La durée d’une détention pour des motifs de sûreté
ATF 146 IV 279 | TF, 6.06.2020, 1B_292/2020*
En principe, la détention pour des motifs de sûreté faisant suite à une détention provisoire ne peut être ordonnée que pour trois mois au maximum (art. 229 al. 3 let. b CPP cum art. 227 al. 7 CPP). La situation actuelle liée au coronavirus ne modifie pas ce principe, et ce même si l’affaire relève de la compétence d’un tribunal collégial. Cette durée de trois mois se compte à partir de la notification de l’acte d’accusation au tribunal de première instance et non à partir de la décision de prolongation de la détention du tribunal des mesures de contrainte.
Faits
Un prévenu est soupçonné d’avoir commis des dommages à la propriété, diverses infractions à la loi sur les stupéfiants ainsi qu’une tentative de brigandage. Le Tribunal des mesures de contrainte zurichois ordonne sa détention provisoire puis la prolongation de celle-ci. Peu après, il met le prévenu en détention pour des motifs de sûreté, et ce pour une durée de six mois. Le Tribunal précise que cette durée se justifie au vu de la situation actuelle liée au coronavirus. En effet, dès lors qu’il s’agirait d’un cas relevant de la compétence d’un tribunal collégial, les débats de première instance ne pourraient pas raisonnablement se terminer dans un délai de trois mois.
Sur recours du prévenu, l’Obergericht du canton de Zurich confirme cette décision, précisant que le prévenu constitue un danger pour les tiers et que le motif de détention sera encore présent au-delà du délai de trois mois. Le prévenu saisit le Tribunal fédéral, lequel est amené à déterminer quelle est la durée de la détention pour des motifs de sûreté en question et à partir de quel moment il convient de calculer cette durée.
Droit
Le Tribunal fédéral rappelle d’abord la teneur de l’art. 220 CPP, selon lequel la détention provisoire commence au moment où le tribunal des mesures de contrainte l’ordonne et s’achève notamment lorsque l’acte d’accusation est notifié au tribunal de première instance (al. 1), alors que la détention pour des motifs de sûreté commence lorsque l’acte d’accusation est notifié au tribunal de première instance et s’achève quand le jugement entre en force (al. 2).
S’agissant de la détention pour des motifs de sûreté, l’art. 229 al. 3 let. b CPP énonce que l’art. 227 CPP est applicable à la procédure devant le tribunal des mesures de contrainte lorsqu’il y a eu détention préalable. Selon l’art. 227 al. 7 CPP, la détention provisoire peut être prolongée plusieurs fois, chaque fois de trois mois au plus et, dans des cas exceptionnels, de six mois au plus.
Selon le Tribunal fédéral, il y a cas exceptionnel au sens de l’art. 227 al. 7 CPP lorsqu’il est prévisible que le motif de détention sera aussi donné après plus de trois mois de détention ou lorsqu’il n’est pas possible de terminer l’instruction dans ce délai. En revanche, s’agissant de la détention pour des motifs de sûreté, le Tribunal fédéral précise qu’il ne peut pas s’agir d’un cas exceptionnel lorsque le tribunal de première instance peut fixer les débats et y procéder durant les trois premiers mois de détention pour des motifs de sûreté. En effet, une solution inverse violerait le principe de la célérité (art. 5 al. 2 CPP). Néanmoins, s’il s’avère que l’affaire est particulièrement complexe et que le tribunal ne peut pas fixer les débats durant ces trois mois, une détention pour des motifs de sûretés peut être prononcée pour six mois.
En l’espèce, les infractions reprochées au prévenu ne constituent pas un cas complexe. Ainsi, le tribunal de première instance se doit de respecter le délai de trois mois pour fixer les débats.
Le Tribunal fédéral souligne que le fait qu’il s’agisse d’un cas relevant de la compétence d’un tribunal collégial ne change rien. En effet, la situation actuelle liée au coronavirus n’empêche pas la tenue des débats dans un délai de trois mois, dès lors que les juges peuvent étudier les actes pertinents et préparer les débats en télétravail. Partant, la détention pour motifs de sûreté ne peut être autorisée que pour trois mois au maximum.
Le Tribunal fédéral précise encore que les durées de trois et six mois de l’art. 227 al. 7 CPP se calculent à partir de l’écoulement de la durée de la détention provisoire initialement fixée par le tribunal des mesures de contrainte, et non pas à partir de la décision de prolongation de la détention provisoire au sens de l’art. 227 al. 5 CPP. Cette solution se justifie d’autant plus qu’une détention constitue une atteinte à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et nécessite ainsi une base légale claire. Or, il n’existe précisément aucune base légale permettant de faire courir les délais de l’art. 227 al. 7 CPP à partir de la décision du tribunal des mesures de contrainte au sens de l’art. 227 al. 5 CPP. De par le renvoi de l’art. 229 al. 3 CPP à l’art. 227 CPP, il en va de même s’agissant de la détention pour des motifs de sûreté lorsqu’il y a eu détention provisoire préalable. Ainsi, les durées de l’art. 227 al. 7 CPP doivent se calculer à partir de la notification de l’acte d’accusation au tribunal de première instance, car c’est à cet instant que la détention provisoire prend fin et que commence la détention pour des motifs de sûreté (art. 220 CPP).
Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.
Proposition de citation : Vinciane Farquet, La durée d’une détention pour des motifs de sûreté, in: https://lawinside.ch/956/