Le contrôle de la capacité de discernement d’un.e mineur.e déclarant changer de sexe

TF, 06.11.2024, 5A_623/2024*

La capacité de discernement d’une personne déclarant changer de sexe à l’état civil (cf. art. 30b CC) est examinée par l’officier de l’état civil. Ce n’est que lorsque ce dernier a des doutes qu’il y a lieu d’exiger des investigations complémentaires (notamment la production d’un certificat médical) et ce même lorsque la personne faisant la déclaration est mineure.

Faits

Les père et mère divorcés d’un enfant de 16 ans exercent sur lui l’autorité parentale conjointe et en assument une garde alternée. Le Service de protection des mineurs du canton de Genève signale au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant la nécessité d’adopter des mesures de protection en faveur de l’enfant. Le Tribunal prononce la mise en place d’une curatelle d’assistance éducative. Il retire ensuite provisoirement aux parents la garde et le droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant, ordonne son placement en foyer, ainsi qu’un suivi thérapeutique et médical. Ces mesures visent en particulier à répondre aux besoins de l’enfant et de permettre son orientation vers des spécialistes à même de l’aider à répondre à ses questionnements quant à son identité de genre.

Par la suite, le Tribunal impartit un délai aux parents en vue de remettre les documents d’identité de leur enfant à la curatrice, afin de permettre la modification de l’inscription du sexe et des prénoms à l’état civil. Les parents s’y opposent et demandent une expertise psychiatrique pour évaluer la capacité de discernement de leur enfant. Malgré cette opposition, le Tribunal ordonne aux parents de déposer la carte d’identité de leur enfant auprès dans un délai de dix jours, sous menace de la peine prévue par l’art. 292 CP.

La Chambre de surveillance de la Cour de justice rejette le recours des parents. Ceux-ci saisissent alors le Tribunal fédéral, lequel doit se prononcer sur la nécessité d’une expertise psychiatrique pour juger de la capacité de discernement de l’enfant.

Droit

Les parents soutiennent que l’interprétation de l’art. 30b CC, en lien avec l’art. 16 CC, dégagée par la Chambre de surveillance est incompatible avec la protection des enfants et des jeunes, telle qu’elle découle de l’art. 11 Cst. En particulier, ils font valoir qu’un officier d’état civil ne serait pas qualifié pour évaluer la capacité de discernement d’une personne mineure, estimant qu’une expertise psychiatrique est nécessaire.

L’art. 30b CC permet à une personne de modifier l’inscription de son sexe et de ses prénoms par une déclaration à l’officier d’état civil. Néanmoins, le consentement du représentant légal est requis lorsque la personne faisant cette déclaration est âgée de moins de 16 ans révolus (al. 4 ch. 1).

Si cette disposition reste muette quant au devoir d’examen de la capacité de discernement par l’officier de l’état civil, tant la doctrine que les travaux préparatoires indiquent que l’officier de l’état civil doit vérifier d’office la capacité de discernement de la personne concernée, bien qu’elle soit présumée. Ce faisant, il peut, en cas de doutes, mener des investigations complémentaires, notamment en exigeant la production d’un certificat médical (cf. art. 16 OEC). Néanmoins, l’exigence systématique d’un diagnostic de la santé mentale de la personne déclarante a été explicitement exclue. De surcroît, cette disposition vise à simplifier le changement de sexe à l’état civil, substituant ainsi la procédure judiciaire par une simple déclaration, sans exigence d’interventions médicales ni de conditions préalables.

Partant, l’interprétation dégagée par la Chambre de surveillance est conforme à la volonté du législateur. De plus, aucune raison ne laisse déduire que le texte de l’art. 30b CC ne reflèterait pas son sens authentique ou serait entaché d’une lacune.

Pour ces raisons, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note (par Célian Hirsch)

Dans le considérant 3.1 de cet arrêt, le Tribunal fédéral rappelle qu’une norme s’interprète en premier lieu selon son texte (interprétation littérale). Cette première étape doit permettre de distinguer selon que le texte légal est (1) « clair » ou (2) « pas absolument clair ». Dans la première hypothèse, il conviendrait de s’en tenir à ce texte clair, sauf « s’il existe des motifs sérieux de penser que ce texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée et conduit à des résultats que le législateur ne peut avoir voulus et qui heurtent le sentiment de la justice ou le principe de l’égalité de traitement ». Dans la seconde hypothèse, le tribunal « s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme » selon les quatre méthodes d’interprétation habituelles (littérale, historique, téléologique et systématique). Cette méthode qui préconise une première étape purement littérale nous semble un peu artificielle. Comment déterminer si un texte légal est « clair », sans pour autant interpréter la norme selon les quatre méthodes d’interprétation ? En l’espèce, le Tribunal fédéral a procédé à une interprétation approfondie de la norme en question, avant de pouvoir conclure qu’il « n’existe donc aucune raison d’admettre que le texte de la disposition ne reproduit pas son vrai sens ». En d’autres termes, le Tribunal fédéral semble avoir procédé selon les quatre méthodes d’interprétation habituelles afin d’en dégager son « vrai sens », malgré un potentiel texte « clair ».

Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi et Célian Hirsch, Le contrôle de la capacité de discernement d’un.e mineur.e déclarant changer de sexe, in: https://lawinside.ch/1541/