Le « but de service public » justifiant une exonération fiscale
ATF 146 II 359 | TF, 22.07.2020, 2C_1050/2019*
Pour déterminer si une école privée poursuit un but de service public donnant droit à l’exonération fiscale (art. 56 let. g LIFD et art. 23 al. 1 let. f LHID), il convient de prendre en compte, dans une évaluation d’ensemble, les critères développés par la Conférence suisse des impôts (soit notamment la durée de formation offerte par l’école, le plan d’enseignement, le montant de l’écolage, et les éventuelles aides aux élèves en situation de handicap ou ayant des difficultés scolaires).
Faits
L’Administration fiscale genevoise refuse d’exonérer fiscalement une école privée, bien que celle-ci prétende poursuivre un but de service public. L’école recourt contre cette décision. Elle obtient partiellement gain de cause en première instance, mais la seconde instance renverse ce jugement et lui refuse toute exonération fiscale.
Sur recours de l’école, le Tribunal fédéral est appelé à préciser les conditions de l’exonération fiscale en raison d’un but de service public ou d’utilité publique. Il s’agit en particulier de déterminer dans quelles circonstances une école privée poursuit un but de service public au sens du droit fiscal.
Droit
Pour bénéficier d’une exonération fiscale en raison d’un but de service public ou d’utilité publique (art. 56 let. g LIFD et art. 23 al. 1 let. f LHID), une institution doit remplir les trois conditions cumulatives suivantes : (1) déployer effectivement une activité conforme à ses statuts, (2) utiliser ses fonds exclusivement au profit de l’utilité publique ou du bien commun, et (3) consacrer ses fonds à ce but de façon permanente. Elle doit en outre (4) poursuivre un but de service public ou de pure utilité publique.
En l’espèce, la réalisation des trois premières conditions n’est pas litigieuse. Il s’agit uniquement de déterminer si, comme elle le soutient, la recourante poursuit un but de service public.
À teneur de jurisprudence, l’exonération fondée sur un but de service public constitue une exception, ce pourquoi la notion de service public doit être interprétée de manière restrictive. L’exonération est en principe exclue lorsque les buts de l’institution sont principalement lucratifs ou d’assistance mutuelle, même s’ils servent également l’intérêt public.
La Conférence suisse des impôts a développé des critères pour déterminer si une école privée peut être exonérée fiscalement en vertu des art. 56 let. g LIFD et art. 23 al. 1 let. f LHID (Exonération fiscale des personnes morales qui poursuivent des buts de service public, d’utilité publique ou des buts cultuels – Informations pratiques à l’intention des administrations fiscales cantonales, 18 janvier 2008, p. 6 ss). Elle suggère notamment d’examiner si l’école offre une formation scolaire complète, si son plan d’enseignement est reconnu et si son organisation (direction, locaux, matériel à la disposition des élèves, etc.) est semblable à celle d’une école publique, ainsi que de prendre en compte le milieu socio-économique des élèves et les éventuelles aides aux élèves en difficulté scolaire ou en situation de handicap. Ces recommandations ne lient pas le Tribunal fédéral. Celui-ci juge néanmoins utile de les prendre en considération dans une approche globale, chacun de ces éléments ne constituant qu’un indice quant à la poursuite d’un but de service public par l’institution.
En l’espèce, la recourante offre une formation uniquement jusqu’à la fin de l’école primaire, non une formation scolaire complète. Elle ne suit pas le plan d’études romand. Au regard du montant de son écolage, supérieur à 22’000 francs par année, seuls des enfants issus de milieux privilégiés peuvent y accéder. L’école ne prétend au demeurant pas offrir une prise en charge particulière pour les élèves en difficulté scolaire ou en situation de handicap. Enfin, elle a accumulé des bénéfices, ce qui tend à indiquer qu’elle est gérée comme une entreprise commerciale. Au vu de ces éléments pris dans leur ensemble, la recourante ne poursuit pas un but d’utilité publique.
C’est ainsi à bon droit que l’instance précédente a refusé d’exonérer l’école de l’impôt. Le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, Le « but de service public » justifiant une exonération fiscale, in: https://lawinside.ch/962/