L’expulsion inadmissible d’un ressortissant étranger vers un [quelconque] pays tiers

ATF 149 IV 231 | TF, 06.03.2023, 6B_627/2022*

Le Tribunal fédéral annule l’expulsion d’un ressortissant tibétain, prononcée «vers un Etat tiers, à l’exception de la République populaire de Chine». Une telle expulsion est contraire au droit fédéral, dès lors qu’il n’a pas été établi que l’intéressé disposait effectivement d’un droit de séjour dans un autre Etat.

Faits

Un ressortissant tibétain, arrivé en Suisse à l’âge de douze ans avec sa famille, est au bénéfice d’un permis F, soit d’une admission provisoire en qualité de réfugié à qui l’asile n’a pas été accordé.

Par jugement du 19 mai 2021, le Tribunal correctionnel de l’arrondissement de Lausanne le condamne, notamment pour agression et brigandage, à une peine privative de liberté et à une amende. Il renonce cependant à prononcer son expulsion (art. 66a al. 2 CP). Sur appel du Ministère public vaudois, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois prononce l’expulsion du condamné pour une durée de huit ans, vers un pays tiers, à l’exception de la République populaire de Chine.

Le condamné exerce un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral, lequel doit déterminer si cette expulsion est possible.

Droit

Le Tribunal fédéral rappelle que les obstacles à l’expulsion, au sens de l’art. 66d al. 1 CP, doivent être pris en compte au moment du prononcé de l’expulsion, si ces circonstances sont stables et déterminables de manière définitive.

Le recourant n’étant pas un réfugié, il invoque l’art. 66d al. 1 lit. b CP, fondé sur le principe de non-refoulement vers un Etat dans lequel une personne risque la torture ou tout autre traitement ou peines cruels, inhumains ou dégradants (en particulier, art. 25 al. 3 Cst et art. 3 CEDH).

Le Tribunal cantonal vaudois a admis qu’en cas d’expulsion vers la République populaire de Chine, le recourant risquait de subir des traitements inhumains ou dégradants compte tenu de son ethnie tibétaine. En particulier, le recourant a produit des pièces selon lesquelles une cinquantaine d’expert·e·s indépendant·e·s des droits humains des Nations Unies critiquaient la Chine, notamment concernant la répression exercée à l’encontre des minorités ethniques et religieuses au Tibet. La jurisprudence du Tribunal administratif fédéral s’oppose aussi au renvoi d’une personne d’ethnie tibétaine vers la Chine.

C’est la raison pour laquelle le Tribunal cantonal vaudois a prononcé l’expulsion vers un Etat tiers «à l’exception de la République populaire de Chine». Aux yeux du Tribunal fédéral, cette décision suit une approche abstraite. En tant qu’il prononce l’expulsion, un jugement ne peut pas se fonder sur des suppositions. Il n’est pas possible, sur la base du jugement cantonal, de déterminer si le recourant, ressortissant de la République populaire de Chine, pourrait s’établir dans un autre pays du monde.

Le Tribunal cantonal avait bien conscience de cela, puisqu’il avait lui-même constaté que le recourant n’avait pas de lien avec un autre pays que son pays d’origine et la Suisse. En effet, il parlait le tibétain avec sa famille, n’avait pas de connaissances en mandarin et ne disposait pas d’un passeport de la République populaire de Chine.

Le Tribunal fédéral relève en sus qu’une telle approche reviendrait à admettre qu’une expulsion serait toujours possible en cas de risque de traitements inhumains ou dégradants, par le simple fait d’expulser la personne condamnée vers tout autre pays que ceux où elle y serait exposée.

Il est vrai que, concernant les personnes tibétaines, le Conseil fédéral a spécifié dans sa réponse à une interpellation parlementaire de 2017 (réponse du 15 novembre 2017 du Conseil fédéral concernant l’interpellation 17.3917 de la Conseillère nationale Barbara Gysi – Sécurité des procédures liées au renvoi des requérants d’asile tibétains déboutés) qu’elles pouvaient être renvoyées dans un «Etat tiers». Cette notion doit néanmoins se comprendre à la lumière du droit des étrangers (en particulier, art. 83 al. 1 et 2 LEI), ce qui suppose que la personne dispose d’un droit de séjour dans l’Etat de renvoi.

Partant, l’instance inférieure a violé le droit fédéral en prononçant l’expulsion «vers un pays tiers, à l’exclusion de la République populaire de Chine». Le Tribunal fédéral réforme donc l’arrêt cantonal en ce sens qu’il est renoncé au prononcé de l’expulsion, et renvoie la cause à la Cour cantonale pour qu’elle statue sur les frais et dépens cantonaux.

 

Proposition de citation : Camille de Salis, L’expulsion inadmissible d’un ressortissant étranger vers un [quelconque] pays tiers, in: https://lawinside.ch/1293/