La publication d’un article diffamatoire rédigé par un tiers en tant qu’acte pénalement répréhensible
Le responsable d’un blog online qui publie un article diffamatoire reçu par un tiers sans vérifier la pertinence des propos y contenus se rend coupable de défaut d’opposition à une publication constituant une infraction prévue à l’art. 322bis CP.
Faits
Un blog online publie un article intitulé « Le TF condamne X pour avoir soustrait au fisc CHF 267’609 ». L’article reproche à cette personne d’avoir commis une « tricherie » et remet en question non seulement « sa crédibilité juridique » mais également « sa crédibilité morale ». En réalité, l’arrêt du Tribunal fédéral objet de l’article ne porte pas sur une soustraction fiscale mais sur une question de comptabilisation d’une avance sur indemnités ayant fait l’objet d’une reprise fiscale. L’article reste en ligne pendant six jours avant d’être retiré par le responsable du blog qui l’avait publié après l’avoir reçu d’un tiers.
Reconnu coupable de diffamation (art. 173 ch. 1 CP) en première instance, le responsable du blog est condamné en appel pour défaut d’opposition à une publication constituant une infraction (art. 322bis CP).
Saisi d’un recours par le responsable du blog, le Tribunal fédéral doit déterminer si la condamnation était justifiée en l’espèce.
Droit
Le Tribunal fédéral examine les conditions de l’infraction prévue à l’art. 322bis CP dans sa version en vigueur à la date du jugement d’appel attaqué (soit avant la révision entrée en vigueur au 1er juillet 2023, limitée à la peine), moment déterminant pour fixer la « mise en jugement » au sens de l’art. 2 al. 2 CP. Selon la teneur de l’ancien art. 322bis CP, « la personne responsable au sens de l’art. 28 al. 2 et 3 CP d’une publication constituant une infraction sera punie d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire si, intentionnellement, elle ne s’est pas opposée à la publication. Si elle a agi par négligence, la peine sera l’amende ». L’art. 28 CP prévoit que lorsqu’une infraction a été commise et consommée sous forme de publication par un média, seul l’auteur est punissable (al. 1); si l’auteur ne peut être découvert ou qu’il ne peut être traduit en Suisse devant un tribunal, le rédacteur responsable est punissable en vertu de l’art. 322bis CP (al. 2). À défaut de rédacteur, la personne responsable de la publication en cause est punissable en vertu du même article.
Le Tribunal fédéral examine comme suit les conditions préalables à l’application de l’art. 322bis CP:
- Commission d’une infraction primaire ayant fait l’objet d’une publication (art. 28 al. 1 CP): La commission d’une infraction primaire est d’emblée reconnue, l’article litigieux contenant des propos diffamatoires. De même, le Tribunal fédéral reconnaît la présence d’une « publication », consistant en l’espèce dans le blog online qui a publié l’article litigieux.
- Publication dans un média et infraction consommée de ce fait (art. 28 al. 1 CP): La notion de média est ouverte et évolutive et elle couvre tous les supports et moyens de communication. Le blog online tombe sans autre sous cette notion. S’agissant de la consommation par la publication, cette condition requiert que le comportement réprimé puisse se réaliser du seul fait qu’un tiers prenne connaissance de la pensée exprimée par écrit, par l’image ou le son. Les délits d’expression de la pensée (Gedankenäusserungsdelikte), dont les infractions contre l’honneur (art. 173 ss CP), rentrent dans le champ de cette notion. En l’espèce, l’infraction de diffamation peut constituer un délit de presse au sens de l’art. 28 CP, dès lors qu’elle est consommée par la publication dans un média.
- Absence de qualification du prévenu en tant qu’auteur de l’infraction initiale: Selon l’art. 28 al. 1 CP, seul l’auteur est punissable, à l’exclusion des personnes qui participent à la chaîne de diffusion du média et rendent concrètement accessible au public l’écrit constitutif de l’infraction (libraire, vendeur de journaux, etc.). Par auteur, il faut entendre non seulement la personne qui a conçu le contenu litigieux, mais également celle qui charge un tiers de l’établir dans le but de le publier en son nom propre, ou encore celle qui se fait passer pour son auteur et en assume la responsabilité. En l’espèce, le recourant s’est limité à recevoir l’écrit litigieux et à le publier, de sorte que son rôle ne tombe sous aucun des cas de figure précités.
- Absence d’identification du prévenu ou impossibilité de le traduire en Suisse devant un tribunal (art. 28 al. 2 CP): comme mentionné plus haut, pour que l’art. 322bis CP s’applique, l’auteur principal ne doit pas avoir été identifié ou il doit être impossible de le traduire en Suisse devant un tribunal. En l’espèce, les autorités de poursuite n’ont pas été en mesure d’identifier l’auteur de l’article diffamatoire. Les griefs du recourant par lesquels il reproche aux autorités de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires à cet effet (notamment: demander à l’hébergeur du blog online de dévoiler l’identité de l’auteur) sont sans pertinence dès lors que le recourant ne se souvenait pas s’il avait reçu l’article par courriel ou par courrier.
Les conditions préalables à l’application de l’art. 322bis CP étant réalisées, il s’agit de déterminer si les éléments constitutifs de cette infraction sont également remplis.
La personne prévenue de l’infraction prévue à l’art. 322bis CP doit être le responsable rédactionnel ou la personne responsable de la publication (art. 322bis cum art. 28 al. 2 CP). Le rédacteur est la personne disposant du pouvoir de décision sur la sélection des contenus destinés à être publiés et assumant la responsabilité pour ceux-ci. La personne responsable de la publication est en revanche celle qui peut effectivement exercer une surveillance sur la publication et a le pouvoir d’intervenir si besoin. En l’espèce, le Tribunal fédéral considère que le recourant doit être qualifié de rédacteur responsable de son blog online puisqu’il décide des articles à publier.
Finalement, le comportement incriminé par l’art. 322bis CP consiste dans le fait de ne pas s’opposer à la publication constituant une infraction. Il suffit que le prévenu n’ait pas pris les mesures appropriées à cet égard. Dans le cas particulier, le recourant a publié l’article litigieux sur son blog online après une simple lecture, sans consulter l’arrêt à l’origine de l’article. Ce faisant, il a failli à son obligation d’agir en empêchant la publication de l’article et a ainsi adopté le comportement visé par l’infraction.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Tribunal fédéral confirme la condamnation du recourant et rejette son recours.
Proposition de citation : Simone Schürch, La publication d’un article diffamatoire rédigé par un tiers en tant qu’acte pénalement répréhensible, in: https://lawinside.ch/1525/
Trackbacks (rétroliens) & Pingbacks
[…] Siehe zu diesem Urteil auch die kurze Besprechung des Falles von Simone Schürch auf dem Portal LawInside mit dem Titel «La publication d’un article diffamatoire rédigé par un tiers en tant qu’acte pénalement répr…«. […]
Les commentaires sont désactivés.