L’exclusion d’un soumissionnaire qui ne remplit pas un critère de qualification au moment de l’adjudication
ATF 143 I 177 – TF, 06.03.2017, 2C_384/2016*
Faits
Un pouvoir adjudicateur lance un appel d’offres courant jusqu’au 18 septembre 2015 pour un marché de récolte et de transport de déchets urbains à partir du 1er janvier 2017. Les critères de qualification (d’aptitude) mentionnent que les soumissionnaires doivent démontrer être au bénéfice d’une licence de transport au sens de l’art. 3 de la loi fédérale sur les entreprises de transport par route (LEnTR).
Parmi les soumissionnaires se trouve l’entreprise recourante, qui offre un prix de 119 CHF par tonne de déchets, et une entreprise dont l’offre se chiffre à 117.90 CHF par tonne. Après l’ouverture des offres, l’autorité demande à cette dernière entreprise de fournir une copie de l’autorisation de transport manquante. L’entreprise requise fait savoir à l’autorité que l’Association suisse des transports routiers (ASTAG) lui a confirmé le 31 août 2015 l’inscription aux cours de préparation et la date d’examen pour obtenir la licence de transport. Par décision du 27 octobre 2015, l’autorité lui adjuge alors le marché. L’autre entreprise recourt au tribunal administratif de Thurgovie, qui rejette le recours.
Elle forme un recours en matière de droit public ainsi qu’un recours constitutionnel subsidiaire au Tribunal fédéral. Il s’agit de déterminer si l’autorité adjudicatrice pouvait renoncer à exiger que l’entreprise adjudicataire détienne une licence de transport au moment de l’adjudication, alors que la détention de cette licence faisait partie des critères de qualification prévus par l’appel d’offres.
Droit
A titre préliminaire, le Tribunal fédéral déclare irrecevable le recours en matière de droit public, faute de question juridique de principe (art. 83 let. f ch. 2 LTF). Les griefs seront ainsi uniquement examinés dans le cadre du recours constitutionnel subsidiaire, sous l’angle de leur compatibilité avec les droits constitutionnels de la recourante (art. 116 LTF).
Pour l’instance précédente, le défaut d’autorisation de transport au moment de l’ouverture des offres n’était que mineur. L’entreprise adjudicataire disposait d’une longue expérience et avait déjà exécuté des mandats pour l’autorité adjudicatrice par le passé. Comme l’autorisation avait déjà été requise, celle-ci pouvait partir de l’idée que l’entreprise l’aurait obtenue d’ici décembre 2015 et serait donc en sa possession au moment du début du contrat, ce qui s’est révélé être le cas. Le tribunal administratif cantonal a donc considéré qu’il serait disproportionné d’annuler la décision d’adjudication pour cette raison.
Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord que les critères de qualification (d’aptitude) correspondent en principe à des critères d’exclusion : si un seul de ces critères n’est pas rempli, le soumissionnaire doit être exclu, à moins que le vice soit léger et une exclusion disproportionnée. L’article de l’ordonnance cantonale octroie à l’autorité une certaine appréciation, en disposant qu’une exclusion a lieu « dans la règle » (§ 36 al. 1 ch. 1 VöB-TG). Le motif d’exclusion doit revêtir une certaine gravité. Tel n’est pas le cas – et l’exclusion est disproportionnée et excessivement formaliste –, si la dérogation aux prescriptions de l’appel d’offres a un caractère subordonné et insignifiant à la lumière du rapport qualité-prix. L’autorité adjudicatrice peut par exemple sans arbitraire autoriser qu’un soumissionnaire complète des détails après le dépôt de son offre. En revanche, exclure un soumissionnaire qui n’a pas prouvé en temps utile ses qualifications n’est pas critiquable. Ce qui est déterminant, c’est de savoir si l’instance précédente pouvait sans arbitraire partir de l’idée qu’il n’y avait pas de vice grave.
En ce qui concerne le marché en question, le Tribunal fédéral relève ensuite que la licence de transport est une condition nécessaire pour pouvoir exploiter une entreprise de transport de voyageurs ou de marchandises (art. 3 al. 1 LEnTR). Son défaut ne peut être qualifié de simple bagatelle. Or, même si l’entreprise avait demandé la licence avant de déposer son offre et prévu de passer les examens nécessaires aussi tôt que possible, au moment du dépôt de l’offre, elle n’était pas au bénéfice d’une qualification technique essentielle pour exécuter le mandat de manière complète. Il n’est donc pas possible de qualifier ce fait de vice mineur, à la suite duquel une exclusion serait disproportionnée ou formaliste. Pour le Tribunal fédéral, l’instance précédente a ainsi appliqué le § 36 al. 1 ch. 1 VöB-TG de manière manifestement fausse et arbitraire en considérant que l’absence de licence n’était pas un vice grave.
Enfin, le Tribunal fédéral estime que la détention de la licence au moment du prononcé de l’arrêt du tribunal administratif n’autorisait pas celui-ci à considérer que le critère était rempli. Le système du droit des marchés publics est en effet mis en œuvre de sorte que le moment décisif pour la procédure soit celui de la décision d’adjudication. Les critères d’adjudication doivent être définitivement fixés avant celle-ci. Des modifications ultérieures des offres par l’autorité adjudicatrice ou le soumissionnaire ne sont en principe pas admissibles en raison du principe de l’égalité de traitement. Dans l’examen de la qualification d’un soumissionnaire déterminé, l’autorité ne peut en principe pas prendre en compte des faits (positifs) qui ont lieu après le délai de soumission des offres, car cela aurait pour conséquence une discrimination des concurrents. Dans le cas contraire, un soumissionnaire recourant pourrait modifier et compléter son offre après le délai de dépôt et jusqu’à la décision sur son recours en connaissant les détails de toutes les offres notifiées avec la décision d’adjudication.
En conséquence, le Tribunal fédéral retient que l’instance précédente a fait preuve d’arbitraire en retenant que l’offre de l’entreprise adjudicataire ne souffrait pas d’un vice grave et ne devait pas être exclue de la procédure. Il admet donc le recours et annule l’arrêt attaqué.
Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, L’exclusion d’un soumissionnaire qui ne remplit pas un critère de qualification au moment de l’adjudication, in: https://lawinside.ch/432/
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