cela nécessite, le cas échéant, une nouvelle évaluation de la mise en danger de la vie et de l’intégrité corporelle soulevée par le recourant.

Proposition de citation : Camille de Salis, Le droit à un acte attaquable en matière de protection consulaire, in: https://lawinside.ch/1576/