Le grief formulé dans l’intérêt d’un tiers en assistance administrative en matière fiscale
Un recours ne peut être formé au nom ou dans l’intérêt d’un tiers. Dans le cadre de l’assistance administrative en matière fiscale, cela signifie que le recourant (en sa qualité de personne concernée) ne saurait solliciter que des tiers matériellement concernés par la procédure d’assistance soient informés de ladite procédure.
Faits
L’autorité fiscale russe adresse à l’Administration fédérale des contributions (AFC) une demande d’assistance administrative en vue d’évaluer la situation fiscale du contribuable visé. Elle sollicite en particulier la remise d’informations détenues par une banque en Suisse.
L’AFC accorde l’assistance administrative. Des données relatives à des tiers figurent sur la documentation bancaire faisant l’objet de l’échange de renseignements.
Contre cette décision, le contribuable forme un recours au Tribunal administratif fédéral. Celui-ci est en particulier amené à se prononcer sur la question du caviardage de l’identité des personnes figurant sur les listes des transactions bancaires, respectivement sur l’obligation de l’AFC de notifier ces personnes de l’existence de la procédure d’assistance.
Droit
L’art. 4 al. 3 LAAF dispose que la transmission de renseignements relatifs à des personnes qui ne sont pas des personnes concernées est exclue lorsque ces renseignements ne sont pas vraisemblablement pertinents pour l’évaluation de la situation fiscale de la personne concernée.
Sur la base de cette disposition, la jurisprudence admet la transmission de noms de tiers non concernés lorsqu’elle est vraisemblablement pertinente par rapport à l’objectif fiscal poursuivi par l’État requérant (ATF 144 II 29, consid. 4.2.3, résumé in LawInside.ch/556). À l’inverse, l’État requis doit supprimer les indications relatives aux tiers lorsqu’elles sont sans incidence par rapport à la demande (cf. art. 17 al. 2 LAAF).
Au sujet de l’obligation d’informer un tiers de l’existence de la procédure, le Tribunal administratif fédéral rappelle sa jurisprudence récente du 3 septembre 2019, A-5715/2018 (résumé in LawInside.ch/817), dans laquelle il avait tranché qu’un tiers (matériellement concerné) doit être informé de l’existence de la procédure aussitôt que des données le concernant seront transmises à l’État étranger en raison de leur caractère pertinent au regard de l’art. 4 al. 3 LAAF (cf. art. 14 al. 2 et 19 al. 2 LAAF).
En l’occurrence, le Tribunal administratif fédéral estime que les noms des différentes personnes qui apparaissent sur les listes de transactions sont des informations aptes à déterminer la nature des revenus perçus par le contribuable visé. Ces données permettent également aux autorités russes de se prononcer sur la résidence fiscale du contribuable. Elles sont donc pertinentes au regard de l’art. 4 al. 3 LAAF et peuvent être transmises sans caviardage à la Russie.
Étant donné que l’identité de ces personnes tierces est remise sans caviardage à l’État étranger, se pose alors la question de savoir si celles-ci doivent être informées de l’existence de la procédure d’assistance en leur qualité de personnes matériellement concernées, respectivement habilitées à recourir (cf. art. 14 al. 2 et 19 al. 2 LAAF).
Dans l’arrêt ici résumé, le Tribunal administratif fédéral indique que sa jurisprudence A-5715/2018 (arrêt résumé in LawInside.ch/817) doit être remise dans son contexte, à savoir qu’il s’agissait d’un recours déposé par le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence dont le rôle est précisément de défendre des tiers. Dans le cas présent, le Tribunal administratif fédéral estime que le recours déposé par le contribuable est formé dans l’intérêt des tiers, ce qui ne saurait être admis (cf. ATF 139 II 404, consid. 11). Dans le cadre de l’assistance administrative, le contribuable concerné ne saurait donc requérir que les tiers matériellement concernés par la procédure d’assistance soient informés de l’existence de la procédure.
Par conséquent, le Tribunal administratif fédéral n’entre pas en matière sur le grief relatif au devoir d’informer les tiers concernés.
Partant, le recours est rejeté.
Note
L’arrêt résumé ici tranche que la personne formellement concernée par la demande d’assistance administrative ne saurait plaider la violation des garanties procédurales accordées aux tiers. La personne concernée n’invoquerait pas un grief lié à son intérêt propre, mais à l’intérêt d’autrui, c’est-à-dire celui du tiers. Faute d’intérêt propre, la personne formellement visée ne semblerait donc pas pouvoir se plaindre de la décision en raison de la violation de ces garanties procédurales, ou encore solliciter le caviardage ou que les tiers matériellement concernés soient informés de l’existence de la procédure.
La jurisprudence fédérale semble diverger à cet égard. En effet, les tribunaux se saisissent parfois sans réserve de la question des garanties accordées aux tiers, alors même que ces garanties sont défendues par la personne formellement concernée (cf. ATF 144 II 29, résumé in LawInside.ch/556 ; TAF, 11.09.2019, A-1538/2018). À l’inverse, il est arrivé au Tribunal fédéral, dans un ATF 139 II 404 sur lequel l’arrêt résumé ici se fonde, de ne pas entrer en matière sur ces griefs au motif qu’ils sont liés à l’intérêt d’un tiers.
De l’avis de l’auteur du présent résumé, dénier un intérêt à la personne visée à invoquer ces griefs revient à confondre la qualité pour recourir des moyens invocables. En procédure administrative, le recourant qui dispose de la qualité pour recourir contre une décision est en droit d’invoquer l’ensemble des griefs dont il peut tirer un avantage pratique, peu importe si le moyen le concerne personnellement et directement (cf. ATF 137 II 30, consid. 2.3). La personne visée par la demande d’assistance a un intérêt digne de protection à contester la décision dont elle fait l’objet. Elle est alors en droit de plaider la nullité ou l’annulabilité de la décision au motif que les droits procéduraux d’un tiers ont été violés, étant donné que l’admission de ce grief lui procure un avantage pratique : la nullité ou l’annulation de la décision.
Par ailleurs, dans la mesure où les tiers qualifiés de personnes habilités à recourir ne sont – comme c’est le cas ici – à tort pas informés par l’AFC de l’existence de la procédure, reconnaître à la personne visée la faculté d’invoquer des moyens relatifs aux droits procéduraux de ces tiers est l’unique moyen de garantir l’effectivité de ces droits qui leur sont reconnus par la jurisprudence. En effet, la violation par l’AFC de l’art. 14 al. 2 LAAF, qui lui imposait d’informer de l’existence de la procédure d’assistance administrative l’ensemble des tiers matériellement concernés, reste ici sans conséquence.
Proposition de citation : Tobias Sievert, Le grief formulé dans l’intérêt d’un tiers en assistance administrative en matière fiscale, in: https://lawinside.ch/854/