Les conséquences d’un cumul d’actions prohibé par la loi

TF, 07.04.2020, 4A_522/2019

Lorsqu’un cumul d’actions ne respecte pas les conditions prévues à l’art. 90 CPC, le tribunal peut disjoindre les causes (art. 125 let. b CPC).

Faits

Une employée ouvre action devant le Tribunal des prud’hommes du canton de Genève contre la société qui l’employait. Elle prend des conclusions à hauteur de CHF 538’157, dont CHF 21’285 à titre d’indemnité pour violation de la loi sur l’égalité.

La société soulève l’exception d’irrecevabilité. En effet, la procédure simplifiée s’appliquerait indépendamment de la valeur litigieuse dès lors que le litige relève de la loi sur l’égalité (art. 243 al. 2 let. a CPC). La demande cumulerait ainsi une action soumise à la procédure simplifiée et une autre action soumise à la procédure ordinaire. Or un pareil cumul serait prohibé selon l’art. 90 let. b CPC.

Son exception est rejetée tant par le Tribunal que par la Cour de justice.

Saisi par la société, le Tribunal fédéral en profite pour préciser les conséquences d’un cumul d’actions contraire à l’art. 90 let. b CPC.

Droit

L’art. 93 al. 1 let. b LTF prévoit que les décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément peuvent faire l’objet d’un recours si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

En l’espèce, la société recourante prétend que l’admission de son recours entraînerait l’irrecevabilité de la demande de l’employée et mettrait ainsi fin au procès, ce qui conduirait immédiatement à une décision finale au sens de l’art. 93 al. 1 let. b LTF.

Le Tribunal fédéral doit ainsi examiner les conséquences d’un cumul d’actions contraire à l’art. 90 CPC.

L’art. 90 let. b CPC prévoit que le demandeur peut réunir dans la même action plusieurs prétentions contre le même défendeur pour autant qu’elles soient soumises à la même procédure.

Certaines contributions doctrinales considèrent que le tribunal doit rendre un jugement d’irrecevabilité complète de la demande en justice lorsqu’il y a un cumul d’actions prohibé par l’art. 90 CPC. Le Tribunal fédéral souligne néanmoins que ces auteurs n’expliquent pas pourquoi une solution « moins rigoureuse » n’est pas envisagée. D’autres auteurs, plus nombreux, se prononcent en faveur d’une irrecevabilité partielle de la demande en justice. Ainsi, le tribunal devrait uniquement juger irrecevables les conclusions qui ne ressortent pas de sa compétence. Lorsque le cumul d’actions respecte l’art. 90 CPC, mais qu’il est inopportun, certains auteurs plaident que le tribunal peut alors disjoindre d’office les causes en application de l’art. 125 let. b CPC.

Le Tribunal fédéral relève qu’aucune contribution doctrinale n’explique pourquoi la disjonction des actions ne pourrait pas également s’appliquer lorsqu’il y a un cumul d’actions prohibé par l’art. 90 CPC, alors qu’une telle solution semble adéquate et respecte l’interdiction du formalisme excessif (art. 29 al. 1 Cst.). En tout état de cause, un jugement d’irrecevabilité totale, comme semble l’invoquer la société recourante, équivaudrait à du formalisme excessif.

Dès lors que l’admission du recours ne conduirait pas immédiatement à une décision finale au sens de l’art. 93 al. 1 let. b LTF, le recours de la société est irrecevable.

Note

Malgré le fait que cet arrêt ne soit pas destiné à la publication, il est à nos yeux important. En effet, après avoir examiné méticuleusement la doctrine, le Tribunal fédéral propose une solution qui n’était envisagée par aucune contribution doctrinale. Partant, lorsqu’un cumul d’actions ne respecte pas les conditions prévues à l’art. 90 CPC, le tribunal pourrait devoir disjoindre les causes (art. 125 let. b CPC) afin de ne pas tomber dans le formalisme excessif (art. 29 al. 1 Cst.). L’irrecevabilité totale semble désormais être exclue par le Tribunal fédéral pour cause de formalisme excessif.

En l’espèce, le Tribunal fédéral relève expressément qu’une telle disjonction est possible puisque le tribunal des prud’hommes du canton de Genève est compétent pour connaître les deux causes litigieuses.

 

Proposition de citation : Célian Hirsch, Les conséquences d’un cumul d’actions prohibé par la loi, in: https://lawinside.ch/907/