Les secrets à invoquer pour demander la mise sous scellés (art. 248 CPP, précision de la jurisprudence)
TF, 15.11.2024, 7B_950/2024, 7B_976/2024*
Les détenteurs d’un autre secret au sens de l’art. 173 al. 2 CPP ne disposent pas du droit de refuser de témoigner. Par conséquent, tous les autres secrets de l’art. 173 al. 2 CPP – notamment les secrets d’affaires ainsi que le secret bancaire – ne permettent jamais d’obtenir une mise sous scellés au sens de l’art. 248 CPP cum 264 CPP (précision de la jurisprudence).
Faits
Le Ministère public de la République et canton de Genève (« le MP ») enquête à l’encontre d’un prévenu. Le 9 juillet 2024, le MP rend une ordonnance qui prévoit la perquisition et la mise sous séquestre de deux téléphones qui appartiennent au prévenu, ainsi qu’un disque dur qui contient les informations des téléphones. Le prévenu demande la mise sous scellés des téléphones et du disque dur ; le MP requiert la levée des scellés le 16 juillet 2024.
Dans un premier temps, le prévenu forme un recours contre l’ordonnance de perquisition et de mise sous séquestre du 9 juillet. En date du 6 août 2024, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève rejette le recours pour cause d’irrecevabilité.
Dans un second temps, le 9 août 2024, le Tribunal des mesures de contrainte de la République et canton de Genève (« le TMC ») admet la demande de levée des scellés et ordonne de transmettre les téléphones cellulaires et le disque dur au MP.
Le prévenu forme deux recours en matière pénale au Tribunal fédéral, l’un à l’encontre de l’arrêt de la Chambre pénale de recours relatif à la perquisition et au séquestre des téléphones et du disque dur, l’autre à l’encontre de l’ordonnance de levée des scellés. Le Tribunal fédéral est ainsi amené à se prononcer sur l’autorité de recours en cas de demande de levée des scellés.
Droit
La Chambre pénale de recours a déclaré irrecevable le recours contre l’ordonnance de perquisition et de séquestre car une procédure de levée des scellés se déroulait en parallèle ; le TMC a quant à lui estimé qu’il n’avait plus la compétence de déterminer si des secrets s’opposaient à la levée des scellés en vertu de la nouvelle teneur de l’art. 248 CPP. Puisque les deux autorités ont renoncé à statuer sur les griefs soulevés par le prévenu, il en résulte pour ce dernier une violation de son droit d’être entendu, raison pour laquelle le Tribunal fédéral entre en matière sur les recours.
Le Tribunal fédéral examine en premier lieu le recours contre l’ordonnance du TMC. Le prévenu a recouru à son encontre car il estime que des secrets s’opposent à la levée des scellés. En l’espèce, le prévenu n’a pas suffisamment démontré que les téléphones portables contenaient des informations qui seraient protégées par le secret professionnel de l’avocat (art. 264 al. 1 let. a et c CPP). De plus, le prévenu prétend que les téléphones contiennent des secrets commerciaux, d’affaires ou de fabrication (art. 264 al. 1 let. c CPP). Or, le Tribunal fédéral a récemment jugé que de tels secrets, ainsi que le secret bancaire (art. 47 LB), ne constituaient plus des motifs suffisants pour demander à apposer des scellés au sens de l’art. 248 al. 1 CPP (TF, 24.09.2024, 7B_313/2024*, publié in : https://lawinside.ch/1528).
Cela dit, le Tribunal fédéral prend ici soin de préciser la jurisprudence précitée. En effet, les art. 170 à 173 CPP listent différents types de secrets qui confèrent un droit de refuser de témoigner, par exemple le secret de fonction (art. 170 CPP) ou le secret professionnel (art. 171 CPP). Les autres secrets protégés par la loi – dont font partie les secrets commerciaux, de fabrication, d’affaires ou encore le secret bancaire – n’offrent pas un droit de refuser de témoigner à leur détenteur, mais la direction de la procédure peut les dispenser de témoigner lorsqu’ils rendent vraisemblables que l’intérêt au maintien du secret l’emporte sur l’intérêt à la manifestation de la vérité (art. 173 al. 2 CPP). Ainsi, les autres secrets protégés par la loi au sens de l’art. 173 al. 2 CPP ne permettent pas d’obtenir une mise sous scellés au sens de l’art. 248 al. 1 CPP. En conséquence, le prévenu n’a donc pas invoqué de secrets qui lui permettaient de s’opposer à la levée des scellés.
Cela étant dit, le prévenu se plaint aussi d’un déni de justice (art. 29 al. 1 Cst.) : ni le TMC ni la Chambre pénale de recours n’ont statué sur les griefs de fond qu’il avait soulevés, à savoir la proportionnalité de la mesure et l’utilité des pièces saisies. La jurisprudence relative à l’ancien art. 248 CPP, toujours applicable au nouvel art. 248 CPP, permet au juge de la levée des scellés d’examiner si les mesures de contraintes entreprises respectent les conditions de l’art. 197 CPP, notamment le principe de proportionnalité ou l’existence de soupçons suffisants (ATF 142 IV 207, consid. 7.1.5 ; ATF 141 IV 77, consid. 4.3). Toutefois, le juge des scellés ne peut examiner ces questions qu’à condition que le prévenu invoque des motifs qui permettent d’obtenir la mise sous scellés ; à défaut, le prévenu doit contester la légalité de la mesure dans un recours au sens de l’art. 393 CPP. Autrement dit, ce n’est seulement lorsque le prévenu démontre de manière suffisante que des secrets au sens des art. 170 à 173 al. 1 CPP – mais pas ceux de l’art. 173 al. 2 CPP – lui permettent d’obtenir la mise sous scellés que le juge des scellés peut examiner de manière accessoire les conditions de l’art. 197 CPP.
En l’espèce, le TMC a examiné deux éventuels motifs qui justifiaient une éventuelle mise sous scellés au sens de l’art. 248 al. 1 cum 264 al. 1 CPP, à savoir le secret professionnel de l’avocat (art. 264 al. 1 let. a et c CPP) et une atteinte à la sphère privée (art. 264 al. 1 let. b CPP). Même si le TMC a jugé que les secrets invoqués par le prévenu ne lui permettaient pas d’obtenir la mise sous scellés, il n’en demeure pas moins que le TMC avait alors l’obligation d’examiner la proportionnalité de la mesure de contrainte dont se plaignait le prévenu. Un raisonnement contraire autoriserait le juge des scellés à renoncer à examiner les conditions de l’art. 197 CPP lorsqu’il estime qu’aucun secret ne permet d’obtenir une mise sous scellés, ce qui mettrait à mal l’économie de procédure et le principe de célérité.
Partant, le recours contre l’ordonnance du TMC est partiellement admis et l’affaire renvoyée au TMC pour qu’il statue sur la violation du principe de proportionnalité ; le recours contre le jugement de la Chambre pénale de recours est rejeté.
Note :
Le présent arrêt apporte de nombreuses précisions sur la procédure de mises sous scellés.
Premièrement, il précise la jurisprudence que le Tribunal fédéral avait développée dans l’arrêt TF, 24.09.2024, 7B_313/2024*, résumé in : https://lawinside.ch/1528/. En effet, l’arrêt de ce jour exclut totalement les motifs de l’art. 173 al. 2 CPP comme motifs de mise sous scellés, alors que l’arrêt 7B_313/2024* ne le précisait que pour les secrets d’affaires et le secret bancaire.
Deuxièmement, le présent arrêt met également en lumière les différentes juridictions à saisir en fonction des griefs que la personne qui demande la mise sous scellés allègue :
- Si la demande de mise sous scellés ne se fonde sur aucun motif de l’art. 264 CPP, respectivement n’allègue que des violations d’un autre secret au sens de l’art. 173 al. 2 CPP, alors la personne qui entend obtenir la mise sous scellés doit former un recours au sens de l’art. 393 CPP et non pas saisir le TMC. C’est à cette occasion qu’elle pourra contester la légalité de la mesure, y compris sa proportionnalité (art. 197 CPP).
- Si la personne qui demande une mise sous scellés se fonde de manière vraisemblable sur l’un des motifs de l’art. 264 CPP, par exemple car le séquestre vise des objets ou des documents qui concernent des contacts entre le prévenu et une personne qui a le droit de refuser de témoigner (art. 264 al. 1 let. c cum 170 à 173 al. 1 CPP) ou le prévenu et son défenseur (art. 264 al. 1 let. a et c), alors elle doit saisir le TMC. Dans le cas où la personne qui demande la mise sous scellés conteste à cette occasion la légalité et la proportionnalité de la mesure (art. 197 CPP), le TMC doit se prononcer sur ces questions, même s’il finit par trancher que les motifs pour apposer les scellés ne sont pas réunis.
Proposition de citation : Arnaud Lambelet, Les secrets à invoquer pour demander la mise sous scellés (art. 248 CPP, précision de la jurisprudence), in: https://lawinside.ch/1532/