La constitutionnalité de la suppression des bonus des cadres de Credit Suisse
Les mesures prises en matière de rémunération sur la base de l’art. 10a al. 1 et 2 LB ne peuvent s’étendre au-delà de la durée de l’aide financière de la Confédération.
Faits
Le 19 mars 2023, la Confédération et UBS annoncent le rachat de Credit Suisse par cette dernière. Cette annonce est accompagnée d’une modification de l’Ordonnance du Conseil fédéral du 16 mars 2023 sur les prêts d’aide supplémentaires sous forme de liquidités et l’octroi par la Confédération de garanties du risque de défaillance pour les prêts d’aide sous forme de liquidités de la Banque nationale suisse à des banques d’importance systémique. L’art. 10 al. 2 de l’ordonnance confère la compétence au Département fédéral des finances (DFF) de rendre une décision portant sur des mesures liées à la rémunération conformément à l’art. 10a LB.
Par décision du 23 mai 2023, le DFF prend une série de mesures au sujet des rémunérations variables promises jusqu’à la fin de l’année 2022 et qui n’avaient pas encore été payées le 21 mars 2023. Les rémunérations variables des membres de l’Executive Board doivent être réduites de 100%, celles des cadres de l’échelon inférieur à l’Executive Board de 50% et celles des cadres de deux échelons inférieurs à l’Executive Board de 25%. En outre, aucune rémunération variable ne devrait plus être versée à compter du 18 avril 2023.
Le 29 juin 2023, plusieurs cadres visés par la décision forment un recours contre la décision du DFF auprès du Tribunal administratif fédéral. Ce dernier doit déterminer si les cadres de Credit Suisse ont la qualité pour recourir contre une décision dirigée contre Credit Suisse (1) et déterminer si l’art. 10a LB permet au DFF de réduire, respectivement supprimer des rémunérations variables pour une durée allant au-delà de la durée de l’aide étatique (2).
Droit
Le destinataire de la décision attaquée est Credit Suisse, respectivement UBS à compter du rachat de Credit Suisse par cette dernière. En tant que tiers, les cadres n’ont la qualité pour recourir que s’ils démontrent être spécialement atteints par la décision attaquée et avoir un intérêt propre et direct à son annulation.
Les rémunérations variables supprimées par la décision du DFF constituent des prétentions contractuelles, lesquelles sont protégées par la garantie de la propriété (art. 26 Cst.). Partant, la décision du DFF porte une atteinte directe aux intérêts patrimoniaux constitutionnellement protégés des recourants. Pour ce motif, les recourants disposent bien d’un intérêt propre et direct à l’annulation de la décision. Il est à cet égard indifférent que la décision affecte un nombre important de personnes. Le cercle des justiciables directement atteint peut être aisément délimité. De plus, les mesures prévues par la décision du DFF atteignent gravement les droits constitutionnels des recourants. Pour ces motifs, le recours est recevable.
S’agissant du fond, le TAF doit déterminer si la suppression totale ou partielle des rémunérations variables se fonde sur une base légale suffisante. Les créances contractuelles sont protégées par la garantie de la propriété (art. 26 Cst.). Leur suppression totale ou partielle constitue donc une atteinte à l’art. 26 Cst. En l’espèce, les suppressions pouvant entrainer des pertes pour les justiciables allant de milliers à des centaines de milliers de francs, l’atteinte doit être qualifiée de grave.
Selon l’art. 36 al. 1 Cst., les atteintes graves doivent être fondées sur une base légale au sens formel. Il doit donc être déterminé si le DFF pouvait valablement se fonder sur l’art. 10a al. 1 LB respectivement sur l’art. 10a al. 2 LB pour réduire respectivement supprimer des rémunérations variables pour une durée supérieure à celle de l’aide étatique.
Selon l’art. 10a al. 1 LB, les mesures en matière de rémunération ne peuvent être ordonnées que pour « toute la période durant laquelle le soutien est accordé ». Or, en l’espèce, le soutien financier de la Confédération a pris fin, au plus tard, le 11 août 2023. Pour ce motif, et contrairement à ce que prévoit la décision du DFF, les mesures limitant ou supprimant la rémunération variable des cadres de Credit Suisse ne peuvent s’étendre au-delà de cette date. Toute autre interprétation contredirait par ailleurs la lettre claire de la loi. En conséquence, l’art. 10a al. 1 LB ne constitue pas une base légale permettant de prendre des mesures vis-à-vis des rémunérations variables allant au-delà de la durée de l’aide. Il est à cet égard indifférent que l’art. 10a al. 2 LB ne prévoie pas explicitement que les mesures ne peuvent être prises que pour la période durant laquelle le soutien est accordé. Le fait que l’art. 10a al. 2 LB contienne une liste non-exhaustive de mesures ne permet pas de prolonger celles-ci au delà de la période fixée à l’art. 10a al. 1 LB.
Partant, le Tribunal administratif fédéral admet le recours.
Note (par Émilie Jacot-Guillarmod)
Cet arrêt n’est pas définitif, car un recours a été formé auprès du Tribunal fédéral.
La rémunération des cadres de banques, en particulier dans un contexte d’aides d’État et de débâcles d’établissements too big to fail, fait polémique depuis longtemps. De lege ferenda, le Conseil fédéral propose de renforcer les bases légales relatives aux rémunérations des dirigeants et d’obliger les banques d’importance systémique à instaurer des périodes de blocage et des clauses de claw-back efficaces.
La responsabilité managériale constitue un enjeu distinct mais complémentaire. Dans le cas d’espèce, la réduction litigieuse des bonus n’était pas liée à une responsabilité concrète des cadres concernés dans la débâcle de Credit Suisse : le DFF n’a d’ailleurs pas examiné si les recourants avaient effectivement contribué à la prise de risques excessifs par la banque. Sur ce volet, la révision proposée par le Conseil fédéral introduit un nouveau Senior Managers Regime visant à préciser les devoirs de diligence et de surveillance des dirigeants. Dans ce cadre, les bonus pourraient également être remis en cause : la FINMA a indiqué qu’une violation de ces devoirs pourrait être sanctionnée par la banque par une réduction de la rémunération variable.
Les autorités fédérales ont récemment connu un second revers devant le TAF dans la gestion de la crise de Credit Suisse : dans l’arrêt B‑2334/2023 (01.10.2025), le tribunal a jugé que l’amortissement des instruments de capital AT1 ordonné par la FINMA était dépourvu de base légale. Dans ce nouvel arrêt comme dans celui résumé ici, le TAF souligne ainsi l’importance du principe de légalité, y compris dans un contexte de gestion de crise bancaire.
L’arrêt du TAF B‑2334/2023 sera prochainement résumé sur LawInside.
Proposition de citation : Simon Pfefferlé and Emilie Jacot-Guillarmod, La constitutionnalité de la suppression des bonus des cadres de Credit Suisse, in: https://lawinside.ch/1638/






