La détention provisoire d’un jihadiste soupçonné d’appartenir à l’EI

TF, 05.12.2016, 1B_412/2016

Faits

Un prévenu qui est soupçonné d’appartenir à l’organisation Etat islamique (EI) se trouve en détention provisoire. Le Ministère public de la confédération (MPC) qui est chargé de l’enquête demande une deuxième prolongation de la détention pour une période de trois mois, ce que le Tribunal des mesures de contrainte de Berne (TMC) admet. Sur recours, le prévenu est débouté par la cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (TPF).

Saisi d’un recours en matière pénale du prévenu, le Tribunal fédéral doit se pencher sur l’analyse des conditions de prolongation de la détention provisoire en lien avec une enquête pour appartenance à l’EI.

Droit

Le prévenu fait tout d’abord valoir que le dossier en main du TMC tel que transmis par le MPC est incomplet et que d’importantes pièces à sa décharge font défaut.

Au plus tard quatre jours avant l’expiration de la durée de la période de détention, le ministère public transmet au TMC la demande de prolongation écrite et motivée, et joint les pièces essentielles du dossier (art. 227 al. 2 CPP). Le détenu et son défenseur ont le droit de consulter le dossier en possession du TMC et de s’exprimer sur la demande de prolongation dans les trois jours (art. 227 al. 3 CPP).

Dans le cadre d’une demande de prolongation de la détention, le ministère public doit certes remettre au TMC les nouvelles pièces importantes qui résultent de l’avancement de l’enquête, y compris celles qui sont à décharge du prévenu, mais n’est toutefois pas tenu de mettre à disposition du TMC (et par conséquent du prévenu) l’ensemble des pièces du dossier de la procédure. Dans ce cadre, il appartient au TMC de remettre en question le contenu du dossier en sa possession afin de veiller à ce que celui-ci reflète de manière objective l’avancement de l’enquête.

En l’espèce, le seul fait que le MPC n’ait pas transmis au TMC l’ensemble des procès-verbaux des dernières auditions n’est pas suffisant pour retenir que le dossier en main du TMC serait incomplet ou pas objectif, ce d’autant plus que le TMC est parti du principe que ces documents ne contenaient aucune nouvelle preuve à charge du prévenu.

Le Tribunal fédéral balaie également le deuxième grief du recourant qui se plaint du fait que l’identité d’un témoin à charge a été cachée (mesure de protection, art. 149 CPP). Le droit du prévenu d’assister à l’administration des preuves (art. 147 CPP) peut être limité en particulier pour des raisons de protection d’un témoin. Vu la restriction importante de la liberté personnelle du prévenu que la détention représente, il y a lieu de poser des exigences élevées en ce qui concerne la proportionnalité d’une telle mesure restreignant les droits de la défense (cf. art. 149 al. 5 CPP cum art. 10 al. 2 et 36 al. 3 Cst.).

En l’espèce, l’enquête pénale porte sur un membre de l’EI, soit une organisation possédant un réseau de contacts global et dont les actions sont extrêmement agressives. De surcroît, la décision du TMC ne se fonde pas sur le témoignage dont l’auteur a été rendu anonyme. Ainsi, la mesure de protection paraît proportionnée.

S’agissant du bien-fondé de la prolongation de la détention provisoire sur le fond, il se pose en particulier la question de savoir si le prévenu est « fortement soupçonné d’avoir commis un crime ou un délit » (art. 221 al. 1 CPP).

Contrairement au TPF, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de procéder à une pesée des tous les éléments à charge et à décharge du prévenu. L’analyse du Tribunal fédéral se limite à la question de savoir si, d’après les résultats de l’enquête, il existe des éléments concrets permettant de retenir que les actes reprochés au prévenu sont constitutifs des infractions lui étant reprochées.

Dans le cas particulier, le prévenu est soupçonné d’appartenir (al. 1) ou soutenir (al. 2) une organisation criminelle (art. 260ter ch. 1 CP) ainsi que de s’être rendu coupable de l’infraction de l’art. 2 de la loi fédérale interdisant les groupes « Al-Qaïda » et « Etat islamique » et les organisations apparentées. Le Tribunal fédéral constate que le prévenu s’est rendu en Syrie en 2013  et a participé aux combats du côté de l’EI. Rentré en Suisse, il a propagé des idéologies salafistes dans la région de Winterthur et recruté des combattants prêts à partir pour la Syrie. Le prévenu ne conteste par ailleurs pas le fait qu’il est un sympathisant de l’EI et qu’il a noué de nombreux contacts avec des personnes proches de cette organisation. Au vu de ces éléments, il existe bel et bien un fort soupçon que les infractions reprochées au prévenu ont été commises.

Il s’ensuit que le TPF a eu raison d’admettre la prolongation de la détention provisoire. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Proposition de citation : Simone Schürch, La détention provisoire d’un jihadiste soupçonné d’appartenir à l’EI, in: https://lawinside.ch/358/