Modification du nom de famille pour un double nom après le mariage (art. 30 al. 1 et art. 160 CC)

TF, 07.06.2023, 5A_143/2023

L’art. 30 al. 1 CC autorise le changement de nom en cas de motifs légitimes. Le nouveau nom doit toutefois être conforme au droit. Le droit actuel n’autorise pas les doubles noms (cf. art. 160 CC). Partant, l’art. 30 al. 1 CC ne permet pas de prendre un double nom après le mariage. Il n’y a pas lieu d’examiner les motifs légitimes prévus à l’art. 30 al. 1 CC.

Faits

Au début de l’année 2015, une ressortissante binationale française et suisse adresse une requête à la Direction de l’état civil tendant à l’autorisation de changer de nom au moment de la célébration prochaine de son mariage en application de l’art. 30 al. 1 CC. Elle souhaite porter son nom de famille ainsi que celui de son futur époux. L’autorité l’informe que depuis l’entrée en vigueur du nouveau droit du nom le 1er janvier 2013, il n’est plus possible de porter un double nom à la suite du mariage.

Quelques mois plus tard, la requérante se marie en Suisse avec un ressortissant binational grec et suisse. Ils choisissent de porter en commun le nom de célibataire du mari.

Fin 2015, l’intéressée adresse une demande similaire à celle précédant son mariage à la Direction de l’état civil. Elle soutient que le nom commun, choisi en raison de convictions personnelles, est problématique pour elle dans sa vie professionnelle. Elle invoque également la binationalité des deux époux en tant que motif légitime (art. 30 al. 1 CC). L’autorité l’informe que le nom de famille composé n’est plus admis par le droit suisse (art. 160 CC). Elle lui indique qu’il n’est pas possible de détourner cette volonté du législateur par un changement de nom selon l’art. 30 al. 1 CC.

La requérante maintient sa demande. Le Département compétent la rejette. A sa suite, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après : CDAP) rejette son recours.

En 2021, la requérante forme une nouvelle demande en ce sens à la Direction de l’état civil. Elle reprend la plupart des motifs déjà invoqués. Néanmoins, elle accompagne sa demande d’un avis de droit et précise qu’elle utilise le double nom depuis plus de six ans. Le Département compétent rejette sa demande et la CDAP rejette son recours.

L’intéressée interjette alors un recours en matière de droit civil au Tribunal fédéral qui doit déterminer si sa demande de changement de nom est conforme au droit, singulièrement aux articles 30 et 160 CC.

Droit

A titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle que le droit actuellement en vigueur prévoit que chacun des époux conserve en principe son nom (art. 160 al. 1 CC). Les époux peuvent également choisir de porter le nom de célibataire de l’un ou de l’autre (art. 160 al. 2 CC). Le Tribunal fédéral ajoute que l’art. 30 al. 1 CC autorise le changement de nom s’il existe des motifs légitimes. Il précise que cet article ne doit toutefois pas permettre de contourner le principe d’immutabilité du nom, ainsi que sa fonction identificatrice. De plus, le nom doit être conforme au droit. Le juge procède à un examen attentif des circonstances concrètes, à l’appui de différents éléments de preuve. Il possède un pouvoir d’appréciation que le Tribunal fédéral revoit avec réserve.

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral relève qu’un pseudonyme officialisé peut être autorisé en cas de motifs légitimes. La requérante doit démontrer que le pseudonyme a une importance objective dans sa vie économique et sociale. Le Tribunal fédéral précise que ce procédé ne doit néanmoins pas aboutir à une dénomination non-admise par le droit actuel. En effet, contrairement à ce que soutient la recourante, sa demande de modification ne s’analyse pas uniquement à l’aune des motifs légitimes (art. 30 al. 1 CC). Le changement de nom doit également respecter le droit actuel (cf. art. 160 CC). Le Tribunal fédéral constate que la CDAP a relevé à juste titre que la volonté du législateur de supprimer les doubles noms était claire. Partant, le Tribunal fédéral retient qu’il s’agit en l’espèce d’une utilisation de l’art. 30 al. 1 CC à des fins détournées.

Dans un deuxième temps, le Tribunal fédéral relève que la jurisprudence (ATF 145 III 49 et l’arrêt 5A_336/2020) invoquée par la recourante n’est pas pertinente dans le cas d’espèce. En effet, il s’agissait d’affaires concernant des enfants souhaitant prendre le nom de leur père et de leur mère pour des motifs légitimes après de très nombreuses années. En l’espèce, le changement de nom est une conséquence directe de son mariage, situation dans laquelle le législateur a volontairement supprimé les doubles noms.

Dans un troisième temps, le Tribunal fédéral relève que l’initiative parlementaire déposée le 15 décembre 2017 par le Conseiller national Luzi Stamm (reprise par la suite par le Conseiller national Bruno Walliser), et visant à la réintroduction du double nom en cas de mariage (initiative « Stamm/Walliser » n° 17.523) est sans pertinence dans le cas d’espèce. De plus, ladite initiative atteste bien que le droit actuel ne permet pas le port du double nom formé par les deux noms de célibataire des époux.

Finalement, le Tribunal fédéral s’interroge au sujet de la bonne foi procédurale. La demande (2021) de la recourante reprend la plupart des motifs de la première (2015). Le Tribunal fédéral ne tranche pas à ce sujet mais constate cependant que la recourante tente par tous les moyens de remettre en cause une décision entrée en force. De plus, il relève que la recourante n’a délibérément pas attaqué le premier refus (en 2015) devant le Tribunal fédéral. Par conséquent, elle ne pouvait ignorer que le double nom était contraire au droit. Le Tribunal fédéral estime qu’un tel comportement n’est pas admissible et ne saurait être protégé.

Avant de conclure, le Tribunal fédéral constate que les critiques de la recourante concernant l’égalité de traitement et l’interdiction des discriminations ne sont pas suffisamment fondées (art. 8 al. 1 et art. 2 Cst). Partant, il rejette ces griefs.

Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral rejette le recours.

 

Proposition de citation : Margaux Collaud, Modification du nom de famille pour un double nom après le mariage (art. 30 al. 1 et art. 160 CC), in: https://lawinside.ch/1344/