La répartition entre le bailleur et le locataire des frais liés à la désinfestation de punaises de lit
Lorsqu’un locataire ne peut pas utiliser la chose louée à cause de punaises de lit, une réduction totale du loyer peut être justifiée selon les circonstances. Dans pareille situation, la congélation des effets personnels des locataires constitue un dommage consécutif au défaut (Mangelfolgeschaden). La prise en charge des coûts de cette congélation s’apprécie non pas à la lumière des règles sur la remise en état de la chose louée mais des règles sur la réparation du dommage causé au locataire.
Faits
Un couple et leurs deux jumelles de 3 ans sont locataires d’un appartement. Ils découvrent en avril 2014 des punaises de lit. Une entreprise mandatée par la bailleresse vient procéder à la désinfestation de l’appartement les 12 et 22 mai 2014. En juin, les locataires constatent que les punaises de lit sont toujours présentes si bien que l’entreprise revient les 16 et 26 juin 2014. L’entreprise aura besoin de venir une troisième fois les 10 et 17 juillet 2014 pour venir à bout des punaises. Le 24 juillet, un rapport de détection cantine confirme l’absence de punaises. Le couple et leurs jumelles ont dû quitter le logement du 11 mai au 26 juillet 2014.
La bailleresse refusant de prendre à sa charge les frais de congélation des effets personnels du couple et de leurs jumelles et refusant de restituer les loyers versés pour la période du 11 mai au 26 juillet 2014, le couple ouvre une action en paiement contre la bailleresse.
Le Tribunal des baux et loyers genevois condamne la bailleresse à prendre à sa charge les frais de congélation des effets personnels du couple. Elle la condamne par ailleurs à restituer au couple les loyers afférents à la période pendant laquelle ils ont quitté le logement. Sur appel de la bailleresse, la Chambre d’appel des baux et loyers confirme le jugement de première instance si bien que la bailleresse saisit le Tribunal fédéral lequel est amené à déterminer les conditions auxquelles un bailleur doit prendre à sa charge les frais de congélation des effets personnels d’un locataire et si dans le cas d’espèce, pour la période du 11 mai au 26 juillet 2014, une réduction du loyer à zéro est conforme au droit.
Droit
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que la réduction du loyer est proportionnelle au défaut; elle est due à partir du moment où le bailleur a eu connaissance du défaut et jusqu’à l’élimination de ce dernier (art. 259d CO). En principe, il convient de procéder selon la méthode dite relative ou proportionnelle, telle qu’elle est pratiquée dans le contrat de vente. Cependant, le calcul proportionnel n’est pas toujours aisé. Il est alors admis qu’une appréciation en équité, par référence à l’expérience générale de la vie, au bon sens et à la casuistique, n’est pas contraire au droit fédéral.
Le Tribunal fédéral considère que les circonstances du cas d’espèce justifient d’apprécier le défaut en équité. Il estime qu’on ne pouvait attendre des époux qu’ils réintègrent l’appartement loué avant le 26 juillet 2014. D’une part, vu le degré d’infestation de l’appartement, dont toutes les pièces ainsi que la salle de bain et les WC séparés ont été contaminés, les époux auraient nécessairement subi de nombreuses piqûres, ce qui – indépendamment de savoir si les punaises véhiculent ou non des maladies infectieuses – constitue une atteinte indéniable à l’intégrité physique, voire psychique. D’autre part, les produits chimiques destinés à éradiquer les parasites constituaient un risque pour la santé des jumelles qui, à l’âge de trois ans, étaient encore susceptibles de porter fréquemment mains et objets à leur bouche et donc d’ingérer les substances nocives.
Partant, le logement était inapte à accueillir une famille alors que contractuellement, il était précisément destiné à une habitation familiale. L’appartement était donc bel et bien affecté d’un défaut grave tant par son ampleur que par sa durée et, partant, était inhabitable pendant toute la période en cause. L’arrêt de la Chambre d’appel genevoise est donc confirmé sur ce premier point.
La Chambre d’appel des baux et loyers a considéré que la congélation des effets personnels des locataires constitue une mesure destinée à supprimer la source du défaut, car elle est indispensable à l’élimination des punaises de lit. Les frais correspondants relèvent selon elle de la remise en état de la chose louée au sens de l’art. 259a al. 1 let. a CO et de l’art. 259b let. b CO si le bailleur ne remédie pas au défaut dans un délai convenable. Le Tribunal fédéral considère que c’est à juste titre que la bailleresse soutient que la réparation du dommage occasionné aux locataires doit être analysée au regard de l’art. 259e CO – qui est un cas d’application de l’art. 97 CO et donc qui soumet la réparation du dommage à l’existence d’une faute laquelle est présumée – et non de l’art. 259b CO relatif à la remise en état. En effet, les effets personnels du locataire relèvent manifestement du patrimoine de ce dernier. Il ne s’agit pas de la chose louée elle-même, seule appréhendée par l’art. 259b CO. Cette dernière disposition, qui fait abstraction de toute faute du bailleur, ne saurait donc s’appliquer au dommage subi par le locataire. Contrairement à l’avis des juges précédents, le Tribunal fédéral considère que la congélation des effets personnels des locataires ne vise pas à éliminer la source du défaut. L’infestation de ces objets est une conséquence (Mangelfolgeschaden), et non la cause du défaut. D’ailleurs, selon le Tribunal fédéral, si l’origine du défaut avait résidé dans ces effets, la responsabilité de la remise en état de la chose louée aurait incombé aux locataires.
Le recours est dès lors admis su ce point et la cause est renvoyée devant la Chambre d’appel des baux et loyers afin qu’elle examine si la bailleresse est en mesure d’apporter la preuve libératoire de l’absence de faute.
Note
Bien que non destiné à la publication, cet arrêt a été rendu à cinq juges ce qui indique qu’il s’agit d’une question importante aux yeux des juges de Mon Repos. Ceux-ci ont d’ailleurs considéré que cette cause soulevait des questions juridiques de principe (art. 74 al. 2 let. a LTF).
Le litige a porté sur un troisième poste: qui doit assumer la prise en charge de la désinfestation elle-même? Dans la mesure où la bailleresse avait avancé elle-même les frais relatifs à cette désinfestation, les époux n’avaient aucune prétention pécuniaire (condamnatoire) à faire valoir à son encontre. Cependant, à l’occasion des plaidoiries finales de première instance, ils ont pris une conclusion additionnelle en constatation négative portant sur les frais des traitements de désinfestation de l’appartement. Malgré une formulation tardive de cette troisième conclusion, le tribunal de première instance l’a déclarée recevable puis l’a admise.
La Chambre d’appel des baux et loyer a considéré que la bailleresse aurait dû conclure à l’irrecevabilité de la nouvelle conclusion des locataires lors de l’audience de plaidoiries finales, ce qu’elle n’a pas fait. Selon la Chambre d’appel des baux et loyers, formulée dans le mémoire d’appel, la conclusion de la bailleresse tendant à ce que la nouvelle conclusion des locataires soit déclarée irrecevable était elle-même irrecevable, faute de se fonder sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux (art. 317 al. 2 CPC). Dans son recours, la bailleresse s’est donc plainte d’une violation de l’art. 230 CPC.
Saisi de cette question, Le Tribunal fédéral a d’abord considéré que c’est à tort que la Chambre des baux et loyers a appliqué l’art. 317 al. 2 CPC à la conclusion en irrecevabilité de la bailleresse. Le Tribunal fédéral considère en effet que cette disposition fixe les conditions, en appel, d’une modification de la demande, c’est-à-dire d’une modification des conclusions circonscrivant les prétentions réclamées respectivement par le demandeur ou le défendeur. Or même formulée pour la première fois en appel par la défenderesse, la conclusion en irrecevabilité de la conclusion négatoire des locataires n’est pas une conclusion nouvelle au sens de l’art. 227 al. 1 CPC, qui porterait sur une prétention nouvelle ou modifiée et dont la recevabilité serait soumise aux conditions de l’art. 317 al. 2 CPC. Partant, la cour cantonale ne pouvait pas se fonder sur cette disposition pour refuser d’entrer en matière sur le grief de l’appelante tiré d’une violation de l’art. 230 al. 1 CPC.
Proposition de citation : Arnaud Nussbaumer-Laghzaoui, La répartition entre le bailleur et le locataire des frais liés à la désinfestation de punaises de lit, in: https://lawinside.ch/715/